Petits cailloux et ricochets2023-02-07T15:12:35+01:00urn:md5:293918c222cac4e77917ece79657296cDotclear15 : 1978/1979 le lycée, (enfin ?) femme mais épuiséeurn:md5:fb4e73cda2c576fa8ce93aaf3ea545da2023-02-07T14:20:00+01:002023-02-07T16:12:35+01:00gilda_fde 19xx à 2006 <p><strong>lieu(x) d’habitation</strong> : Taverny (95)
<strong>logements</strong> : petits pavillons en série</p>
<p>À l’heure (2023) où j’écris, je n’ai pas le souvenir sans faire de recherches dans mes carnets, d’où nous avions passé les vacances d’été entre ce qui était pour moi la fin du collège et le début du lycée.
Je sais que nous allions encore du 15 août au 15 septembre en vacances en famille en Italie, pour partie au bord de la mer pour partie à Turin dans un appartement que l’un ou l’autre de la famille nous prêtait (à l’aller) ou à l’hôtel (Cairo, Corso Unione Sovietica) au retour (car chacun était rentré), mais était-ce cette année-là où une autre où nous étions retournés une dernière fois en Toscane à Castiglione della Pescaia, ou à Rimini (pensione Novella, vers le port) ou à San Bartolomeo il mare, dans le petit appartement prêté par mon parrain Zio Michele qui le possédait alors ? Vu de mes presque 60 ans de maintenant, les séjours se confondent. Si j’avais écrit ce billet en 2006, lorsque se déroulait pleinement ce projet des <a href="http://ricochets.des-blogueurs.org/" title="Petits cailloux et ricochets"><strong>Petits cailloux et ricochets,</strong><em></em></a> j’eusse pu remettre tout dans l’ordre avec encore une relative facilité. Mais à présent c’est comme si ces souvenirs c’était désindéxés : présents et encore vifs mais non précisément datés.</p>
<p>Je n’appréhende pas trop l’entrée au lycée, jusqu’à présent en classe j’ai tout franchi haut la main. Je suis heureuse d’accéder à un niveau supérieur de connaissances. J’ai été déléguée de classe au collège une année et je me souviens d’un favoritisme de passage éhonté envers les garçons : on leur laissait toujours le bénéfice du toute (OK il n’a pas de bonnes notes mais il va s’y mettre et il sera doué) tandis qu’on barrait la route à des filles de meilleur niveau (elle travaille dur mais elle n’a pas l’esprit scientifique, elle ne suivra pas en C (la session Maths et physique de l’époque). Je me souviens d’avoir tenté de protester, en vain (l’argument à l’époque était que les délégués n’avaient pas le droit de discuter de cas individuels, nous étions au mieux supposer apporter une information que l’intéressée nous aurait confiée pour qu’on la communique (par ex une perturbation familiale expliquant le manque de travail)). Pour ma part, je n’ai pas ce souci, tête de classe incontestée.</p>
<p>Je suis un peu triste de n’avoir pas pu prendre l’option grec, seulement voilà le grec et le latin étant communs à des élèves de toutes les classes il sont casés sur l’heure de déjeuner ou tard en fin de journée. Et donc souvent aux mêmes horaires, ce qui fait qu’il est matériellement impossible de s’inscrire aux deux.</p>
<p>Au premier jour première heure, c’est un petit monsieur qui se présente en mode : <em>Vous savez qui je suis, ma réputation n’est plus à faire avec moi vous bosserez dur, mais si vous faites l’effort vous aurez votre bac dans les meilleures conditions.</em>
Il semble sorti d’un film d’à peine après guerre, a tout du vieux garçon, moi qui n’ai ni grande sœur ni grand frère pour m’éclairer, ni personne de mes potes de quartier qui a fait une section “C” au lycée, j’ignore tout de qui il est, je perçois simplement un frisson général d’appréhension.
À une interclasse plus tard, j’apprendrais qu’il se nomme monsieur Chrétien, le très redouté monsieur Chrétien, réputé pour saquer les élèves. Je ne suis pas froussarde, me dis qu’au moins un type comme ça doit faire ses cours au carré, qu’on ne perdra pas de temps en vains débats (1), on bossera.</p>
<p>Mon prof de français est un certain Bruno Plane et j’ai eu sa femme en initiation au latin au collège et je me dis Chic alors si il en sait autant qu’elle, ça sera trop bien. D’emblée, il nous parle comme à de jeunes adultes et pas comme à des adolescents à mater, et je me sens bien avec cette façon.
Je me souviendrai de certains de ses cours toute ma vie. Il racontait avec humour, nous offrait la culture que pour la plupart d’entre nous à la maison nous n’avions pas eue. Les cours de latin où il nous parlait beaucoup de civilisation romaine et l’air de rien de philosophie de la vie, seront mon bonheur de chaque semaine. Et les versions latines, sur lesquelles j’étais capable de passer un temps fou, les bons moments de mes dimanche après-midi. Par. Plaisir.</p>
<p>En physique chimie nous avons un grand gaillard à la voix forte et aux cheveux roux un peu tout fous, passionné par sa matière. Les élèves “scolaires” auront du mal avec lui, mais moi qui étais en plein dans ma vocation physicienne, je me régale. Longtemps plus tard je retrouverais, sur les devoirs maisons qu’il nous faisait faire en petits groupes de trois, ses commentaires humoristiques sur mes développements où j’en profitais pour vanner aussi (la résolution sérieuse étant bien évidemment faite).</p>
<p>En philo, nous avons un gars hyper zen qui ne tient pas la classe, il considère que c’est à nous d’être discipliné. Son cours ayant lieux hélas pour lui de 10:30 à 12:30 après les deux heures de sports dont nous revenons excités comme des puces, il se contente souvent d’accepter les gâteaux secs de l’après sport que nous partageons avec lui, en attendant que le calme revienne. Au programme il y a “Cinq leçons sur la psychanalyse” et j’en retiens que c’est clairement trop un truc de bourgeois (cathos).</p>
<p>Le prof d’anglais est d’un niveau en dessous, j’ai l’impression d’en savoir plus que lui. C’est l’un des rares cours où je ferai tout autre chose (les devoirs d’une autre matière) en même temps, tellement ça va, à mon goût, trop lentement. Mais je suis sympa : je ne rajoute pas au bruit ni au chahut ambiant.</p>
<p>L’histoire géo me déçoit un peu. En troisième au collège j’avais un prof charismatique, passionnée, fou de Robespierre, et qui nous racontait la révolution française comme si on y était. Alors ce prof de lycée qui, par suite d’un mauvais tuilage entre des réformes de programmes, commence par nous faire ré-étudier la révolution française, cette fois-ci très platement, ne parvient pas à m’intéresser plus que ça à sa matière.
Pendant ces années de lycée, je me contenterai de lire les manuels d’histoire et géo au petit-déjeuner et ça ira pour les interros, et même le bac (allez, un petit effort en plus pour la géo où il fallait quand même mémoriser des quantités de trucs industriels produits par pays ou de matières premières extraites). En même temps, c’est plus facile pour nous que pour les générations d’après : à l’est, tout l’Est, c’est un gros bloc rouge qui s’appelle l’URSS avec des plans quinquennaux et des bakous, c’est tellement grand qu’il y a de tout, en Sibérie il fait très froid, et zou.</p>
<p>Le foot en club s’est terminé pour moi faute d’équipe mais je retrouve mes potes à “la zone” (verte) dans notre quartier de pavillons, derrière, et nous jouons les dimanche ; entre temps ils ont été dégoutés du foot en équipes officielles où ils n’étaient que dans la 2ème ou 3ème de leur catégorie d’âge et souvent sur le banc (des remplaçants). La plupart de mes potes n’est d’ailleurs pas montée au lycée mais s’en va vers des formations courtes. Les jeunes piaffent de gagner leur vie, la voiture, le permis, les virées, les sorties, ne plus avoir de devoirs à faire, quitter la maison familiale, voler de ses propres ailles, ça leur paraît enviable. Le spectre du chômage pointe son nez, mais ce n’est rien par rapport à ce qui s’ensuivra. On est encore dans une époque où si le père présente son fiston ou celui d’un voisin à l’usine, à l’essai on le prendra et s’il est bosseur, il fera son chemin. C’est ce qu’on croît.
