lundi 31 décembre 2007

2007: Sept fois sept

Et voilà : mes petits cailloux sont tous écrits, publiés et probablement lus par un public dont j'ignore autant qu'ils ignorent de moi. Mais j'ai vraiment aimé cette aventure. Je ne suis pas encore convaincue que je pourrai la recommencer dans l'autre sens, histoire de voir à quoi ressemblent les pierres qui rouleraient en s'éloignant de l'instant présent vers les souvenirs d'enfance.

Je ne suis pas trop surprise de celles qui se sont posées dans l'autre sens, même si parfois j'ai dû en casser quelques-unes, soit parce qu'elles étaient trop grosses à lancer soit qu'elles me cachaient la vue ou bien parfois j'ai dû choisir un palet un peu plus poli pour qu'il rebondisse. Parfois, j'ai ramassé un caillou qui me plaisait bien, et il m'a glissé des doigts sans que j'aie pu le lancer, d'autres, j'ai remarqué que le galet avait une toute autre allure une fois qu'il était lancé dans l'eau, et je ne le reconnaissais plus du tout en le regardant moi-même à travers l'eau de la publication. Mais c'est le jeu.

J'ai sans doute été flemmarde aussi, je suis si peu revenue sur ce que j'écrivais dans un premier jet, à part corriger de trop visibles lourdeurs ou erreurs de style, voire des fautes de frappe passées inaperçues, j'ai très rarement travaillé sur un billet, très souvent soulagée quand je voyais qu'un écran était rempli, comme si ça suffisait bien comme ça. Le résultat n'est pas clair et agréable ? qu'à cela ne tienne, je me débarassai du billet comme on jette un caillou à l'eau, n'était-ce pas la consigne ?

Dans ma tradition, sept est un cycle, le cycle de la semaine qui s'est accomplie, et l'on cesse au septième jour, on s'arrête, on se pose, et on laisse l'activité créatrice au repos avant de recommencer. La septième année est la fin d'un cycle aussi, il y a les passages dans la vie humaine de l'âge de raison, de l'adolescence, de l'âge adulte, de la maturité, et cela recommence encore et toujours dans une spirale ascendante.

Mais arriver au huitième degré est un accomplissement, un point dans l'harmonique avec l'octave, un passage au degré supérieur de l'espoir et du développement spirituel, parce que l'expérience permet de construire, comme la mémoire permet d'apprendre de son propre passé pour bâtir un futur en devenir.

Merci à mes lecteurs de leur lecture bienveillante et encourageante. Je ne suis pas sûre que sans eux j'aurais persévéré dans l'effort et c'est quand même grâce à eux que je peux dire que je continue de passer des caps avec fierté.

dimanche 30 décembre 2007

2006:48 Ecrire pour exprimer

S'il y a un domaine où j'arrive encore toujours autant à faire illusion et bonne figure, c'est à l'écrit. Pourtant je me suis lassée des forums, sans doute parce qu'on y parle trop de choses douloureuses, que j'y vois arriver de nouvelles jeunes femmes découvrant l'autisme de leur enfant, et que je n'ai plus rien de plus à apporter que ce que j'ai déjà mis en ligne, pour les débuts, pour l'inspiration, pour les encouragements. Pour ces derniers, je suis tellement moi-même dans une phase de découragement, avec un enfant qui n'est plus dans la tranche de la folle énergie pleine d'espoir que tout va s'arranger dans un temps donné, et que je ne veux vraiment pas donner cette image à quelqu'un qui a surtout besoin d'y croire. On ne peut pas se permettre de baisser les bras d'emblée.

Je continue bien sûr de participer aux listes de discussion, qui me demandent nettement moins de temps que les forums. Je me lance dans le weblog, d'abord timidement, puis avec amusement, et enfin sans plus pouvoir décrocher de la blogosphère qui me permet de renouer avec tout ce qui se passe dans le monde en dehors des miens. Et puis surtout, cela me permet d'écrire un peu, sur tout, comme je le veux, comme je l'entends, comme je le sens.

Mes carnets délaissés depuis près de dix ans sont enfouis dans un désordre indescriptible. Je sais très bien ce que ce désordre sur lequel je n'arrive pas à mettre les mains vient me dire, chaque couche tente d'enfouir des mots que j'essaye alors de récupérer autrement, les imprimer sur l'écran, et les envoyer pour qu'un écho m'en revienne peut-être, choisir de parler de la différence, mettre un nom sur ce que je ressens, pour essayer enfin de ressentir ce que j'ai toujours refusé de nommer.

