mardi 7 février 2023

15 : 1978/1979 le lycée, (enfin ?) femme mais épuisée

lieu(x) d’habitation : Taverny (95) logements : petits pavillons en série

À l’heure (2023) où j’écris, je n’ai pas le souvenir sans faire de recherches dans mes carnets, d’où nous avions passé les vacances d’été entre ce qui était pour moi la fin du collège et le début du lycée. Je sais que nous allions encore du 15 août au 15 septembre en vacances en famille en Italie, pour partie au bord de la mer pour partie à Turin dans un appartement que l’un ou l’autre de la famille nous prêtait (à l’aller) ou à l’hôtel (Cairo, Corso Unione Sovietica) au retour (car chacun était rentré), mais était-ce cette année-là où une autre où nous étions retournés une dernière fois en Toscane à Castiglione della Pescaia, ou à Rimini (pensione Novella, vers le port) ou à San Bartolomeo il mare, dans le petit appartement prêté par mon parrain Zio Michele qui le possédait alors ? Vu de mes presque 60 ans de maintenant, les séjours se confondent. Si j’avais écrit ce billet en 2006, lorsque se déroulait pleinement ce projet des Petits cailloux et ricochets, j’eusse pu remettre tout dans l’ordre avec encore une relative facilité. Mais à présent c’est comme si ces souvenirs c’était désindéxés : présents et encore vifs mais non précisément datés.

Je n’appréhende pas trop l’entrée au lycée, jusqu’à présent en classe j’ai tout franchi haut la main. Je suis heureuse d’accéder à un niveau supérieur de connaissances. J’ai été déléguée de classe au collège une année et je me souviens d’un favoritisme de passage éhonté envers les garçons : on leur laissait toujours le bénéfice du toute (OK il n’a pas de bonnes notes mais il va s’y mettre et il sera doué) tandis qu’on barrait la route à des filles de meilleur niveau (elle travaille dur mais elle n’a pas l’esprit scientifique, elle ne suivra pas en C (la session Maths et physique de l’époque). Je me souviens d’avoir tenté de protester, en vain (l’argument à l’époque était que les délégués n’avaient pas le droit de discuter de cas individuels, nous étions au mieux supposer apporter une information que l’intéressée nous aurait confiée pour qu’on la communique (par ex une perturbation familiale expliquant le manque de travail)). Pour ma part, je n’ai pas ce souci, tête de classe incontestée.

Je suis un peu triste de n’avoir pas pu prendre l’option grec, seulement voilà le grec et le latin étant communs à des élèves de toutes les classes il sont casés sur l’heure de déjeuner ou tard en fin de journée. Et donc souvent aux mêmes horaires, ce qui fait qu’il est matériellement impossible de s’inscrire aux deux.

Au premier jour première heure, c’est un petit monsieur qui se présente en mode : Vous savez qui je suis, ma réputation n’est plus à faire avec moi vous bosserez dur, mais si vous faites l’effort vous aurez votre bac dans les meilleures conditions. Il semble sorti d’un film d’à peine après guerre, a tout du vieux garçon, moi qui n’ai ni grande sœur ni grand frère pour m’éclairer, ni personne de mes potes de quartier qui a fait une section “C” au lycée, j’ignore tout de qui il est, je perçois simplement un frisson général d’appréhension. À une interclasse plus tard, j’apprendrais qu’il se nomme monsieur Chrétien, le très redouté monsieur Chrétien, réputé pour saquer les élèves. Je ne suis pas froussarde, me dis qu’au moins un type comme ça doit faire ses cours au carré, qu’on ne perdra pas de temps en vains débats (1), on bossera.

Mon prof de français est un certain Bruno Plane et j’ai eu sa femme en initiation au latin au collège et je me dis Chic alors si il en sait autant qu’elle, ça sera trop bien. D’emblée, il nous parle comme à de jeunes adultes et pas comme à des adolescents à mater, et je me sens bien avec cette façon. Je me souviendrai de certains de ses cours toute ma vie. Il racontait avec humour, nous offrait la culture que pour la plupart d’entre nous à la maison nous n’avions pas eue. Les cours de latin où il nous parlait beaucoup de civilisation romaine et l’air de rien de philosophie de la vie, seront mon bonheur de chaque semaine. Et les versions latines, sur lesquelles j’étais capable de passer un temps fou, les bons moments de mes dimanche après-midi. Par. Plaisir.