Les parents de la générations de nos parents ont eu des éducations à la dure et sont eux-mêmes peu coulants. La relation parents - enfants est empreinte de beaucoup d’autorité. Les jeunes n’ont donc qu’une envie : à 18 ans, je me casse. Et certains gars sont presque soulagés d’avoir leur service militaire à faire car ils ne seront plus obligés d’aider (à un boulot parental ou à la maison aux corvées) et qu’ils seront enfin libres, qu’on les considérera au retour comme des hommes, des vrais. Moi qui ai été biberonnée aux récits glaçants de pensionnat de mon père, je ne sais imaginer une caserne que comme un pensionnat en pire, alors je suis pour une fois bien contente d’être une fille et de n’avoir pas pour perspective d’aller perdre un an de ma vie, dans un uniforme, à devoir obéir et à marcher au pas.</p>
<p>Je continue le tennis, des cours collectifs en extérieur même l’hiver, sans faire partie de l’équipe “compète”. Nous allons au printemps à Roland Garros avec le club. Ma mère qui est à fond dans le club fait partie de la virée. On y va en car. C’est joyeux. Des potes sont fiers de s’être faits engueuler par Connors. J’ai aimé pouvoir me faufiler partout, à l’époque un billet unique donne droit à l’accès général et aux gradins du central, lequel n’est qu’un court un peu grand.</p>
<p>Je continue le piano, hors conservatoire qui prenait trop de temps. C’est une prof particulière qui vient à domicile (je crois que ce sont seulement les années suivantes que je prendrais mon petit vélo pour filer jusqu’à Saint Leu, 6 km pour 1h de piano chez une dame encourageante). Mon travail n’est pas assez assidu, je n’ai pas eu le déclic pour piger qu’à force de répétition on franchit les obstacles. Alors je joue en me laissant embarquer dans mon niveau d’interprétation hasardeux en trébuchant toujours aux mêmes emplacements de la partition.</p>
<p>Les trajets ont lieu à vélo et parfois je laisse mon sac dans la salle de latin car j’ai à peine le temps en 45 mn de pédaler à toutes blindes jusque chez moi, enfiler un truc en 15 mn (pas de micro-ondes à l’époque), repartir fissa. Un jour je me fais voler ma trousse avec mes chers stylos plumes de toutes les couleurs dedans. C’est la deuxième fois que cela m’arrive, au collège j’avais été victime d’un vol similaire pendant le sport. Je suis contente toutefois de ne plus manger à la cantine (au collège c’était le cas), de croiser ma sœur le midi, de manger de bonnes choses - ma mère cuisine fort bien -.</p>
<p>Mes règles surviennent en cours de cette année là, j’en suis à la fois soulagée (tout suit son cours, c’est bien comme ça) et bien embêtée car ça me gave de devoir me méfier sans arrêt de ne pas soudain saigner (2). Les serviettes hygiéniques de l’époque sont très épaisses, mais je n’en continue pas moins à porter la plupart du temps des pantalons.</p>
<p>Les camarades vont souvent au café Chez Mimi qui à 1 km du lycée, le long d’une voie sans charme est le plus proche du lycée. Je n’y vais pas : pas de sous, pas d’appétence pour les odeurs de tabac, trop de choses à apprendre. Je ne bois guère d’alcool que lors des banquets familiaux où l’on fait goûter aux plus jeunes (en ce temps-là). Ma santé étant fragile je suis méfiante envers tout ce qui pourrait l’altérer.</p>
<p>Les loisirs principaux sont le ciné et la télé. Quant à la lecture, elle occupe tout mon temps sauf ce qui est consacré à autre chose par nécessité. Je lis bien au delà des recommendations scolaires. C’est mon bonheur et mon seul tourment (poser le livre pour bûcher mes cours).</p>
<p>Je crois que sur le moment c’est une année super sérieuse, entièrement vouée au boulot (scolaire), mais sans grave souci, si ce n’est que ma petite sœur semble avoir encore moins bonne santé que moi. Il me semble me souvenir que mes parents se disputent moins, peut-être parce qu’en raison (grâce à) l’inflation, le poids du prêt pour la maison est moins fort et que mon père a pu abandonner ses “piges” du soir, ses double-journées. Il va un soir par semaine (à la mémoire, le lundi) courir dans un stade près de l’usine, là où s’entraînent les équipes de l’usine, et visiblement ça lui fait du bien. Il y a entre eux une sorte de status quo.
Donc je n’en ai pas conscience parce que c’est une année de sans arrêt devoir s’y coller, sans relâche ou rarement, mais c’est une année heureuse, une année normale. Même si je lutte contre la fatigue, sans arrêt et que les saignements quand ils surviennent m’épuisent.</p>
<p>Les moments de fêtes se sont les retrouvailles familiales : l’été pour l’Italie, de loin en loin avec Zio Pierro un de mes oncles qui vient à Paris “pour le boulot” qu’il a chez Fiat de haut niveau, et aux petites vacances et week-ends prolongés avec ma famille maternelle, grandes tablées chez nous ou en Bretagne ou en Normandie. J’adore mes cousins et cousines, quand on se voit je me réjouis, j’ai une sensation que c’est la belle vie.</p>
<p>(1) Les années 70 sont une époque où l’on débat de tout, tout le temps, y compris en classe. J’aime bien le côté démocratique et parfois marrant, mais je trouve ça fatigant et source de perte de temps. À cause de gens qui aiment bien faire leurs intéressants alors qu’ils sont creux et de personnes qui auraient des choses constructives à dire mais ne parviennent pas à prendre la parole en public.
(2) Les premiers temps sont très irréguliers.</p>1986-1987 : Chambardementsurn:md5:09546cebc85479da587ec32847d67cc62023-01-20T10:06:00+01:002023-01-20T10:10:19+01:00Nasivirude 19xx à 2006198619873 ansà 3 ans <p>Je fête mes trois ans début juin. Pour m’acclimater à l’école, j’y vais pendant un mois, avant les grandes vacances. Je n’ai qu’un seul souvenir de ma première institutrice et il est inquiétant. Une dame imposante et légèrement menaçante se découpe à contre-jour dans un couloir un peu sombre (derrière elle, la lumière du jour, en provenance de la salle de motricité). Elle a des cheveux roux, courts et bouclés.</p>
<p>L’été arrive. Je vis apparemment mal la toute fin de la grossesse de ma mère, et demande à aller passer chez mes grands-parents le temps qui reste avant l’arrivée du bébé, ce qui ravit ma grand-mère.</p>
<p>Je n’ai aucun souvenir de la naissance de Y. début août, et en fait, aucun non plus de ses premiers mois. Une photo le montre tout petit dans les bras de mon grand-père, mon père et moi à leurs côtés. J’ai un air dubitatif, voire légèrement dégoûté.</p>
<p><br />
En septembre, j’entre pour de bon en maternelle. La première de mes vingt-quatre années de scolarité !</p>1972 : un cadeau ?urn:md5:4a8fc51761d36cdd2e8532f3392a4b0e2022-11-06T22:02:00+01:002022-11-06T22:13:33+01:00Hüskerde 19xx à 20060 an1972année de naissance <p>Il faisait froid ce jour-là comme tous les jours qui avaient précédé. La route vers la maternité s'ouvrait entre les arbres givrés, superbes ; Noël s'annonçait bien.</p>
<p>Ce matin-là, vers 7h30 vit débarquer un être tout fripé, en pleine forme, que les sages femmes s'empressèrent d'appeler Noël, au grand dam des parents qui avaient déjà choisi Emmanuel pour prénom. Ils durent se rabattre sur un prénom à la consonance plus dure et toute germanique pour l'allier au Noël déjà annoncé. Un choix qui s'avérerait lourd de conséquence… si l'on croit à l'influence d'un prénom sur le caractère.</p>
<p>Ah ! un bien beau bébé-cadeau, paraît-il, malgré son nez aplati (la risée de mes frères et soeurs, sur le moment). Son père promenant son doigt devant lui, déclara à qui voulait l'entendre que le chérubin à peine sorti avait déjà les yeux grand ouverts sur le monde qu'il venait de découvrir, l'extérieur. Ce qui lui valut admiration de la famille toute entière, bien entendu. Et ne lui empêcha malheureusement pas de devenir myope quelques années plus tard et de devoir porter des lunettes...</p>
<p>Côté vin, 72 fut plutôt une mauvaise année, semble-t-il.</p>
<p>Côté musique par contre, je retiendrai 2 albums incontournables : Harvest de Neil Young, et surtout le superbe Pink Moon de Nick Drake. La voie était déjà tracée.</p>14 : 1977/1978 l'année du sporturn:md5:d6f39bcfed60929a51be887fd43b21c92022-11-06T12:14:00+01:002023-02-07T14:15:43+01:00gilda_fde 19xx à 2006 <p><strong>lieu(x) d’habitation</strong> : Taverny (95)
<strong>logements</strong> : petits pavillons en série</p>
<p>Cette année de 3ème est pour moi une année d’être en forme, de faire beaucoup de sport, comme j’aime et d’avoir le bonheur d’un voyage scolaire à Langenhagen près de Hanovre.
Je suis encore dans un corps plutôt enfantin et ça me convient bien ; je ne parviens pas à comprendre la hâte de mes camarades filles à se souhaiter femmes, je pense très exactement Mais vous êtes donc pressées d’avoir des ennuis ?
À l’époque les serviettes hygiéniques et tampons sont beaucoup plus rudimentaires que maintenant, et moins efficaces pour les seconds, alors c’est compliqué d’être discrètes. Certaines s’en sortent en jouant les drama queens et j’admire leur sens de la stratégie (puisqu’on n’a pas réussies à être discrètes, sur-jouons de ne l’être pas). C’est l’année où de petite pour mon âge, je passe à “taille normale” car ce corps d’enfant continue sa croissance, bravement.
Et c’est l’année du grand bonheur d’avoir enfin trouvé une équipe de foot de filles. Mon amie Valérie T. a eu le tuyau par quelqu’un et s’inscrit aussi. C’est au FC Saint Leu, je dois faire 6 km à vélo pour aller aux entraînements. Je suis immédiatement acceptée comme arrière-gauche et sans être parmi les bonnes de l’équipe (le jeu en club est plus rude sur certains points que le jeu en vagues terrains, même si ce dernier peut finir en bagarres, ce qui n’est pas rien), je tiens mon (petit) rang. Je manque de capacités physiques et à l’époque personne ne sait m’expliquer que ça n’est pas qu’une question native mais quelque chose qui peut se développer. Par exemple faire un footing est pour moi un épuisement (alors que je peux cavaler des heures sur le terrain après le ballon), et tout ce qu’on me dit c’est que c’est peut-être à cause de mes pieds plats. . Si j’avais su à l’époque ce que je sais maintenant, je me serais organisée et les choses en serait peut-être allées différemment.