Aujourd'hui mon blogue existe toujours, et je n'ai à ce jour pas encore l'impression d'avoir approché mon but. C'est une bonne chose puisque cela me permet de continuer à avancer, un jour à la fois, à sa poursuite inlassable.

samedi 29 décembre 2007

2005:47 Regarder les succès

La propriétaire de la maison verte est une vraie foldingue. Les voisines m'avaient prévenues mais je n'avais guère le choix, et on croit toujours que les papotages de voisinage sont des rumeurs exagérées. Parfois on en rit, parfois j'ai envie d'en pleurer tellement elle attige. Les confrontations finissent par l'éloigner jusqu'au terme du bail qu'elle ne renouvelera pas comme prévu, ce qui ne me gêne nullement parce que le loyer est exorbitant et cette solution n'était que passagère le temps que je puisse me retourner et avoir les papiers nécessaires à m'établir en bonne et due forme.

A quelques jours près tout se passe bien. J'ai toujours eu confiance dans ma bonne fortune et nous trouvons un petit appartement parfaitement convenable dans le complexe de condominium de la ville, je vais devenir propriétaire, ce sera chez moi, je n'en reviens pas, personne n'en revient, à croire que tout le monde faisait semblant d'y croire, mais au fond, ils croyaient vraiment tous que jamais je n'y arriverais ?

J'ai mon (tout) petit business, j'ai mon appartement, je vais enfin recevoir nos permis de résidence permanents. Je n'entends quasiment plus parler du père des enfants, qui cependant vient à New York pendant l'été et leur rendra une ou deux visites (l'une des deux étant arrangée en sorte que c'est moi qui fais tous les trajets, l'autre étant si courte que je ne m'en suis même pas aperçue, mais nous en garderons un très chouette ballon de foot rose que Monsieur Zebu adore).

Tant d'années de tensions ne semblent pas pouvoir se résorber sans dommages. Je sais bien que je suis vidée de substance et que je n'en peux plus. Mais il me reste encore une bonne cinquantaine d'années à devoir tenir, alors ce n'est pas le moment de s'avouer vaincue. Je fais comme si de rien n'était et je célèbre chaque minute comme une victoire. J'ai le coeur si serré qu'il n'a plus de place pour jamais se réjouir. J'ai rejoint la chorale de la synagogue, et petit à petit j'y fais mon nid, pour me faire consoler. C'est la première fois depuis sept ans que je refais quelque chose uniquement pour moi.

vendredi 28 décembre 2007

2004:46 Une expatriée mère célibataire

L'invitation que je reçois est calligraphiée et vraiment si bien personnalisée que je suis curieuse de savoir comment cette organisation a eu mes coordonnées. La jeune personne qui me répond au téléphone n'en sait rien, mais elle est vraiment accueillante, suggère que j'aie pu moi-même un jour remplir un formulaire comme quoi j'étais intéressée par des occasions de créér un business et m'incite avec un talent évident à ne pas laisser passer celle-ci qui ne me coûtera rien, que le temps d'assister à l'événement.

Effectivement, je serai entièrement défrayée, et aucune arnaque ne se fait jour derrière la proposition qui s'avère une voie très tentante. Je sens que je vais devenir une entrepreneuse et je dépose le nom de ma petite entreprise sous les ailes d'un ange que je voudrais tellement protecteur de mes nouvelles aventures. J'achète trois machines, et je les paye cash, pas question que je m'endette avant de savoir à quelle sauce le divorce va me manger.

Quelques jours plus tard, le jugement de divorce est rendu. Il stipule bien sûr que je devrai vider les lieux du domicile marital dans les trois mois qui suivront la notification. J'ai fini de manger mon pain blanc. Dans cette charmante petite ville de haut standing, ce ne sont pas les locations que l'on trouve sous le pas d'un cheval, et Estac s'impatiente, assez mal à l'aise à l'idée que je serai passive-agressive au point qu'il aura à nous véritablement mettre à la rue. Je n'ai nulle intention de le griller à ce point-là, je déménagerai avec dix jours de retard certes, mais j'ai vidé les lieux, il peut vendre sa propriété et en tirer les bénéfices qu'il escompte et sur lesquels je ne toucherai pas un centime.

