La propriétaire de la maison verte est une vraie foldingue. Les voisines m'avaient prévenues mais je n'avais guère le choix, et on croit toujours que les papotages de voisinage sont des rumeurs exagérées. Parfois on en rit, parfois j'ai envie d'en pleurer tellement elle attige. Les confrontations finissent par l'éloigner jusqu'au terme du bail qu'elle ne renouvelera pas comme prévu, ce qui ne me gêne nullement parce que le loyer est exorbitant et cette solution n'était que passagère le temps que je puisse me retourner et avoir les papiers nécessaires à m'établir en bonne et due forme.

A quelques jours près tout se passe bien. J'ai toujours eu confiance dans ma bonne fortune et nous trouvons un petit appartement parfaitement convenable dans le complexe de condominium de la ville, je vais devenir propriétaire, ce sera chez moi, je n'en reviens pas, personne n'en revient, à croire que tout le monde faisait semblant d'y croire, mais au fond, ils croyaient vraiment tous que jamais je n'y arriverais ?

J'ai mon (tout) petit business, j'ai mon appartement, je vais enfin recevoir nos permis de résidence permanents. Je n'entends quasiment plus parler du père des enfants, qui cependant vient à New York pendant l'été et leur rendra une ou deux visites (l'une des deux étant arrangée en sorte que c'est moi qui fais tous les trajets, l'autre étant si courte que je ne m'en suis même pas aperçue, mais nous en garderons un très chouette ballon de foot rose que Monsieur Zebu adore).

Tant d'années de tensions ne semblent pas pouvoir se résorber sans dommages. Je sais bien que je suis vidée de substance et que je n'en peux plus. Mais il me reste encore une bonne cinquantaine d'années à devoir tenir, alors ce n'est pas le moment de s'avouer vaincue. Je fais comme si de rien n'était et je célèbre chaque minute comme une victoire. J'ai le coeur si serré qu'il n'a plus de place pour jamais se réjouir. J'ai rejoint la chorale de la synagogue, et petit à petit j'y fais mon nid, pour me faire consoler. C'est la première fois depuis sept ans que je refais quelque chose uniquement pour moi.