Je n’ai pas pour autant abandonné le tennis, où l’élargissement de mes capacités physiques du fait des entraînement de foot encadrés et d’une part de PPG (à l’époque on n’appelle pas ça comme ça, c’est simplement une partie de l’entraînement qui vise à travailler le physique, c’est comme faire un peu de footing, ça va de soi), me fait faire des progrès fulgurants.
Bien que ces séances aient lieu en extérieurs par tous les temps - souvenir entre autre d’un entraînement sous la neige avec une part de course à pied dans les champs derrière les terrains, là où la A15 ne passe pas encore ou pas tout à fait (grosse désapprobation parentale, mais je ne tombe pas malade, pas cette fois) -, je m’enrhume plutôt moins que les autres années. Mais hélas ne fait pas le rapprochement. Je me dis juste, C’est bien, je deviens moins fragile en grandissant.
Nous avons un lot de ballons d’entraînements orange assez brutaux, pas moelleux du tout, que j’apprends à apprivoiser peu à peu. Un jour une camarade qui a tiré un boulet sans voir que j’étais sur la trajectoire, et le temps que je vois le ballon arriver il est déjà en plein dans mon estomac, me fait vivre une expérience de croire mourir, car si je n’ai pas de douleurs (par réflexe j’ai contracté les abdos) j’ai le souffle coupé durant de longues minutes. Cette impression d’imminence de mort (impossible de respirer) me laisse calme, une sorte de résignation un peu triste, quelque chose comme Ah bon, c’est ainsi. Bon, au moins ça ne fait pas trop mal.
Et puis : On meurt jeunes, dans la famille (je pense à mon cousin Pierino mort accidentellement quand j’allais sur mes 6 ans).
À un moment, le souffle revient ou plutôt redevient possible, et je m’aperçois que le monde autour avait l’air très inquiet. Et je ne comprends pas bien pourquoi.</p>
<p>Lors d’un match nous emportons une coupe. C’est la première fois que je connais une bonne grosse joie collective, j’adore ça. Comme nous ne sommes “que” des filles, notre trophée est une vieille coupe un peu déglinguée, qui de passer de mains en mains dans le vestiaire, se scinde en deux morceaux, le socle et le pied détaché du reste.
On rigole mais on l’a un peu mauvaise quand même. Je suis agréablement surprise de constater que mes coéquipières sont encore plus revendicatrices que moi, qui dans mon environnement quotidien fait figure de presque extrémiste. C’est reposant de n’être plus celle qui est à la tête de la contestation.
L’autre truc qu’on n’a pas comme les garçons, ce sont les déplacements en cars. Il nous faut trouver des parents de bonne volonté avec des voitures assez grandes pour s’y entasser. Et comme mes parents n’approuvent pas mon inscription au football (je n’ai obtenu en luttant qu’un Bon d’accord, mais tu te débrouilles, voilà les sous pour l’inscription, les sous pour la tenue et le reste c’est à toi de voir), impossible de compter sur eux.
C’est tellement de la débrouille à tous les étages pour que vive la section filles, que les entraîneurs qui sont assez âgés prendront en fin de saison leur retraite et malgré nos bons résultats, personne ne daignera prendre la relève. Je suis profondément attristée, je venais enfin d’accéder à mon rêve et l’accès disparaît. Le plus proche club est à Domont, 10 km au moins et une colline à franchir. À vélo, avec des horaires limités (je continue la musique, le tennis) ça ne peut pas fonctionner. Il est hors de question que j’ai une mobylette. Et puis Domont, c’est le club fort de la région, s’y inscrire signifiera sans doute rester longtemps sur le banc de touche.
Alors à la fin de la saison 77/78, faute de club, je devrais à nouveau renoncer.</p>
<p>Entre temps il y aura eu l’histoire de la photo dans le journal. Le jour où nous avions emporté la coupe, nous avions eu droit à une photo avant le match, ce qui me paraissait parfaitement normal car je l’avais toujours vu faire (mais pour les gars, et selon ma bonne habitude je ne m’étais jamais posée la question que ça puisse être pour nous différent). Je pensais que c’était pour accrocher dans la salle du club, là où l’on met les trophées, il y a presque dans chaque club une sorte de galerie.
Et puis voilà qu’à mon retour d’Italie au retour des vacances d’été, les copains du quartier se précipitent, Hé tu es dans le journal. Notre équipe s’était trouvée dûment mise en valeur pour sa victoire, la photo était une photo officielle. Je m’en foutrais si ça n’avait à ce point un goût de juste retour des choses, car la peine ressentie en 6ème lorsque tous les garçons avaient pu s’inscrire au club local et moi pas ne s’est jamais éteinte, malgré le fait d’être un peu plus tard parvenue à mes fins. Ça me fait chaud au cœur, je ne m’y attendais pas (du tout), que les potes semblent si fiers de moi. Ce ne sera que très longtemps plus tard que je mesurerais qu’ils s’étaient plutôt bien impliqués à défendre ma présence sur le terrain à leur côté lorsque nous jouions en équipes de quartiers informelles sur notre terrain de la “zone verte”, et que cette photo leur donnait raison face aux petits mecs de la cité voisine, lesquels en étaient restés à Oui mais une fille ça joue pas au foot.
Les copains pouvaient désormais dire : Oui mais si, même qu’il y a sa photo dans le journal.</p>
<p>Victoire un peu triste puisque je sais qu’à la saison suivante je serai à nouveau sans club.
Les copains, de leur côté, abandonnent peu à peu le leur où beaucoup n’ont pas de place de titulaires dans l’équipe première de leur âge. On reviendra jouer sur notre terrain.</p>
<p>Au printemps, voyage d’échange scolaire à Hanovre. Je suis accueillie dans la famille d’une correspondante que je ne connaissais pas encore (car l’année d’avant nous avions reçu un gars, lequel ne participe pas à cet échange l’année d’après (peut-être a-t-il quitté ce collègue ?)), très sympa et sa famille aussi. Et le gag est que son frère aîné se révèle n’être autre que le grand charmeur de l’année passée, celui qui avait fait des ravages dans les cœurs de mes camarades, au moins plusieurs d’entre elles. Je n’ai pas compris (ni à l’époque ni a posteriori) à quoi ça tenait, il n’avait pas un physique exceptionnel, c’était un gars normal bien. Peut-être plus gentil, attentionné, que les autres du même âge ? Plus disponible ? Pour moi d’entrée de jeu il est une sorte de grand frère qui parlerait français avec un accent. Ça ne sera pas la première fois que je serais d’une imperméabilité totale de ce côté-là au charme d’un grand charmeur. Même si comme “grand frère”, il est extra.</p>
<p>Je n’ai aucun souci à me faire pour mon passage en seconde, j’irai au lycée public du coin, et je survole selon ma technique qui consiste à bucher dur et sans relâche et que forcément ça paie (puisque je sais beaucoup plus large que ce qui est requis). Il n’y a qu’en sport scolaire où je suis nulle comme quelqu’un qui n’aimerait pas le sport et n’en pratiquerai pas alors que j’adore ça. Quand nous pratiquons l’athlétisme, je finis au bord du malaise malgré des performances très basses. Nous sommes allées ma mère m’accompagnant, voir notre médecin de famille, mais ça ne va jamais plus loin que de dire que je suis anémiée, que ça n’est pas grave et l’on me file du fer (ce qui est une erreur dans mon cas) ou des ampoules.