Ce qui ne l'empêche pas de pousser des hauts cris quand il apprend de ma bouche que j'ai créé ma petite entreprise, comme si j'utilisais l'argent que je lui aurais extorqué selon lui à des élucubrations hasardeuses. Il va lui en falloir des mois et des années pour cesser de croire qu'il a haute main sur toutes mes décisions, et il va m'en falloir encore quelques semaines d'exercice à ne pas monter au créneau quand il manie l'humiliation verbale et ne surtout pas réagir.

Il finit par se rendre aux Etats-Unis au début de septembre, pas tant pour voir ses enfants que mettre en vente sa maison. Il en profite pour les voir, parce que cela se saurait trop facilement dans le village s'il y avait coupé, mais ne daigne quand même pas aller jusqu'à vraiment s'en occuper plus qu'une demie-journée, et encore, avortée parce qu'il a laissé Monsieur Ziti se précipiter dans le lac avec son vélo et qu'il me le ramène tout dégoulinant d'algues avant l'heure dite.

J'ai quelques mois pour me construire un historique bancaire et faire fructifier au mieux le petit bien qu'il me reste. C'est à ce prix que je peux envisager un avenir pour mes deux petits garçons qui n'ont jamais autant été épanouis que cette année dans la petite maison verte que nous louons. Nous revivons.

jeudi 27 décembre 2007

2003:45 Tout recommencer

Au moins il est parti. Son déménagement aura été épique. Chacun de notre côté, nous avons fait venir des tiers, ne pouvant décidément plus jamais nous trouver en présence l'un de l'autre sans se sentir en danger de quelque chose. J'ai besoin de témoins pour ne pas me sentir être devenue la folle qu'il m'accuse d'avoir toujours été. Je sais depuis si peu de temps que seulement en public je suis en sécurité, parce qu'alors les rôles que nous jouons respectent les règles sociales. Désormais, il a franchi la barre et raconté à tout le monde que j'avais voulu l'envoyer en prison, y compris à son fils de cinq ans, que je le battais et sans doute est-ce pour mieux s'en persuader qu'il a fui.

Il embarque tous ses meubles. J'ai pris de jolies photos en souvenir. Notamment de ceux que nous avions choisis ensemble lors de notre mariage, et que ma mère nous offrait, pardon, lui offrait pour sa pièce de musique à l'époque. Je me retrouve dans la grande maison vide, vidée littéralement, et je regroupe mes quartiers surtout autour de la cuisine et fait de ce qui aurait été une salle à manger notre nouvelle family room, où trônent les jouets des enfants et la télé. Le guest appartment qu'il s'était de toutes manières annexé dès la première année m'est désormais condamné formellement, à tel point que le jour où une canalisation y pète parce qu'il n'a pas donné les bonnes instructions à quiconque de vérifier le chauffage, je ne peux qu'assister à l'inondation par la petite fenêtre et être impuissante à préserver les caisses de disques et autres de ses possessions enfermées.

J'ai enfin mon permis de travail. Je vais pouvoir me faire embaucher assez rapidement par un médecin à la ville qui a besoin d'une employée à mi-temps pour gérer son agenda et faire sa facturation. Dans le même temps, je commence à travailler pour Balthazar qui lui, en a fini avec son divorce de folie, et sait donc très gentiment compatir au mien.

J'essaye tant bien que mal de rester à la surface des eaux qui grondent. Mon avocate me pompe à tous points de vue. Un jour, elle en fait de trop et je m'aperçois alors que je suis toujours autant dans une relation inégale où je me fais exploiter par quelqu'un qui me voit comme une victime pitoyable certes, mais dont on peut abuser, et je l'envoie promener. Il faut que j'en trouve une autre. Tout cela est une véritable abomination financière, et pendant ce temps là, en France, la procédure de divorce suit son petit bonhomme de chemin sans que j'aie grand-chose à faire au grand dam d'Estac qui m'assigne à nouveau pour que je fasse venir les enfants pendant l'été, mais il est débouté de sa demande, puisque c'est lui qui a rendu impossible notre retour sur le sol américain si on le quitte temporairement.

A la fin de l'année, sur une de ses fréquentes compulsions, le toubib pour qui je travaille me renvoie et au fond ça m'arrange bien, même si ça me vexe terriblement, et réveille en moi un douloureux sentiment d'échec et d'être un zéro pointé.

mercredi 26 décembre 2007

2002:44 Seule en exil

Estac est revenu s'installer dans la maison qui lui appartient, sans aucun doute conseillé par son avocat de peur que cela fasse la base d'une plainte d'abandon du domicile conjugal à sa charge. Je n'ai nulle intention de quoi que ce soit, et l'assignation que je reçois de France est comme un coup de massue. Je l'assure que je ne partirai pas à Paris, et que je ne me rendrai pas au Tribunal, et je l'assigne à mon tour, aux Etats-Unis cette fois-ci, pour préserver les droits des enfants à continuer à vivre ici.