En physique chimie nous avons un grand gaillard à la voix forte et aux cheveux roux un peu tout fous, passionné par sa matière. Les élèves “scolaires” auront du mal avec lui, mais moi qui étais en plein dans ma vocation physicienne, je me régale. Longtemps plus tard je retrouverais, sur les devoirs maisons qu’il nous faisait faire en petits groupes de trois, ses commentaires humoristiques sur mes développements où j’en profitais pour vanner aussi (la résolution sérieuse étant bien évidemment faite).

En philo, nous avons un gars hyper zen qui ne tient pas la classe, il considère que c’est à nous d’être discipliné. Son cours ayant lieux hélas pour lui de 10:30 à 12:30 après les deux heures de sports dont nous revenons excités comme des puces, il se contente souvent d’accepter les gâteaux secs de l’après sport que nous partageons avec lui, en attendant que le calme revienne. Au programme il y a “Cinq leçons sur la psychanalyse” et j’en retiens que c’est clairement trop un truc de bourgeois (cathos).

Le prof d’anglais est d’un niveau en dessous, j’ai l’impression d’en savoir plus que lui. C’est l’un des rares cours où je ferai tout autre chose (les devoirs d’une autre matière) en même temps, tellement ça va, à mon goût, trop lentement. Mais je suis sympa : je ne rajoute pas au bruit ni au chahut ambiant.

L’histoire géo me déçoit un peu. En troisième au collège j’avais un prof charismatique, passionnée, fou de Robespierre, et qui nous racontait la révolution française comme si on y était. Alors ce prof de lycée qui, par suite d’un mauvais tuilage entre des réformes de programmes, commence par nous faire ré-étudier la révolution française, cette fois-ci très platement, ne parvient pas à m’intéresser plus que ça à sa matière. Pendant ces années de lycée, je me contenterai de lire les manuels d’histoire et géo au petit-déjeuner et ça ira pour les interros, et même le bac (allez, un petit effort en plus pour la géo où il fallait quand même mémoriser des quantités de trucs industriels produits par pays ou de matières premières extraites). En même temps, c’est plus facile pour nous que pour les générations d’après : à l’est, tout l’Est, c’est un gros bloc rouge qui s’appelle l’URSS avec des plans quinquennaux et des bakous, c’est tellement grand qu’il y a de tout, en Sibérie il fait très froid, et zou.

Le foot en club s’est terminé pour moi faute d’équipe mais je retrouve mes potes à “la zone” (verte) dans notre quartier de pavillons, derrière, et nous jouons les dimanche ; entre temps ils ont été dégoutés du foot en équipes officielles où ils n’étaient que dans la 2ème ou 3ème de leur catégorie d’âge et souvent sur le banc (des remplaçants). La plupart de mes potes n’est d’ailleurs pas montée au lycée mais s’en va vers des formations courtes. Les jeunes piaffent de gagner leur vie, la voiture, le permis, les virées, les sorties, ne plus avoir de devoirs à faire, quitter la maison familiale, voler de ses propres ailles, ça leur paraît enviable. Le spectre du chômage pointe son nez, mais ce n’est rien par rapport à ce qui s’ensuivra. On est encore dans une époque où si le père présente son fiston ou celui d’un voisin à l’usine, à l’essai on le prendra et s’il est bosseur, il fera son chemin. C’est ce qu’on croît. Les parents de la générations de nos parents ont eu des éducations à la dure et sont eux-mêmes peu coulants. La relation parents - enfants est empreinte de beaucoup d’autorité. Les jeunes n’ont donc qu’une envie : à 18 ans, je me casse. Et certains gars sont presque soulagés d’avoir leur service militaire à faire car ils ne seront plus obligés d’aider (à un boulot parental ou à la maison aux corvées) et qu’ils seront enfin libres, qu’on les considérera au retour comme des hommes, des vrais. Moi qui ai été biberonnée aux récits glaçants de pensionnat de mon père, je ne sais imaginer une caserne que comme un pensionnat en pire, alors je suis pour une fois bien contente d’être une fille et de n’avoir pas pour perspective d’aller perdre un an de ma vie, dans un uniforme, à devoir obéir et à marcher au pas.