Des décennies plus tard, lorsque je viderai la maison de mes parents je trouverai leurs dossiers médicaux. Pour la thalassémie, mon père s’en savait atteint depuis que j’avais 10 ans. C’était avant les internets personne n’avait dû lui dire que ça pouvait toucher ses filles aussi, ni ce que ça pouvait faire en vrai. Alors je reste la fille douée, dynamique mais molle, perpétuellement épuisée et qui se bat sans arrêt pour faire comme tout le monde (en croyant quand même un peu que tout le monde, aussi, est fatigué, mais que les autres savent mieux “faire avec”).</p>1985-1986: Premiers souvenirsurn:md5:04390b06daa76af43991b55b1f5795172022-11-04T22:18:00+01:002022-11-04T22:34:55+01:00Nasivirude 19xx à 200619851986à 2 ans <p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">Mon plus ancien souvenir date, je crois, de cette année-là.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">Je suis chez mes grands-parents, dans une entrée assez sombre. Un escalier qui me semble très haut et très raide part sur ma gauche. Il y a peut-être une petite fenêtre en haut des marches. Et une porte en face de moi, je crois.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">Je ne sais même pas si c’est mon souvenir que je raconte, ou le souvenir de mon souvenir. C’est en tout cas l’un des seuls souvenirs de ma très petite enfance qui ne soit pas imprégné d’une très forte émotion.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%"> </p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">Dans un autre sans doute un peu plus tard, je cours pour rattraper mes grands-parents, qui m’ont un peu distancée sur une route. Je tombe, un caillou pointu m’entaille profondément le genou. J’ai sans doute pleuré, mais je ne m’en souviens pas. Juste de la course et de la chute.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">J’ai toujours la cicatrice.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%"> </p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">Dans un troisième, je cours, pleine d’allégresse, dans les coursives de l’Université Lyon II, où travaille mon père. Il m’y emmenait quelques fois, et je fréquentais de temps en temps la halte-garderie (oui, il y avait une garderie à Lyon II dans les années 80. Je ne sais pas si vous vous rendez-compte, je n’ai jamais revu ça dans aucune fac...)</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">J’ai eu quelques cours dans ces locaux, pendant mes premières années d’études. Mais le sentiment de familiarité que j’ai avec ces lieux, et l’affection que j’ai pour eux, date de l’époque où je n’avais aucune idée de ce qu’on y faisait. Il y avait juste de longues coursives vides, le soleil entre les barreaux des balustrades, les jardins.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%"> </p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%"> </p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">Ma mère est enceinte de mon frère, cette année-là. Je n’en ai, pour le coup, aucun souvenir.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%"> </p>1984-1985: Jumellesurn:md5:7fc4954f4437fdb6c7dd33b84a0c6e6d2022-10-30T23:02:00+01:002022-10-31T11:48:18+01:00Nasivirude 19xx à 20061 an19841985à 1 an <p>J’ai réalisé après avoir écrit mon premier texte que je n’y parlais presque pas ''de moi''<br />
Mais moi, sans les souvenirs, c’est quoi ?<br />
Des discours à propos de moi. Les mots des autres.</p>
<p><br />
J’ai vécu mes premières années sur la colline de Fourvière, à Lyon. Mais mes parents rénovaient sur leur temps libre, une vieille maison en Isère, dans l’idée de s’y installer un jour. Il s’agissait d’un des bâtiments d’une vieille ferme, possédée par un couple de leurs amis. Les Blaches. ''On va aux Blaches''.</p>
<p>Nous y passions donc souvent les week-ends et une partie des vacances, quand j’étais toute petite. J’ai beaucoup de souvenirs plus tardifs de cette maison, dans laquelle nous sommes souvent retournés même après que mes parents ont renoncé à leur projet. Elle est à l’origine de mon amour pour les vieilles baraques de campagne poussiéreuses, dont toutes les pièces sont pleines de bric et de broc et de vieux livres. Mais je n’ai pas de souvenir personnel de là-bas avant mes 4 ans.</p>
<p>J’en ai beaucoup entendu parler, en revanche. La famille des amis de mes parents étaient haute en couleur, et nombre d’anecdotes appartenant à la légende familiale datent de ce temps-là.</p>
<p>Une ambiance sonore. Le son des violons malmenés par les enfants qui débutaient. Les aboiements du montagne des Pyrénées de mon père, et de celui des amis. Les pigeons. <br />
Les déconvenues de mes parents, aussi, qui se formaient sur le tas à tout un tas de techniques manuelles et de bricolage, avec… plus ou moins de succès.</p>
<p>Les conneries des enfants, aussi. Les amis de mes parents avaient 6 enfants, tous un peu surdoués (ou beaucoup), tous musiciens. Tous un peu frappés, je crois. La cinquième d’entre eux, M., avait un mois de plus que moi. Quand nous étions aux Blaches, et tant que le bâtiment que mes parents rénovaient n’étaient pas terminé, nous dormions elle et moi dans la même chambre dans un autre bâtiment, chaque couple parental se trouvant à une extrémité du couloir.</p>
<p>M. et moi avons vite pris l’intéressante décision de pleurer de la même façon. Nos parents se levaient donc en alternance. Et si leur progéniture n’était pas à l’origine du raffut nocturne, ils braillaient « C’est à vouuus ! » avant d’aller se recoucher.</p>
<p>Presque 40 ans plus tard, cela les fait toujours beaucoup rire</p>
<p><br />
Je ne sais pas si M. et moi sommes aujourd'hui amies, ou même copines. Nous nous voyons peu et ne sommes plus très proches, parce que… la vie.<br />
Mais les retrouvailles sont, ont toujours été paisibles et confortables.</p>
<p>De loin en loin, elle reste « ma jumelle ».</p>1983-84: Au tout débuturn:md5:6cb8f63a08cd966d48936f91ff8b376c2022-10-26T17:58:00+02:002022-10-26T17:02:46+02:00Nasivirude 19xx à 20060 an19831984année de naissance <p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">Je suis née.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%"> </p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">Quatrième enfant de mon père, première enfant de ma mère.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">S’interroger sur sa propre naissance, c’est toucher à quelque chose d’avant, qui n’appartient qu’à ses parents.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">Du prologue, je ne sais évidemment que ce qu’ils m’ont raconté. Qu’elle pensait ne pas vouloir d’enfants, qu’elle avait peur d’être aussi toxique que sa propre mère. Qu’il a insisté, lui qui était déjà trois fois père, parce qu’il avait peur qu’elle regrette plus tard ce choix. Et qu’elle a accepté, à condition de prévoir deux enfants, parce qu’elle ne voulait pas condamner son enfant à être aussi solitaire qu’elle l’avait été elle-même. Deux ou rien, c’était le deal.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%">Ce que je crois, moi, c’est qu’il n’a pas eu trop de mal à la convaincre. Leur relation date de fin septembre 1981, et je suis née début juin 1983. Je ne sais plus quand j’ai fait le calcul, mais j’ai l’impression d’avoir toujours su que l’envie d’avoir des enfants pouvait venir vite, dans une histoire d’amour.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%; text-decoration: none">Je suis née d’une asymétrie, d’un père agé de quarante-cinq ans et d’une mère seize ans plus jeune. D’un père normalien, et d’une mère passée par un lycée agricole et une école d’assistante sociale. Sur le papier, c’était pas évident, cette histoire. Mais dans les faits, ça l’a été, évident, pour eux.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%"><span style="text-decoration: none">L</span><span style="text-decoration: none">a légende familiale veut qu’ils aient ét</span><span style="text-decoration: none">é</span><span style="text-decoration: none"> farfouiller dans un de ces bouquins recensant tout un tas de caractéristiques plus ou moins bidon</span><span style="text-decoration: none">s</span><span style="text-decoration: none"> sur les prénoms. Pour le mien, ça donnait :« Il faut s’occuper d’elle, sinon c’est elle qui s’occupe de vous, et c’est pire. » Ca les a apparemment décidés. </span></p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%"> </p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%"><span style="text-decoration: none">Ils m’ont donc prénommée. </span><span style="text-decoration: none">Et m’ont appelée </span><span style="text-decoration: none">ensuite,</span><span style="text-decoration: none"> dès ma toute </span><span style="text-decoration: none">petite</span><span style="text-decoration: none"> enfance, par un surnom que toute ma famille utilise </span><span style="text-decoration: none">depuis</span><span style="text-decoration: none">. Au point que j’ai mis plus de 25 ans à réussir à m’identifier, un peu, à mon prénom. </span></p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%; text-decoration: none"> </p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%; text-decoration: none"> </p>13 : 1976/1977 les correspondants et une vocationurn:md5:ffe608ad5699a118ae00edb2a6a6d2cd2014-04-20T19:39:00+02:002014-04-20T20:21:17+02:00gilda_fde 19xx à 2006 <p><strong>lieu(x) d'habitation</strong> : Taverny (95)
<strong>logements</strong> : <a href="http://www.fotolog.com/gilda_f/21710718" hreflang="fr">petits pavillons en série</a></p>
<p>L'année de 4ème est pour moi une année d'heureux épanouissement. On nous rajoute des matières, essentiellement des langues et j'ai soif d'apprendre ça. L'anglais que j'aborde en seconde langue est une libération, pas autant que plus petite l'apprentissage de la lecture mais quelque chose de cet ordre quand même : j'avais pigé que dans le monde d'aujourd'hui d'alors c'était un savoir dont on ne pouvait se passer. Comme pour la lecture ça me fait l'effet d'un voile qu'on déchire ou qu'on ôte d'un seul coup de quelque chose qui était masqué (je pense à l'inauguration d'une statue au début d'un Chaplin). L'impression de retrouver un pays perdu. Et que tout devient accessible de ce qui était auparavant sous clef. Le latin se fait davantage désirer. J'ai pigé que l'effort de départ, toutes ces déclinaisons serait récompensé par un accès. Alors je m'y applique mais je ne me sens pas très bonne, sauf en versions que je traite à voix haute en imaginant un sens à partir de l'italien.</p>