La guerre est déclarée et elle est sanglante. Le jour où il reçoit l'assignation devant la Supreme Court[1] du Comté, il m'attaque violemment et j'appelle la police. C'est la première fois que j'ai vu dans ses yeux sa décision annoncée qu'il ferait mieux de me tuer et je sais qu'il fait tout ce qu'il décide. Comme à travers un rideau qui s'ouvre, je revois toutes ces années, quatorze ans de mensonges, de tromperies, de confusion, de violences, et je ne l'aime plus. Plus jamais. J'ai en face de moi un étranger qui fera tout pour se débarrasser de moi. Je n'ai jamais existé, et maintenant que je me mets en travers de son nouveau plan de vie, il faut m'éliminer. Je serai seule désormais.

Je fais front dans un état de panique indescriptible. L'essentiel pour moi est que les enfants aient la même maman vivante qui les met au bus le matin, qui les dépose à la nursery school et participe à toutes les petites fêtes, qui prépare les repas et les câlins. Mes conversations téléphoniques sont toutes espionnées à partir d'un autre poste et je mets un temps fou à m'en apercevoir. A quelques mois de sa convocation pour obtenir la nationalité américaine, il plante tout, rentre en France pour la seconde fois de l'année, et écrit à l'Administration qu'il annule nos pétitions pour l'obtention de nos papiers de résidence : nous devenons tous les trois illégaux sur le sol américain, et c'était le but de l'opération.

Je me tourne vers un autre avocat spécialisé dans les questions d'immigration. Il prend mon dossier en mains et me confie à une adorable jeune femme qui me fera autant de bien qu'une thérapeute. Elle monte mon dossier de main de maître. Estac qui a vent d'une conversation à ce sujet avec l'avocate du divorce prend la mouche parce qu'il comprend que je vais pouvoir bénéficier d'un statut de conjointe maltraitée et cela lui redonne du feu pour redoubler les plaintes devant la Supreme Court : désormais je suis accusée d'être une schizophrène droguée dangereuse, qui le bat et autres avanies que jamais je n'aurais crû possibles entre parents de mêmes enfants. Et pendant ce temps, les avocates sont persuadées qu'il est tellement plein aux as que cela vaut la chandelle de pousser le bouchon toujours tant et plus. Je suis atterrée. Et consignée sur le territoire US tant que ma situation ne sera pas régularisée ce qui peut prendre des années et des années. Je venais tout juste d'obtenir une carte de sécurité sociale, tout est à reprendre à zéro, j'existe à peine.

Notes

[1] équivalent du Tribunal de Grande Instance

mardi 25 décembre 2007

2001:43 Plus jamais comme avant

J'ai embarqué mes deux trésors dans la voiture et je suis partie un peu comme quand je partais à l'aventure, sans avoir l'impression que c'est un coup de poker, mais l'invitation de Nora était tellement tentante. Huit heures de route qui se passent drôlement bien, les enfants sont ravis, le temps est de la partie, plus on avance plus ça sent le printemps, on s'arrête toutes les deux heures, je passe un coup de fil à Nora et on se marre autant que quand on est sur ICQ pendant des heures, sauf que là, je conduis et je ne sais pas trop où je vais.

Bill m'a plantée dans les directions, je passe Richmond et j'ai raté la sortie qui va chez eux, cinquante miles de trop, ça en fait des kilomètres à ravaler dans l'autre sens, et maintenant il fait nuit noire, je déteste ça, les autoroutes américaines me terrorisent et leurs échangeurs sont des cauchemards. Nora est trépignante d'angoisse sur le pas de son condo, cigarette au bec, j'avais pensé à tout sauf à ça.

La première nuit, je n'arrive pas à dormir, pas parce que je ne suis pas dans mon lit, mais parce que tout empeste, le matin je me réveille et je tousse. Les enfants, non, alors je décide quand même de rester. On se paye des fous-rire salutaires et je me détends. Le soir, incroyable, Estac m'appelle comme si de rien n'était, il y avait longtemps qu'il n'avait pas été si charmant. Nora a une drôle de vie entre l'ordinateur, la télévision, ses cigarettes, un coup de rouge, son mari et sa cuisine. La maison est impeccable et le petit chien rigolo comme tout, les enfants cavalent de haut en bas, et sont bien partout. Je décide quand même de rentrer le vendredi, je n'aurais pas pu passer le chabbat avec l'odeur de la clope, c'était au dessus de mes forces.