Je continue le tennis, des cours collectifs en extérieur même l’hiver, sans faire partie de l’équipe “compète”. Nous allons au printemps à Roland Garros avec le club. Ma mère qui est à fond dans le club fait partie de la virée. On y va en car. C’est joyeux. Des potes sont fiers de s’être faits engueuler par Connors. J’ai aimé pouvoir me faufiler partout, à l’époque un billet unique donne droit à l’accès général et aux gradins du central, lequel n’est qu’un court un peu grand.

Je continue le piano, hors conservatoire qui prenait trop de temps. C’est une prof particulière qui vient à domicile (je crois que ce sont seulement les années suivantes que je prendrais mon petit vélo pour filer jusqu’à Saint Leu, 6 km pour 1h de piano chez une dame encourageante). Mon travail n’est pas assez assidu, je n’ai pas eu le déclic pour piger qu’à force de répétition on franchit les obstacles. Alors je joue en me laissant embarquer dans mon niveau d’interprétation hasardeux en trébuchant toujours aux mêmes emplacements de la partition.

Les trajets ont lieu à vélo et parfois je laisse mon sac dans la salle de latin car j’ai à peine le temps en 45 mn de pédaler à toutes blindes jusque chez moi, enfiler un truc en 15 mn (pas de micro-ondes à l’époque), repartir fissa. Un jour je me fais voler ma trousse avec mes chers stylos plumes de toutes les couleurs dedans. C’est la deuxième fois que cela m’arrive, au collège j’avais été victime d’un vol similaire pendant le sport. Je suis contente toutefois de ne plus manger à la cantine (au collège c’était le cas), de croiser ma sœur le midi, de manger de bonnes choses - ma mère cuisine fort bien -.

Mes règles surviennent en cours de cette année là, j’en suis à la fois soulagée (tout suit son cours, c’est bien comme ça) et bien embêtée car ça me gave de devoir me méfier sans arrêt de ne pas soudain saigner (2). Les serviettes hygiéniques de l’époque sont très épaisses, mais je n’en continue pas moins à porter la plupart du temps des pantalons.

Les camarades vont souvent au café Chez Mimi qui à 1 km du lycée, le long d’une voie sans charme est le plus proche du lycée. Je n’y vais pas : pas de sous, pas d’appétence pour les odeurs de tabac, trop de choses à apprendre. Je ne bois guère d’alcool que lors des banquets familiaux où l’on fait goûter aux plus jeunes (en ce temps-là). Ma santé étant fragile je suis méfiante envers tout ce qui pourrait l’altérer.

Les loisirs principaux sont le ciné et la télé. Quant à la lecture, elle occupe tout mon temps sauf ce qui est consacré à autre chose par nécessité. Je lis bien au delà des recommendations scolaires. C’est mon bonheur et mon seul tourment (poser le livre pour bûcher mes cours).

Je crois que sur le moment c’est une année super sérieuse, entièrement vouée au boulot (scolaire), mais sans grave souci, si ce n’est que ma petite sœur semble avoir encore moins bonne santé que moi. Il me semble me souvenir que mes parents se disputent moins, peut-être parce qu’en raison (grâce à) l’inflation, le poids du prêt pour la maison est moins fort et que mon père a pu abandonner ses “piges” du soir, ses double-journées. Il va un soir par semaine (à la mémoire, le lundi) courir dans un stade près de l’usine, là où s’entraînent les équipes de l’usine, et visiblement ça lui fait du bien. Il y a entre eux une sorte de status quo. Donc je n’en ai pas conscience parce que c’est une année de sans arrêt devoir s’y coller, sans relâche ou rarement, mais c’est une année heureuse, une année normale. Même si je lutte contre la fatigue, sans arrêt et que les saignements quand ils surviennent m’épuisent.