<p>Notre classe de 4ème est très hétérogène : ont été regroupés des très bons élèves qui comme moi "font" plein de langues et ceux qui au contraire n'en font qu'une seule : anglais renforcé précisément parce qu'ils peinent. L'ensemble me ravit parce que les moins bons sont les plus vivants, les gens trop sages déjà m'ennuient. Je crois qu'hélas très peu profiteront du mélange parmi eux, qu'au contraire écœurés par l'apparente facilité ou au contraire le côté trop bosseurs (et donc des vies peu enviables) des "bons" beaucoup décrocheront. N'empêche que j'en garde le souvenir d'une année joyeuse. Sans doute pas pour les profs.</p>
<p>C'est l'année d'un échange avec l'Allemagne alors encore de l'Ouest comme on pratiquait en ce temps-là. Ma mère fait la grimace : recevoir un jeune teuton pendant une quinzaine va lui apporter un surcroît de travail ; sans doute aussi raviver de mauvais souvenirs - pendant la guerre une pièce de leur maison était réquisitionnée à l'hébergement d'un soldat occupant - mais le black-out sur la guerre a été si fort de la part de ma mère (1) qu'alors je n'en savais rien. J'ignore pour quelle raison, mon goût pour le foot peut-être, nous nous retrouvons à accueillir un garçon (2). Mon père se montre sympathique et oublie de jouer les tyrans. Je m'entends plutôt bien avec notre invité même si une différence d'âge renforcée par mon évolution lente nous place dans une relation de gamine à aîné. Il a lui-même un pote Ugo Bolten qui fait partie de ces grands redoublants qui sont très jeunes trop âgés pour le système scolaire et du coup échouent à y avancer tout en menant déjà une vie de jeune adulte par ailleurs. Celui-ci est musicien et qui venant rendre visite chez nous à son ami Uwe découvre notre vieux piano avec des étincelles dans les yeux. Il viendra et reviendra jouer avec une impressionnante énergie juvéniles jazz classiques, ragtimes et autres boogies-woogies. J'ai encore en mémoire son Mapple Leaf Rag. C'est de la joie dans cette maison souvent triste dans laquelle les adultes ne s'entendent pas. Mais le visiteur a induit une trêve et son ami musicien fait danser les murs. La bouffée de bonheur m'est encore palpable près de quarante ans plus tard.</p>
<p>Après le départ des Allemands, il faudra faire venir l'accordeur. Et ça repartira les engueulades d'argent (3). Seulement de même qu'avec la présence quelques temps de ma cousine Anne lors de mes débuts au collège, la période sans cris m'aura permis d'entrevoir un coin de ciel bleu, qu'une autre vie est possible. Je n'en suis pas encore à prendre conscience que la situation est anormale, me croyant privilégiée : mon père n'est jamais ivre et ne frappe personne. Et par rapport à plein de mes copains, c'est beaucoup chance. "Il est gentil, ton père, au moins". Et nous recueillons celle de nos voisines que son époux frappe et mon père dit Je vais lui parler (à cet homme qui ose lever la main sur une femme) et les femmes (ma mère, la voisine) Non, surtout pas, ça va encore compliquer. Il faut le laisser cuver.</p>
<p>De tout mon égoïsme infantile, je note, cette année-là ou la suivante, dans mon diario que vraiment c'est pas de chance, le voisin a recommencé la veille d'un contrôle de maths, et comment je fais, hein, moi pour finir de réviser et me coucher tôt pour être en forme pour l'épreuve ?</p>
<p>Il faut savoir qu'en ce temps-là et dans ce milieu-là, ouvrier ou à peine un cran au dessus, c'est mal considéré de trop boire et de taper mais encore assez fréquent et vu comme une sorte de fatalité organique masculine. Il est admis que pour compenser la rudesse du boulot, surtout dans le bâtiment, l'alcool est nécessaire, que certains savent moins s'arrêter à temps que d'autres et que parmi ceux-là d'aucuns ont "le vin mauvais". Et on les plaint. On dit "C'est le voisin, il a encore trop bu" soupir, haussement d'épaules, les yeux vers le plafond, fatalité.</p>
<p>J'ai un emploi du temps sans temps morts ; c'est mon choix : j'ai voulu apprendre la musique, dès que je ne suis pas malade je veux faire du sport - quelque chose en moi pressent que le salut vient d'une condition physique irréprochable et refuse de se laisser abattre par une constitution défaillante -. Il m'arrive aussi de vouloir prouver que dans certains domaines par exemple le foot mais aussi monter<a href="http://twitpic.com/e1nol6"> la côte de l'Église</a> en vélo, une fille ne vaut pas moins qu'un garçon. En revanche mes aspirations se retrouvent toujours déviée d'un pas : mon envie de violon a été embarquée vers le piano, mon plaisir de football réorienté par la force des choses puis la volonté maternelle vers le tennis qui est sa nouvelle passion. Je suis très reconnaissante envers mes parents des efforts qu'ils font. En même temps ça me paraît un minimum vital que de vouloir faire tout ça. Sinon<strong> une vie n'est pas complète</strong> (4).</p>
<p>Mes camarades et amis succombent à leur premières amours, je ne comprends pas ce qui les y pousse mais je saisis que c'est plus fort qu'eux. Comme j'ai des copains garçons et filles je joue souvent les entremetteuses pour ce que je ressens comme des gamineries. Bien contente pour l'heure que mon corps m'en mette à l'abris, c'est que j'ai autre chose à faire. Par exemple me préparer à cette vocation de chercheuse en physique nucléaire et quantique qui m'est venue après que mon cousin Vincent m'avait offert un livre illustré sur les atomes pour mon anniversaire et que je sois tombée je ne sais plus comment (peut-être était-ce en 3ème, car vérification faite <a href="http://twitpic.com/e1npbl">l'édition date de 1978</a>) sur un livre où Einstein expliquait la théorie de la relativité. C'est pour moi de l'ordre d'une révélation mystique, une intime conviction : ma vie ne sera faite que de travail et le travail ce sera ça, contribuer à mon tour à faire avancer les choses. Tout me paraît soudain lumineux, le monde se laisse comprendre. Il me semble alors logique et plutôt bienvenue de n'être en rien concernée par l'amour ça serait du temps perdu à moins que plus tard, un autre physicien. Avant même d'avoir lu sur sa vie et son travail je rêve d'une existence à la Marie Curie.</p>
<p>Une seule chose me rend triste : il n'y a personne à qui je puisse vraiment en parler. Personne autour de moi ne s'y connaît. Le tableau périodique des éléments qui me paraît si fascinant semble être perçu par tous comme un truc barbant. Il faudra qu'en seconde j'ai un prof de physique passionné, monsieur Zouzoulas pour comprendre que non, je ne suis pas dingue, ces trucs là peuvent faire rêver. Pour l'heure j'ai l'impression d'être atteinte d'un mal étrange, que se passionner pour ça est le symptôme d'une maladie.</p>
<p>Prudente, et comme je le ferais plus tard avec ma participation au comité de soutien à Florence Aubenas vis-à-vis de mes collègues de bureau dont j'ai senti au début comme une incompréhension désapprobatrice, je me tais. OK, je suis encore tombée dans un truc qui ne peut être partagé.</p>
<p>Cette vocation de physicienne sans avoir la moindre idée de par où passer pour y arriver, sauf d'avoir les meilleures notes possibles en classe me tiendra chaud de 13 à 19 ans. Elle ne sera ni une volonté ni une ambition, mais quelque chose de l'ordre de la vocation religieuse chez certains enfants. Un appel sacerdotal. Et si je doute de mes capacités de santé, pas un seul instant je conçois que mon cerveau a lui aussi ses limites de compréhension. Je sais qu'il faudra bûcher dur, mais crois dur comme fer que rien ne résiste au travail.</p>
<p>Et quand même ça m'aurait bien plu de faire footballeur.</p>
<p>(1) Mon père lui, me raconta pendant ma petite enfance pas mal de "Quand j'étais petit" ; au demeurant pas toujours très drôles. Mais j'adorais ça. Et bien sûr ma mère vint lui faire des reproches, il ne fallait pas parler de la guerre aux enfants. Or il a grandi en guerre et dans un pensionnat donc forcément ...</p>
<p>(2) Il y avait plus de jeunes allemands prêts à l'échange que de garçons français dans notre classe.</p>
<p>(3) Je suis triste de n'avoir pas su épargner un peu les mêmes à mes enfants. Mais pas au point d'une mésentente ; simplement les quelques scènes de ménage auront toujours eu pour venin les difficultés de fins de mois.</p>
<p>(4) À près de quarante ans plus tard je suis toujours poursuivie par ça, comme si l'existence devait être équilibrée à même façon que l'alimentation.</p>1988, année 1 *Respiration*urn:md5:9df67ff98614fb5206fd55482ee45d0f2012-04-29T07:55:00+02:002012-05-03T00:32:45+02:00chatducheshire <p>C’est la première bouffée qui compte.
C’est celle là qui fait un peu mal, et puis qui, en inondant les poumons, petites poches toutes rabougries tel un matelas pneumatique, fait jaillir le cri. Ce cri où se mêlent une sorte de colère primitive, de joie victorieuse et de surprise…C’est cette instantanéité de la douleur autant que son unicité qui étonne… c’est ce changement de milieu aussi brutal qu’agressif qui révolte… D’un coup, l’opposition s’étale, évidente et sans appel entre l’aspect impalpable et désincarné de cette fonction vitale – respirer - et la densité du monde physique, inexorablement et à jamais plus lourd.
Parce que la souffrance qui accompagne la première inspiration va se perdre dans un recoin du cerveau limbique, parce que le reptilien, en bon mécaniste, assure avec une parfaite synchronicité le réflexe, il ne reste plus que quelques larmes qui racontent combien la blague était de mauvais goût…
Voilà…
C’est ainsi que Cela commence ..</p>12 : 1975/1976 "Le clipper de l'an 5555"urn:md5:1b0d1a18a71b6beb8c12c7ef0de486a32012-04-15T21:00:00+02:002012-04-15T21:01:54+02:00gilda_fde 19xx à 2006 <p><strong>lieu(x) d'habitation</strong> : Taverny (95)
<strong>logements</strong> : <a href="http://www.fotolog.com/gilda_f/21710718" hreflang="fr">petits pavillons en série</a></p>
<p>La 5ème est pour moi une année facile, dans mon souvenir 12 et 13 ans sont les âges auxquels on atteint une sorte de plénitude de ce qu'on est, avant de basculer vers une autre dimension de jeu autrement plus compliquée. Je bosse dur mais ça m'intéresse. Pour pouvoir lire le plus possible et aussi rejoindre les copains dehors, même si pour cause d'équipe de foot où ils ont pu s'inscrire et moi pas (parce que fille) nos matchs de rue se sont raréfiés, je m'organise comme une stakhanoviste dans mon travail scolaire, faisant tout à l'avance autant que ça peut et profitant de longues plages de loisir ensuite.