A notre retour, tout va à peu près bien pendant le mois qui suit. Estac est même de nouveau un peu amoureux de moi, peut-être que je devrais partir plus souvent, mais ça ne me vient même pas à l'esprit, M. Ziti est très accaparant et M. Zebu aussi. Depuis le dernier séjour d'invités, j'ai préféré rester dans la chambre d'amis plutôt que de me faire réveiller tous les matins à l'aube quand Estac finit par venir se coucher. Je prépare les vacances d'été, un voyage de plus intercontinental avec les enfants et sans aucune aide. Arrivée à Paris, au téléphone avec Estac, il m'intime de rester où je suis et de ne pas revenir, je suis hors de moi, et je lui intime à mon tour d'appeler un chat un chat et d'avouer qu'il nous fout à la rue. Je rentre furieuse fin juillet, et plus rien ne s'arrangera plus jamais.

Pendant notre absence, il est allé consulter un avocat, s'est aperçu du danger qu'il y avait pour lui à demander le divorce avec la loi américaine qui me protègerait, et opte pour une nouvelle stratégie que je ne vois dans un premier temps absolument pas venir. Il accepte enfin qu'on voie un conseiller conjugal, depuis trois ans que je l'en suppliais, et à ma grande horreur je m'aperçois qu'il l'embobine dès la première séance, travestissant la vérité à un point horripilant et me voilà clouée sur place. La conseillère suggère fortement que l'on se sépare pour éviter les violences, et du jour au lendemain comme s'il avait préparé tout ça de longue date, le voilà parti à Manhattan où il s'installe dans un studio le 4 septembre.

Une semaine plus tard, j'appelle pour être sûr qu'il était à son travail sain et sauf en dehors de Manhattan. Il m'envoie paître. Mais deux heures plus tard il me rappelle parce qu'il ne pourra pas rentrer chez lui, tout étant bouclé jusqu'au-delà de la 18° Rue, et froidement je lui dis de se démerder avec ses collègues de bureau. Je suis tétanisée devant mon petit écran toute la nuit et j'ai du mal à imaginer ce qu'il doit vivre de son côté. Il a décidé qu'il ne voulait pas vivre avec moi quand ça allait bien, je ne veux plus qu'il vienne se réfugier dans mes jupons quand ça va horriblement mal. Tout un univers s'écroule et cette fois-ci je le vois en direct.

lundi 24 décembre 2007

2000:42 La fin d'un monde rêvé

Ah ! la bulle Internet ! il n'y a pas que moi qui m'y perde ! mais je ne me promène que dans les octets, tandis que d'autres, dont un à la maison, décident de se lancer dans d'autres sortes d'aventures, hautement plus complexes et hypothétiquement lucratives !

Estac caresse un temps de nouvelles idées, auxquelles je ne comprends toujours rien, pas faute de quémander des explications, qui ne viennent pas, et sans doute éteignent par leur absence ma motivation à vraiment m'intéresser à ces nouvelles lubies. Ou du moins qui m'apparaissent décidément comme telles. Avec un vague soupçon d'inquiétude. Son engouement semble très sérieux et surtout je nous sens de plus en plus séparés et incapables de communiquer correctement. Cela me désespère et m'angoisse.

Finalement, Estac laisse tomber l'idée de devenir daytrader, mais il part quand même à New York pour y suivre des cours de programmation informatique dans des langages auxquels je ne comprends rien. Pendant ce temps, il semblerait qu'il ait quand même fait des placements qui lui mettent un sourire aux lèvres, à tel point qu'un jour, désireuse de partager cette joie-là, je lui suggère de vendre et de donner à la tsédaka[1].

Que n'ai-je pas dit là ! Je me fais agonir d'insultes, traiter d'idiote finie, et remettre vertement à ma place, à savoir, de petite ignorante qui n'est bonne qu'à s'occuper (mal selon lui) de la maison et des gamins. D'ailleurs, il ne voit pas pourquoi il paierait pour la nursery school alors que je suis au foyer et que c'est donc une dépense inutile selon lui. Alors, pensez donc ! réclamer l'achat d'une imprimante ! il décrète qu'il a l'intention de prendre sa retraite dès qu'il aura atteint les quatre millions, c'est sûr que j'ai l'air un peu bêtasse avec mes petites visions qui ne dépassent pas les centaines, et mes absurdes lois de l'abondance spirituelle bien dignes de la baba-cool souillon, vocable dont je suis désormais affublée en sus des autres qualifications tendrement sussurées dans notre couple.