Les moments de fêtes se sont les retrouvailles familiales : l’été pour l’Italie, de loin en loin avec Zio Pierro un de mes oncles qui vient à Paris “pour le boulot” qu’il a chez Fiat de haut niveau, et aux petites vacances et week-ends prolongés avec ma famille maternelle, grandes tablées chez nous ou en Bretagne ou en Normandie. J’adore mes cousins et cousines, quand on se voit je me réjouis, j’ai une sensation que c’est la belle vie.

(1) Les années 70 sont une époque où l’on débat de tout, tout le temps, y compris en classe. J’aime bien le côté démocratique et parfois marrant, mais je trouve ça fatigant et source de perte de temps. À cause de gens qui aiment bien faire leurs intéressants alors qu’ils sont creux et de personnes qui auraient des choses constructives à dire mais ne parviennent pas à prendre la parole en public. (2) Les premiers temps sont très irréguliers.

vendredi 20 janvier 2023

1986-1987 : Chambardements

Je fête mes trois ans début juin. Pour m’acclimater à l’école, j’y vais pendant un mois, avant les grandes vacances. Je n’ai qu’un seul souvenir de ma première institutrice et il est inquiétant. Une dame imposante et légèrement menaçante se découpe à contre-jour dans un couloir un peu sombre  […]

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dimanche 6 novembre 2022

1972 : un cadeau ?

Il faisait froid ce jour-là comme tous les jours qui avaient précédé. La route vers la maternité s'ouvrait entre les arbres givrés, superbes ; Noël s'annonçait bien. Ce matin-là, vers 7h30 vit débarquer un être tout fripé, en pleine forme, que les sages femmes s'empressèrent d'appeler Noël, au grand  […]

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14 : 1977/1978 l'année du sport

lieu(x) d’habitation : Taverny (95) logements : petits pavillons en série Cette année de 3ème est pour moi une année d’être en forme, de faire beaucoup de sport, comme j’aime et d’avoir le bonheur d’un voyage scolaire à Langenhagen près de Hanovre. Je suis encore dans un corps plutôt enfantin et ça  […]

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vendredi 4 novembre 2022

1985-1986: Premiers souvenirs

Mon plus ancien souvenir date, je crois, de cette année-là. Je suis chez mes grands-parents, dans une entrée assez sombre. Un escalier qui me semble très haut et très raide part sur ma gauche. Il y a peut-être une petite fenêtre en haut des marches. Et une porte en face de moi, je crois. Je ne sais  […]

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dimanche 30 octobre 2022

1984-1985: Jumelles

J’ai réalisé après avoir écrit mon premier texte que je n’y parlais presque pas ''de moi'' Mais moi, sans les souvenirs, c’est quoi ? Des discours à propos de moi. Les mots des autres. J’ai vécu mes premières années sur la colline de Fourvière, à Lyon. Mais mes parents rénovaient sur leur temps  […]

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mercredi 26 octobre 2022

1983-84: Au tout début

Je suis née.   Quatrième enfant de mon père, première enfant de ma mère. S’interroger sur sa propre naissance, c’est toucher à quelque chose d’avant, qui n’appartient qu’à ses parents. Du prologue, je ne sais évidemment que ce qu’ils m’ont raconté. Qu’elle pensait ne pas vouloir d’enfants, qu’elle  […]

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dimanche 20 avril 2014

13 : 1976/1977 les correspondants et une vocation

lieu(x) d'habitation : Taverny (95) logements : petits pavillons en série L'année de 4ème est pour moi une année d'heureux épanouissement. On nous rajoute des matières, essentiellement des langues et j'ai soif d'apprendre ça. L'anglais que j'aborde en seconde langue est une libération, pas autant  […]

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