Je progresse en musique aussi, même si les dictées musicales restent pour moi un mystère non élucidé.
La gymnastique aussi me pose quelques problèmes, première apparition du fait que physiquement je suis un peu mal connectée. Danser me semble impossible. Je soupçonne le foot de me convenir de par sa définition même : il n'engage que les pieds. Coordonner mes gestes est quelque chose pour moi de très compliqué. Certaines combinaisons d'attitudes me sont inaccessibles telles que sauter et exécuter une roulade. Il est très perturbant de voir tous les camarades, y compris ceux et celles que le sport ennuie, capables de faire sans trop d'efforts certains gestes et d'être dans l'impossibilité d'en faire autant, malgré d'essayer encore et encore.
Je récolte un 5/20 en sport au trimestre où l'on fait gymnastique, sauvée du zéro par la poutre où je me tiens bien. Ma mère demande à voir la prof qui est flattée et stupéfaite : aucun parent ne se soucie du sport et elle avait pris soin de préciser que c'était malgré de louables efforts.</p>
<p>Comme par ailleurs mon développement physique semble très en retard, sans que ça me tracasse outre mesure je commence à me demander de quelle (autre) planète je viens.
Et puis je suis sans arrêt malade, l'hiver, enrhumée, fièvreuse, certains jours au bord du malaise. Le médecin parle d'anémie. Je prends des fortifiants sous forme d'ampoule. Ça ne change fichtre rien. J'apprends donc à faire avec.</p>
<p>D'autant que je n'aime pas manquer les cours. Avec mes camarades nous héritons comme profs d'une jolie brochette de débutants militants et motivés. Ils savent pourquoi ils enseignent en banlieue, d'autant que la nôtre est assez supportable : les parents sont peu friqués, mais leurs gosses en devenir et de bonne volonté. Par ailleurs l'allemand première langue puis le choix du latin posent dans des classes de bons éléments. Peu de splendides perturbateurs. Il m'arrive parfois de faire le clown, c'est plus fort que moi. Et une façon aussi de secouer la fatigue, qu'alors je n'identifie pas. Je crois alors que tout le monde la ressent comme moi.</p>
<p>À la bibliothèque du collège, je suis parvenue à négocier de n'avoir pas à respecter la division 6ème/5ème d'un côté, 4ème/3ème de l'autre. Je dévore en quelques mois, les "<a href="http://www.sdp-livres.com/livres/li_saf/safa_tt.htm">Signe de piste</a>" sans l'ombre de la moindre idée que certains d'entre eux, mettant en scène d'héroïques scouts bien blancs bien blondinets, véhiculent une idéologie un tantinet rouillée. Qu'il s'agisse de Mik le Chat-Tigre (par Mik Fondal <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Mik_Fondal">dont j'ignorais qu'il fût deux</a>) ou du Prince Éric, je ne vois que le côté aventures sans avoir les parents sur le dos. J'oublie aussi de prendre conscience que le plus palpitant ne concerne encore et toujours que les garçons. Cela dit, dès l'année suivante ou celle d'après, ils me paraîtront "bébé".</p>
<p>Une de mes amies de classe, Christèle, se casse une jambe ou une cheville et je m'offre spontanément pour l'accompagner (1). J'apprends à cette occasion qu'un bienfait n'est jamais perdu : lui porter son sac qu'elle ne peut tenir pour cause de béquilles offre le privilège de monter en avance sur la sonnerie. Or les bousculades sont redoutables. Nous n'avons pas le droit de monter avant, ni celui d'être en retard. Si notre cours a lieu au 3ème étage, il faut une certaine condition physique pour parvenir en haut à temps, malgré la cohue. De plus les "grands" 3ème mettent un malin plaisir à bousculer les "petits" (2). Mon dévouement m'offre par ricochet une période de sérénité. La bousculade monstrueuse et quotidienne de la cantine nous est aussi épargnée.</p>
<p>Parmi les profs les plus motivés, se trouve monsieur Compain, notre prof de français et qui décide de nous faire écrire un livre collectif. Quand, des années après, j'ai retrouvé le volume, soigneusement relié par nos soins car il avait mis en place un partenariat avec la prof de travaux manuels qui nous avait enseigné temporairement cet art, j'ai été impressionnée par la bonne tenue de l'ensemble et la quantité de boulot que ça avait dû pour lui, représenter. À l'époque point d'ordinateurs ailleurs que dans les plus grandes entreprises. Il a donc dû tout taper à la machine. Sans parler du travail d'encadrement : malgré les nombreux participants, les personnages ont de la cohérence, l'intrigue se tient. Certains passages ont été écrits en collectifs, plein d'autres étaient des rédactions avec un objectif défini (dans ce chapitre il doit se passer telle et telle chose) et l'on votait après sur la version préférée. Plusieurs fois j'ai été mise de côté, sans que ça me pose de problème : je comprenais que chacun devait avoir son morceau. Le prof s'arrange pour me laisser le début et la fin. Ainsi que le dernier mot dans les discussions collectives. Passionnée par le projet, j'ai dû être très pénible à mes camarades en fait. Ça ne m'effleurait pas un seul instant que pour certains ces rédactions particulières devaient représenter une suprême corvée, tellement j'y prenais mon pied.</p>
<p>Le prof de musique, lui, nous fera faire un disque (mi-jazz, mi classique), auquel je participerai en jouant du xylophone : une de mes amies est déjà bonne pianiste, mon instrument d'étude est avec elle en de meilleures mains. Mais contrairement au livre relu, le résultat ré-entendu me fait rigoler. Il reste qu'ils étaient sacrément entreprenants, nos jeunes enseignants.</p>
<p>Je leur en suis reconnaissante. Mes parents s'entendaient de plus en plus mal, la vie à la maison n'était pas joyeuse et le collège était ce qui tenait mes jours. Ils m'accordaient une chance d'avenir, mais incapable de me projeter dans un moindre futur, je l'ignorais.</p>
<p>C'est en 5ème que je commence à tenir, de façon alors un brin épisodique, un carnet de bord. Assez peu intime (3), très axé sur les devoirs à faire, la présence ou non des copains de classe, la scolarité. Mais cependant. Apparaissent aussi mes première photos : par souci d'économie mon père les confie à un de ses collègues qui les développe chez lui, moyennant rétribution. Fatigue ou distraction, le collègue en saute certaines, que je découvrirai des années après en vérifiant les négatifs. En revanche, si l'une d'elle lui plaît, il n'hésitera pas à fournir en cadeau un bel agrandissement. Je dois à cet homme dont j'ignore le nom que mon père se soit un peu calmé dans ses reproches qu'il me faisait de "gaspiller", que mes photos coûtaient. Il avait dû lui dire, dis donc ta fille, avec son appareil elle sait se débrouiller. Mon père était fier.
Moi tout ce que je voulais c'était que mes parents soient enfin heureux, au moins un peu, et qu'ils cessent de crier pour un oui pour un non. C'est sans doute cette année-là où j'ai commencée à me sentir l'adulte de mes parents. Et ça me rendait triste.</p>
<pre></pre>
<p>(1) Peut-être aussi est-ce cette année-là que j'ai été déléguée de classe ; désignée par les autres alors que je ne tenais pas à me présenter. C'est que j'osais parler aux profs, spécimen bizarre de bonne élève qui ne souhaitait pas fayoter.</p>
<p>(2) Ma sœur qui plus encore que moi sera au même âge un petit gabarit et n'aura pas su pas s'acoquiner avec les costauds qu'il faut, en fera les frais six ou sept ans après. Bousculée dans les escaliers à en tomber et s'abîmer un genou.</p>
<p>(3) Je crois que je crains des indiscrétions de ma mère ou ma petite sœur. L'idée est d'offrir un support à la mémoire et au travail à faire, comme pour naviguer (ce qu'alors j'ignore). Je trouve déjà que le temps file.</p>2006, année 18 *Twinkle twinkle*urn:md5:b99c325406278da88be3bd4ba2686ac72012-02-24T00:08:00+01:002012-05-03T17:09:32+02:00chatducheshirede 19xx à 2006 <p>Rien n'a vraiment changé. Faire 3 pas et reconnaître cette odeur soudain si familière, les sourires des anciens, la cuisine, juste derrière..</p>
<p>Je pousse le lit en sachant que ça fera râler les infirmières, futur tremplin nocturne pour baie aux étoiles, m'adosse au radiateur et me perds dans la contemplation de l'armoire, image rayée de ma mémoire</p>
<p>Foutue armoire</p>
<p>Voilà.
<em>On y était</em>.</p>
<p>Il y avait eu...</p>
<p>tout cet hiver-là ,glaçant. L'attente et l'angoisse, des tonnes écrasantes de questions sans réponses, la solitude, la détresse.
La peur. De la nourriture, des désirs, du sommeil, du toucher, d’une simple conversation, du contact, de l’amour. L’énorme peur de se faire dévorer par le monde, la peur de soi et de ne pas avoir ce qu’il faut pour y arriver, redoublée de ce sentiment de devoir accomplir quelque chose de grandiose, la peur des toujours et des jamais. L'attente du jour où, l'attente du coup de fil, l'attente du quand, du comment, du et après.</p>
<p>Il y avait eu…</p>
<p>une totale détermination. Conscience de la structure sous l’effondrement, frétillements d'espoir faisant comme des flashs illuminant tout mon sombre.</p>
<p><em>On y était</em>, et depuis quelque temps l’air de rien, quand soudain entra en scène la belle femme, majestueuse et féline, toute de courbes et de crinières, grands yeux de chats , voiles de malice , pudeur des grandes tristesses, semblant nous englober tous sans regarder vraiment personne, charriant sans le savoir ces 2 années passées à la regarder, la chercher, la rêver, ne pas la toucher, ne pas lui parler, surtout ne pas l’approcher</p>
<p>Que peut elle bien faire ici ?</p>
<p>Remue-ménage et visages qui se pressent pour voir, sa chambre voisine à la mienne et moi qui n’en reviens pas de la savoir si proche, si réelle, tellement là, peau et souffle à portée de main , 15cm de béton à peine, cœur au firmament et pensées à tout rompre jusqu’au matin où je me lève pleine d une énergie nouvelle.