La bulle éclate à la fin de l'été, je crois. Il refusera toujours de vendre, plus les cours s'effondreront et avec eux la dépression dans laquelle il sombrera de plus en plus suivra une courbe violente inversement proportionnelle.

En fin de compte, je n'aurai jamais su que mon ménage avait été riche un seul instant. Le miroir aux alouettes m'est lancé à la figure, ainsi que d'autres meubles et vaisselle qui sont régulièrement fracassés dans la maison.

Notes

[1] tsedaka : littéralement, "ce qui est juste", action de donner une somme d'argent, pour redistribution à ceux qui sont dans le besoin. Cette obligation incombe à tous, quel que soit le revenu.

dimanche 23 décembre 2007

1999:41 Sauvée des eaux par le filet

Je me suis inscrite à quelques listes de discussion sur Internet. Il y a très peu de choses en français, le tour est vite fait. Ceux qui sont branchés dans le monde de l'autisme sont québécois, mais sur la toile on n'entend pas nos accents. Les quelques français de France deviennent rapidement mes amis et lors de mon passage en France durant l'été, on se rencontre, brièvement mais c'est toujours ça. Je suis contente d'assister à mon premier congrès sur l'autisme à la Défense, je me sens tellement compétente, c'est comme si j'apportais enfin quelque chose de valable, comme si ce que j'écrivais au fil des jours avait enfin du poids, servait à quelque chose et à quelqu'un.

Un jour, je trouve une de ces petites notes que me laissait souvent Estac puisqu'on se croise plus qu'on ne vit ensemble dans la grande maison. En cela, rien n'a vraiment changé. Sur la note, il me dit qu'il est temps que je rentre définitivement en France avec les enfants. Cela fait un peu plus de six mois qu'on vit tous ensemble. Il me demande quand est-ce que je sèvre le bébé. Il vient de moins en moins souvent aux rendez-vous d'évaluation, et jamais aux thérapies. Il ne met même pas un pied dans la chambre d'enfants mais projette tout de même la commercialisation d'un programme logiciel pour l'apprentissage des enfants autistes, qui ne verra jamais le jour, en tout cas pas grâce à lui. Il me reproche d'être la cause de l'arrêt définitif de sa carrière, moi, l'autisme, les enfants.

Je me réfugie dans le cliquetis de mon clavier et je regarde les arbres par la fenêtre.

samedi 22 décembre 2007

1998:40 Le saut de la quarantaine

Notre joli petit appartement des Batignolles a été vidé. Nos biens sont en cartons, puis en containers. Je pars vivre quelques petites semaines chez mes parents tandis que mon mari est déjà depuis le début de l'hiver dans sa maison. C'est lui qui réceptionnera les containers, et je trouverai à mon arrivée une maison entièrement arrangée, il n'y a pas d'autre mot, comme tous les arrangements impeccables d'artiste qu'il sait si bien faire.

Pendant des mois et des années d'ailleurs, j'aurai beaucoup de mal à déranger cet agencement non fonctionnel, mais c'est une autre histoire.

Je suis éblouie. J'ai du mal à voir, et comme cela fait désormais des dizaines d'années que j'ai patiemment appris à ne pas éprouver mes émotions, tout se passe terriblement bien. Je n'ai même pas pleuré à l'aéroport. Je fais connaissance avec mes voisins, leurs enfants, je suis émerveillée de l'accueil chaleureux à l'américaine, et comme je suis naturellement très sociable, je fais également sensation amusée, si typiquement française, cela ajoute à un charme que j'aurais de toutes manières, je me sens si exotique, si décalée et j'en jouis un peu.

Surtout que tout le monde s'imagine ce qui n'est pas le cas, que je suis beaucoup plus jeune, quel confort que personne ne connaisse ma date de naissance, mon histoire mouvementée, mes troubles et mes difficultés, tout cela peut être gommé d'un coup, et je ne dis à personne que je viens de passer le cap de la quarantaine dont je ne veux absolument pas entendre parler. Je recommence ma vie, et je rêve que j'ai effacé les ardoises qui sont pourtant bien empaquetées dans mes meubles.

Je farfouille quand même dans le rayon "autisme" de la bibliothèque municipale, au grand dam d'Estac qui se récrie que je dis n'importe quoi comme d'habitude.

