Estac est revenu s'installer dans la maison qui lui appartient, sans aucun doute conseillé par son avocat de peur que cela fasse la base d'une plainte d'abandon du domicile conjugal à sa charge. Je n'ai nulle intention de quoi que ce soit, et l'assignation que je reçois de France est comme un coup de massue. Je l'assure que je ne partirai pas à Paris, et que je ne me rendrai pas au Tribunal, et je l'assigne à mon tour, aux Etats-Unis cette fois-ci, pour préserver les droits des enfants à continuer à vivre ici.

La guerre est déclarée et elle est sanglante. Le jour où il reçoit l'assignation devant la Supreme Court[1] du Comté, il m'attaque violemment et j'appelle la police. C'est la première fois que j'ai vu dans ses yeux sa décision annoncée qu'il ferait mieux de me tuer et je sais qu'il fait tout ce qu'il décide. Comme à travers un rideau qui s'ouvre, je revois toutes ces années, quatorze ans de mensonges, de tromperies, de confusion, de violences, et je ne l'aime plus. Plus jamais. J'ai en face de moi un étranger qui fera tout pour se débarrasser de moi. Je n'ai jamais existé, et maintenant que je me mets en travers de son nouveau plan de vie, il faut m'éliminer. Je serai seule désormais.

Je fais front dans un état de panique indescriptible. L'essentiel pour moi est que les enfants aient la même maman vivante qui les met au bus le matin, qui les dépose à la nursery school et participe à toutes les petites fêtes, qui prépare les repas et les câlins. Mes conversations téléphoniques sont toutes espionnées à partir d'un autre poste et je mets un temps fou à m'en apercevoir. A quelques mois de sa convocation pour obtenir la nationalité américaine, il plante tout, rentre en France pour la seconde fois de l'année, et écrit à l'Administration qu'il annule nos pétitions pour l'obtention de nos papiers de résidence : nous devenons tous les trois illégaux sur le sol américain, et c'était le but de l'opération.

Je me tourne vers un autre avocat spécialisé dans les questions d'immigration. Il prend mon dossier en mains et me confie à une adorable jeune femme qui me fera autant de bien qu'une thérapeute. Elle monte mon dossier de main de maître. Estac qui a vent d'une conversation à ce sujet avec l'avocate du divorce prend la mouche parce qu'il comprend que je vais pouvoir bénéficier d'un statut de conjointe maltraitée et cela lui redonne du feu pour redoubler les plaintes devant la Supreme Court : désormais je suis accusée d'être une schizophrène droguée dangereuse, qui le bat et autres avanies que jamais je n'aurais crû possibles entre parents de mêmes enfants. Et pendant ce temps, les avocates sont persuadées qu'il est tellement plein aux as que cela vaut la chandelle de pousser le bouchon toujours tant et plus. Je suis atterrée. Et consignée sur le territoire US tant que ma situation ne sera pas régularisée ce qui peut prendre des années et des années. Je venais tout juste d'obtenir une carte de sécurité sociale, tout est à reprendre à zéro, j'existe à peine.

Notes

[1] équivalent du Tribunal de Grande Instance