Te trouver déjà posée dans ton habituelle et innocente langueur, guet matinal du bruit de la neige sur la neige, mots englués dans ma gorge, ventre qui se tord . Saisir ta main.</p>
<p>Que peux tu bien faire ici ?</p>
<p>Il y avait eu...</p>
<p>/.../</p>
<p>Et il y aura</p>
<p>Tori Amos et les chorégraphies improbables, les lettres glissées sous la porte et les noms de codes, le réapprentissage de l’insouciance et des bêtises "de notre âge", les batailles en salle télé et la cabane en plantes, les pyjamas loufoques et le nez rouge sous l oreiller, Stephen King en étagères et les tableaux de Frida ,les perms en ville, la peinture partout et les courses dans le parc, l’anniversaire surprise comme si on n y était pas, du chaud si doux et du doux si chaud</p>
<p>Il y aura l'apprentissage de leçons étranges et délicieuses, aimer le bruit de nos pas et l implication de notre poids,notre présence et de l'espace qu'on occupe, aimer les fringales rebelles du corps et le corps tout court, il y aura les promesses griffonnées sur les tableaux, les je mangerai ce qui me chante et aurai le corps qui me plaît, les je rirai aussi fort que je veux et lécherai mon couteau, l'apprentissage que les amis sont là pour réconforter et nourrir ceux qui ne savent pas encore cuisiner et vivre seuls, que rien -ni l'amour, ni le sexe, ni le travail, ni les déménagements- n'effacera le passé, l'apprentissage du temps et de la patience</p>
<p>Et il y aura ... la sortie
la trivialité de la vie avec
tellement à accomplir encore</p>1987, année 0 *Ballet*urn:md5:75747b739f8085f22e5369e57821ae512012-02-22T01:45:00+01:002012-04-29T06:53:43+02:00chatducheshirede 19xx à 2006 <p>Après 7 ans de vie commune, ils avaient lâché l'éponge. Rassemblé le cartons, reversé pour lui une chambre d'hôtel, prévenu les amis. C'était fini.
Il leur pourtant restait une chose à faire, d 'importance
tellement importante que ces deux êtres que désormais tout séparait , sans vraiment se l'expliquer, un jour de juin , conçurent un enfant
qu'elle voulut mettre au monde
et qu'il voulut qu'elle gardât.</p>
<p>Je suis là.
Je suis là et vous verrez , tout va bien se passer.
Je suis là , à quoi vous ressemblez papa et maman ?</p>
<pre></pre>
<ul>
<li>J'ai hâte de vous voir*</li>
</ul>11 : 1974 - 1975 le collège enfin, plus de piscine mais un peu de libertéurn:md5:145564634c494ac56dbddd5a7ac8b1752012-01-01T17:29:00+01:002012-01-01T19:50:08+01:00gilda_fde 19xx à 200619741975à 11 ans <p><strong>lieu(x) d'habitation</strong> : Taverny (95)</p>
<p><strong>logements</strong> : <a href="http://www.fotolog.com/gilda_f/21710718" hreflang="fr">petits pavillons en série</a></p>
<p>Mon entrée au collège fut pour moi un bonheur. J'avais lu et relu la fin du livre de Marcel Pagnol "Le temps des secrets" et je piaffais presque d'impatience, très déçue qu'on ne se coltine plus si tôt avec le latin. Mais j'avais allemand à la place (1) et c'était déjà chouette, Gerd und Traudel d'une méthode de langue aux photos délicieusement désuètes étaient mes nouveaux amis.</p>
<p>La journée variée, rythmée de déplacements d'une salle à l'autre, me convenait.
Une fois par semaine, je crois le lundi, je finissais à 13 heures et j'adorais cette après-midi de liberté d'autant plus qu'elle m'accordait quelques moments seule dans la maison, privilège qui auparavant ne m'arrivait presque jamais étant donné que ma mère faisait "femme au foyer" et que j'avais mes bonnes grosses journées scolaires plus longues que le temps que lui prenaient les courses à faire et ses activités (la gymnastique, le tennis ma mère tentait de ne pas se laisser aller). La plupart du temps je l'employais à m'avancer dans mon travail scolaire. Je n'aimais rien tant que n'avoir rien en suspens dans mon cahier de texte et pouvoir ainsi ensuite consacrer tout mon temps restant à lire ou jouer. Je jouais beaucoup avec des animaux en plastique qui servaient de support à des scénarii élaborés. C'est en 6ème qu'ils ont pris des noms, et que je les ai doté d'un univers appelé le parc. Une sorte de savant fou mais qui n'était incarné par aucune figurine (2) avait su mettre au point une opération qui permettaient aux animaux d'avoir une connexion dans leur cerveau aussi efficace que celle des humains. Les heureux élus vivaient dans ce parc, mais vis-à-vis du monde extérieur il ne s'agissait que d'une sorte de Thoiry amélioré, car si ça s'était su ils n'auraient pas pu continuer à vivre en paix.
Les quelques fois où en ouvrant la porte de ma chambre ma mère m'a surpris à jouer, elle s'est moquée. Comme elle se moquait lorsqu'elle me voyait tenir un journal, ce qu'à partir de la 5ème j'ai fait avec une impressionnante régularité. "Tes mémoires" elle disait et ma petite sœur renchérissait. Comme je ne me laissais pas faire (je continuais imperturbablement), je ne me suis pas rendue compte qu'on me rabotait les ailes, que ça me bouffait de l'énergie de devoir résister au lieu que d'être portée par des encouragements, ne l'ai compris que plus de 20 ans après. Trop tard ?</p>
<p>Donc ce lundi (admettons que c'était bien le lundi) c'était l'occasion de pouvoir "jouer aux animaux" sans me faire polluer l'air ou perdre le fil par quelqu'un de la maisonnée. La porte de ma chambre ne fermait pas à clef.</p>
<p>J'allais au collège en vélo. C'était être devenue grande. À l'école primaire on allait à pied, peut-être même qu'il n'y avait pas de garage à vélo (?). Ou en voiture quand les parents accompagnaient. Au collège en vélo. Au lycée en mobylette. C'étaient les étapes du grandissement.</p>
<p>Quand le temps était trop pourri ou que j'étais trop enrhumée, ce qui arrivait souvent, ma mère s'efforçait de m'accompagner en voiture. Elle ne l'avait pas tout le temps. Mon père et quelques-uns de ses collègues avaient mis en place un système de co-voiturage à quatre, chacun prenant sa voiture une semaine pour emmener les trois autres à l'usine. Il y avait aussi des navettes par cars mais elles suivaient les horaires de ceux qui faisaient les 3/8 et ceux qui comme mon père travaillaient dans les bureaux (il était dessinateur industriel après avoir fait son temps dans les ateliers) s'ils les empruntaient devaient partir plus tôt que leurs horaires réels et rentrer plus tard en attendant sur place. Ça ne leur disait rien, ils ne le faisaient qu'en cas de coup dur (voiture en panne ...).</p>
<p>Trop enrhumée, je l'étais souvent. Notre médecin de famille était un gros monsieur anti-sportif dont les paroles étaient d'évangile - mes parents avaient ce respect de Monsieur le Docteur que ç'en était navrant, mais j'étais trop petite pour remettre en cause cette vénération -. Ils avaient aussi cette notion, retrouvée chez Annie Ernaux en si bien mieux dit (3), que si on tombait malade c'est qu'on l'avait bien cherché (4). Façon de se dire que si on restait vertueux et en toute chose mesuré on conserverait la bonne santé. On ignorait alors que je souffrais de thalassémie et mon père qui savait assurément qu'il y avait quelque chose d'anormal dans la famille et qui se transmettait - à Grenoble deux petits de cousins à lui et qui l'avaient "des deux côtés" en était morts en bas âge -, ignorait probablement qu'il en était porteur. Il a longtemps donné son sang et semble-t-il sans que rien ne lui soit signalé. Et donc cette faiblesse qui faisait que je chopais tout ce qui traînait, certains coups de pompe que j'avais (mais je croyais que c'était pour les autres pareils) était mise sur le dos d'une sorte de mauvaise volonté de ma part - tu ne manges pas assez de viande, tu ne vas pas assez au soleil (?!), tu es anémiée - et responsabilité : si je m'enrhumais l'hiver c'est que je n'avais pas bien mis mes écharpes et bonnets.
J'ai trouvé moyen de traverser enfance et adolescence sans remettre en cause cette pesante culpabilité, n'y comprenant au demeurant rien, à cette vaste injustice puisqu'au contraire j'étais très attentive à ne pas sortir sans être bien couverte.