C'est une première voisine qui me regarde d'un drôle d'air quand je lui dis que Monsieur Ziti ne parle toujours pas. C'est une deuxième voisine qui m'oriente fermement vers le diagnostic définitif et me récupère pantelante une fois que j'ai cessé de fermer les yeux.

Je ne veux pas paniquer mais j'écris à un maximum de mes amis et connaissances pour leur faire savoir que notre fils aîné est diagnostiqué autiste. Les réactions de certains d'entre eux sont édifiantes. Il y aura un avant et un après.



Oh ! vallée obscure de ténèbres et de brumes,
jusques à quand me tiendras-tu dans les chaînes !
Mieux vaut mourir et m'abriter dans l'ombre divine,
que l'isolement dans ces eaux insondables !
Déjà je les vois, les collines de l'Eternité,
leurs sommets verdoyants, couverts de fleurs éclatantes !
Je bats les ailes d'aigle,
je vole de mes yeux, je lève mon front tout en haut
et j'ose regarder le soleil !
O ciel ! que tes voies sont splendides !
C'est là que domine la liberté éternelle.
Les airs qui soufflent sur tes hauteurs,
qu'ils sont doux, et pleins de mystère.

Rachel Morpurgo (Italie XIXe) d'après une traduction de l'hébreu par Nahum Schloush

jeudi 20 décembre 2007

1997:39 Sereines inquiétudes

Le service des impôts me réclame une somme astronomique au titre de l'appartement que nous avions acheté et pour lequel il semblerait qu'une déclaration importante n'ait pas été faite en son temps. Je contacte Estac là où il est, et il m'envoie balader proprement en m'expliquant qu'il sait très bien qu'il n'a pas fait à l'époque cette déclaration et que je n'ai qu'à me débrouiller, étant sur place. Je panique littéralement, ayant pour l'instant un cerveau incapable de me concentrer sur la réalité du problème et je fais appel aux services sociaux de la Mairie pour m'aider, eux, au moins, sont là, même si ils n'ont pas trop l'habitude de traiter des problèmes de grosses sommes d'argent, après tout je suis propriétaire de mon logement à Paris !

Pendant ce temps, les inquiétudes face à la tranquille bizarrerie de mon garçonnet prennent de l'ampleur et là aussi, j'essaye d'en parler, avec quiconque veut bien m'entendre. Pas facile d'être inquiète quand tout concourt à chercher à vous rassurer : il paraît que je suis si sereine, si paisible, si épanouie, si bonne mère, si tout ceci et si tout cela. Comment m'inquiéter encore plus, cela devient difficile, à l'intérieur de moi, un bébé extrêmement apaisant et rassurant se développe, rarement je me suis sentie aussi bien physiquement et rarement aussi paniquée mentalement.

Mon grand frère va se marier, sa future attend elle aussi un bébé, mais qu'est-ce qu'elle est stressée ! Estac décide de leur offrir comme cadeau de mariage une Ellingtonia, cadeau superbe qu'il se met à préparer avec sa passion habituelle, recrutant ses musiciens et décidant depuis les States de toute l'organisation des répétitions avec une maestria qui montre sa motivation.

Cela compense pour l'absence de participation aux préparatifs de son propre mariage quelques années plus tôt. Ce qui ne l'empêchera pas de ne pas se pointer à la Mairie, après tout quel intérêt, ce n'est que son beau-frère et sa femme enceinte jusqu'au cou (moi) qui auront à gérer les tensions des situations diverses et variées qui ont lieu ce matin là. On n'en parlera pas. Pas plus que du sentiment de solitude et d'abandon à nouveau juste après le concert, où je n'ai pas pu échanger un mot avec mon époux qui passe tout son temps avec les musiciens, et moins encore avec son fils qui pourtant était ravi de le voir jouer.

Cette fois-ci, mon homme assiste à l'accouchement de son second né, un accouchement lettre-à-la-poste, et cette fois-ci, c'est moi qui choisis le premier prénom mais n'aurai pas mon mot à dire sur le faire-part en forme de pochette de CD assez ésotérique, au point que certains n'auront pas compris que j'avais accouché d'un bébé, et féliciteront Estac pour la sortie de son quatrième album un peu en avance sur la réalité.

J'ai proposé d'aller m'installer pour terminer l'été et démarrer sa petite vie à la campagne, où je suis nettement mieux qu'avec la chaleur et les étages parisiens. Mes parents nous ont prêté leur maison, mais je m'y retrouve seule à nouveau, et découvre que pendant ce temps Estac a fait évaluer notre appartement parisien qu'il aurait l'intention de vendre. J'apprends ainsi qu'il projette de nous faire venir vivre aux Etats-Unis, et que ses plans sont déjà bien établis.

