J'ai embarqué mes deux trésors dans la voiture et je suis partie un peu comme quand je partais à l'aventure, sans avoir l'impression que c'est un coup de poker, mais l'invitation de Nora était tellement tentante. Huit heures de route qui se passent drôlement bien, les enfants sont ravis, le temps est de la partie, plus on avance plus ça sent le printemps, on s'arrête toutes les deux heures, je passe un coup de fil à Nora et on se marre autant que quand on est sur ICQ pendant des heures, sauf que là, je conduis et je ne sais pas trop où je vais.

Bill m'a plantée dans les directions, je passe Richmond et j'ai raté la sortie qui va chez eux, cinquante miles de trop, ça en fait des kilomètres à ravaler dans l'autre sens, et maintenant il fait nuit noire, je déteste ça, les autoroutes américaines me terrorisent et leurs échangeurs sont des cauchemards. Nora est trépignante d'angoisse sur le pas de son condo, cigarette au bec, j'avais pensé à tout sauf à ça.

La première nuit, je n'arrive pas à dormir, pas parce que je ne suis pas dans mon lit, mais parce que tout empeste, le matin je me réveille et je tousse. Les enfants, non, alors je décide quand même de rester. On se paye des fous-rire salutaires et je me détends. Le soir, incroyable, Estac m'appelle comme si de rien n'était, il y avait longtemps qu'il n'avait pas été si charmant. Nora a une drôle de vie entre l'ordinateur, la télévision, ses cigarettes, un coup de rouge, son mari et sa cuisine. La maison est impeccable et le petit chien rigolo comme tout, les enfants cavalent de haut en bas, et sont bien partout. Je décide quand même de rentrer le vendredi, je n'aurais pas pu passer le chabbat avec l'odeur de la clope, c'était au dessus de mes forces.

A notre retour, tout va à peu près bien pendant le mois qui suit. Estac est même de nouveau un peu amoureux de moi, peut-être que je devrais partir plus souvent, mais ça ne me vient même pas à l'esprit, M. Ziti est très accaparant et M. Zebu aussi. Depuis le dernier séjour d'invités, j'ai préféré rester dans la chambre d'amis plutôt que de me faire réveiller tous les matins à l'aube quand Estac finit par venir se coucher. Je prépare les vacances d'été, un voyage de plus intercontinental avec les enfants et sans aucune aide. Arrivée à Paris, au téléphone avec Estac, il m'intime de rester où je suis et de ne pas revenir, je suis hors de moi, et je lui intime à mon tour d'appeler un chat un chat et d'avouer qu'il nous fout à la rue. Je rentre furieuse fin juillet, et plus rien ne s'arrangera plus jamais.

Pendant notre absence, il est allé consulter un avocat, s'est aperçu du danger qu'il y avait pour lui à demander le divorce avec la loi américaine qui me protègerait, et opte pour une nouvelle stratégie que je ne vois dans un premier temps absolument pas venir. Il accepte enfin qu'on voie un conseiller conjugal, depuis trois ans que je l'en suppliais, et à ma grande horreur je m'aperçois qu'il l'embobine dès la première séance, travestissant la vérité à un point horripilant et me voilà clouée sur place. La conseillère suggère fortement que l'on se sépare pour éviter les violences, et du jour au lendemain comme s'il avait préparé tout ça de longue date, le voilà parti à Manhattan où il s'installe dans un studio le 4 septembre.

Une semaine plus tard, j'appelle pour être sûr qu'il était à son travail sain et sauf en dehors de Manhattan. Il m'envoie paître. Mais deux heures plus tard il me rappelle parce qu'il ne pourra pas rentrer chez lui, tout étant bouclé jusqu'au-delà de la 18° Rue, et froidement je lui dis de se démerder avec ses collègues de bureau. Je suis tétanisée devant mon petit écran toute la nuit et j'ai du mal à imaginer ce qu'il doit vivre de son côté. Il a décidé qu'il ne voulait pas vivre avec moi quand ça allait bien, je ne veux plus qu'il vienne se réfugier dans mes jupons quand ça va horriblement mal. Tout un univers s'écroule et cette fois-ci je le vois en direct.