La surprise est de taille et me met en porte-à-faux. Je suis heureuse et inquiète à la fois, mes bébés sont si beaux et je me dis que je m'en fais pour rien, d'ailleurs je n'ai aucun mot à mettre sur mes alarmes, je n'ai qu'un sourire peut-être béat, et des compliments admiratifs. Quand Estac m'annonce en octobre qu'il a trouvé LA maison de ses rêves, et que je sois d'accord ou pas, il va l'acquérir, je me décide tout de même à aller faire un saut, nourrisson sur les bras, de l'autre côté de l'Atlantique, pour voir de quoi il parle.

Dans la beauté incroyable de l'automne flamboyant, quand j'aperçois les biches au fond du terrain, j'éclate en sanglots, terrassée par la prescience de quelque chose, et Estac s'empresse de rassurer le courtier qui voit déjà l'affaire dans le lac, en lui disant que bien sûr, ce sont des larmes de joie.

C'est la deuxième fois que je sais parfaitement bien que je prends la décision que je ne veux pas prendre, et que je le fais à cause de ce que me dit l'homme que j'aime. C'est la deuxième fois qu'une amie chère soulève le lièvre avec tendresse et précaution, mais que je choisis de ne pas écouter la question qu'on me pose et croire en l'image de sérénité qui vient masquer l'inquiétude.

mercredi 19 décembre 2007

1996:38 Nuits blanches et méningite

Après la naissance de mon premier bébé, j'étais rentrée dans une ère de pureté renouvelée et il me semblait que tout était enfin parfait, comme je l'avais toujours souhaité. Mon mari était attentionné et m'avait aidée à avoir une maison propre, accueillante, il était présent, en tous cas, sur les photos. Notre fils est magnifique, même si je lui trouve l'air trop vieux, pas assez bébé, il a l'air d'avoir déjà tout appris du monde et de la vie quand il vous regarde. Il est fasciné par la musique de son père qu'il reconnaît à tous les coups pour l'avoir tant entendue pendant ses neuf mois de vie intra-utérine.

Pour ne pas m'isoler quand son père se remet à l'écart dans sa pièce à lui, je rejoins La Leche League. Paterner n'intéressant décidément pas Estac, autant materner à fond. Estac est à fond pour l'allaitement qui lui donne l'occasion de n'avoir rien à faire, le seul jour où je lui demande un "droit de sortie", il me le refuse sous ce prétexte qu'il ne peut pas nourrir son fils, la tentative tourne au désastre, et je me fais copieusement engueuler quand je rentre de ma visite chez la gynéco : "La prochaine fois, tu emmènes le bébé, point barre".

Le bébé ne dort pas. Moi non plus, cela dure des mois et des mois, seule ma Lita est là pour m'empêcher de péter un plomb. Les professionnels n'ont rien d'autre à m'offrir que des conseils creux ou de me renvoyer à des consultations psy : je n'ai pas envie de parler, j'ai envie de dormir. C'est finalement Estac qui tombe malade. Il refuse d'abord d'aller consulter, et c'est en urgence que je le supplie d'aller à l'hôpital, appelant à la rescousse nos amis voisins pour qu'ils l'y emmènent : méningite.

Dès qu'il se retrouve à Bichat, il exige de moi une présence quasi constante. Je fais de mon mieux pour jongler avec cette exigence que je trouve légitime après tout. Par la suite le neurologue attribuera ses migraines au stress engendré par sa vie de famille, ce qu'il interprètera comme le signe qu'il faut qu'il s'en éloigne au plus vite. Je me sens à nouveau punie et désespérée de solitude.

Le jour de l'anniversaire de M. Ziti, c'est la scène parce que j'ai osé inviter sa famille à une petite célébration à la maison. Il m'informe qu'il s'en va, j'essaye de l'en empêcher, on se dispute, et brusquement il décide de rester mais m'entraîne alors dans la chambre. Je lui dis en riant qu'il va me faire un bébé, et il répond "tant pis". Le lendemain, je sais déjà que je suis enceinte.

Quinze jours plus tard, il prend ses meubles et m'annonce qu'il va s'installer à Brooklyn, New York, Etats-Unis d'Amérique. Je me retrouve seule et décide d'arrêter définitivement de tenir à jour mon journal quotidien qui existait depuis 1972 sous diverses formes.

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