Concernant la 6ème, et comme j'avais cours le samedi matin qui était le jour de l'un des entraînements, la conséquence pour moi dramatique fut que je dus abandonner la natation en club alors que je commençais à aimer vraiment. Mais c'était Tu t'enrhumes, c'est la faute de la piscine. Et le médecin qui n'aimait pas le sport et n'avait pas particulièrement envie de m'opérer des amygdales ni des végétations (5), avait renchéri, que c'était sans doute à cause de la piscine que si souvent j'attrapais des angines ou je m'enrhumais. Fin de la piscine.</p>
<p>Il ne m'est jamais venu à l'esprit alors que les rhumes de l'automne au printemps s'enchaînaient avec le plus souvent guère plus de deux ou trois semaines de trêve de leur faire remarquer que puisqu'en supprimant la piscine rien n'avait changé, j'aurais pu continuer de tenter d'y aller.</p>
<p>J'ai été malheureuse mais j'ai obtempéré.</p>
<p>Il faut dire que la 6ème aussi m'occupait bien. Je travaillais avec un bel élan. Tant et si bien que les professeurs qui lors des conseils de classe attribuaient à chaque élève une note en lettre en appréciation globale créèrent le A+ à mon intention. Je n'en conçus pas de fierté particulière, d'une certaine façon, ça allait de soi. Jusqu'au bac inclus je suis parvenue à travailler plus large que ce qu'on demandait : j'apprenais pour le plaisir et la nécessité d'apprendre, ensuite lors des épreuves notées il me suffisait de piocher dans la masse des connaissances acquises. Quand je me plantais c'était parce que je n'avais pas tout à fait compris ce qu'en tant qu'élève on attendait de moi. Je compliquais parfois des énoncés que je croyais trop simples pour être ça, manque d'intelligence et de confiance en soi.</p>
<p>L'enjeu qui lors des années d'école primaire était de ne pas être le déclencheur de la querelle quotidienne entre mes parents, s'était déplacé : j'apprenais comme une dingue parce que j'avais soif et qu'il n'y avait guère d'autre fenêtre sur le monde que les enseignements et les livres, un peu la radio et la télévision (qui en ce temps-là tenait encore à un rôle d'édification des masses).</p>
<p>Je me souviens plus particulièrement d'une très vieille dame, madame Briouze, - pourquoi n'était-elle pas retraitée ? ou faisait-elle simplement "plus vieux que son âge" - qui était notre professeur d'histoire-géographie et qui en avait une approche personnalisée qui m'ennuyait parfois, mais me passionnant à d'autres. Elle semblait bien connaître l'Afrique. Et j'enrageais quand mes camarades profitaient de sa relative faiblesse physique pour un peu chahuter (en même temps elle savait reprendre la classe en main quand elle en avait assez, mais on sentait que physiquement ça lui coûtait).</p>
<p>Je crois aussi que c'est cette année-là (ou au début de la 5ème) que ma cousine Anne qui de Bretagne venait avancer ses études à Paris fut hébergée par mes parents durant un trimestre scolaire (le premier). Et ce fut une période extraordinaire parce que devant témoin, mes parents hésitaient à se quereller violemment. J'étais déchargée de mon poids d'aînesse. J'avais une sorte de grande sœur à domicile et qui me protégeait. Elle était très studieuse et c'est peu dire que ça m'encourageait. Son amoureux Nello habitait encore chez ses parents à Saint Germain en Laye et j'ai le souvenir d'au moins une fois où il était venu de Saint-Germain en vélo, ce qui jusqu'à Taverny était à mes yeux un exploit. Je me disais qu'il devait être vraiment très amoureux. Et j'étais soulagée que comme il était d'origine italienne, mon père se sente obligé de lui faire bon accueil - j'avais quand même un peu peur qu'il se fâche, en ce temps-là avec les soupirants ça ne plaisantait pas, j'en ai fait les frais plus tard -.</p>
<p>Bref, en 6ème, je suis devenue grande et j'ai aimé ça.</p>
<p>(1) En ce temps-là imaginer une sélection par le niveau ou le fric des parents était juste impensable, mais étrangement seuls les bons élèves se retrouvaient en première langue allemand.</p>
<p>(2) Un peu le Number One du prisonnier, que pourtant à l'époque je ne connaissais pas. Et l'univers crée n'était pas totalitaire, encore que (il y avait intérêt à être gentils et sages, les enfants sont d'un conservatisme désolant)</p>
<p>(3) "La maladie, de toute façon, était confusément entachée de faute, comme un manque de vigilance de l'individu face au destin." ("La honte"). D'une façon générale les pages de ce livre qui retracent les pratiques et modes de pensées de la plupart des gens, j'y vois la mentalité de ma mère à peu de choses près, mais pas négligeable : ma mère lisait, et l'air de rien s'efforçait de se cultiver.</p>
<p>(4) De nos jours ça donne : Machin a un cancer, c'est normal, il fumait.</p>
<p>(5) Il me semble que ce fut envisagé. Et qu'en ce temps-là c'était le médecin de famille qui pratiquait ce genre d'interventions (mais avec quel anesthésiant ?)</p>9 et 10 : 1972/1973 et 1973/1974 Pagnol, la Toscane et madame Banissi (ainsi que la natation aussi)urn:md5:86bc2012e295f960d3e7edd89ce7ae262010-12-23T09:21:00+01:002010-12-23T11:48:07+01:00gilda_fde 19xx à 2006 <p><strong>lieu(x) d'habitation</strong> : Taverny (95)</p>
<p><strong>logements</strong> : <a href="http://www.fotolog.com/gilda_f/21710718" hreflang="fr">petits pavillons en série</a></p>
<p>Si j'ai été heureuse dans mon enfance, ce furent ces deux années-là, correspondant à la fin de l'école primaire, CM1 et CM2. Je ne saurais les dissocier, elles forment pour moi un ensemble fondateur, et je sais que l'adulte que je suis devenue est apparue à ce moment-là, du point de vue des neurones connectés, du regard sur le monde, de la perception du temps (qui passe).
Souvent les femmes qui écrivent ont eu un père absent ou compliqué. Souvent les personnes qui écrivent ont eu dans leur enfance un prof ou un instit. qui a particulièrement compté et a fait office de révélateur. C'est particulièrement vrai pour ceux qui n'aimaient pas l'école, mais avec monsieur A ou madame B d'un coup ça marchait bien.</p>
<p>L'institutrice qui m'a fait grandir s'appelle madame Banissi (1). Elle était de ceux qui ont choisi, vraiment choisi le métier. Qui savent repêcher les élèves en difficulté, tenter de leur trouver un élément où ils ne sont pas nuls et attrapent un tant soit peu l'envie de progresser. Qui savent encourager les têtes qui dépassent, leur offrir le "plus" dont ils ont besoin, leur éviter l'ennui.</p>
<p>Ainsi elle nous offrait la possibilité de faire des exposés. Sur les sujets qu'on voulait du moment que ça apprenait quelque chose. Il y avait dans la classe une encyclopédie "Tout l'univers" et quelques autres gros volumes que ma mémoire rend indistincts. Un exposé se faisait à deux ou trois. Coup de chance, j'avais une amie elle aussi curieuse du monde. On avait le droit de les préparer en se mettant dans un fond de la classe (où se trouvaient l'encyclopédie je suppose) à condition de ne pas faire de bruit et d'avoir fini nos autres exercices, quel bonheur pour moi que la fin de ces temps vides ou passés à relire et à rajouter des fautes parce qu'alors je me mettais à douter. On avait aussi le droit de rester aux récrés (2) pour préparer, à condition d'être fort sage. Je savais l'être quand il fallait. Et je lui dois sans doute quelques rhumes épargnés, ma santé déjà n'aimait pas l'hiver. Je n'ai plus souvenir des sujets. Dans mon cas plutôt scientifiques, comprendre la terre, les planètes, le "comment ça marche", le "et pourquoi ?". J'ai en revanche encore en mémoire l'odeur délicieuse du liquide (un genre d'alcool à brûler ?) qui servait à ronéoter, ce privilège que c'était d'écrire nous-même une page sur notre sujet et qu'on reproduisait à autant d'exemplaires que d'élèves. Et comme j'aimais ça, parfois je donnais un coup de main pour les sujets d'exercices, pas ceux des devoirs notés pour ne pas être avantagée, mais ceux d'à faire chez soi le soir ou en classe pour s'exercer. Je me souviens pour les maths de jouer à les résoudre de tête quand ça pouvait, avant d'avoir édité la vingtaine d'exemplaires, toujours ça de temps de gagner pour pouvoir lire le soir.</p>
<p>Ainsi elle nous a offert le théâtre. En ce temps-là l'exercice d'apprendre des poésies puis de les réciter en classe était quelque chose d'important et sérieux, pas tout à fait autant que les "maths modernes" (sic) mais sérieux. Elle y avait adjoint pour ceux qui voulaient l'interprétation de scènes extraites, qui de Molière, qui de Pagnol. Avec mon amie Nathalie, qui d'ailleurs fit plus tard un peu de théâtre amateur pour de vrai, on se régalait de l'Avare, et je m'entends encore dire "Avé l'assent" "Le Pitalugue, ce grand canot blanc ?". Le truc un peu à part, un peu bizarre que j'étais, venait de découvrir qu'il pouvait faire rire les autres et que ça lui plaisait.
L'engouement nous fut tel que nous avions entrepris à la maison et pour nous dans l'idée de filmer avec une camera super 8 qu'un parent aurait prêté (tu parles !) dès que nous aurions assez d'argent de poche pour nous payer les films, un remake personnel de Pinocchio - un peu comme celui qui passait à la télé avec Andrea Ballestri -, j'en avais ré-écrit des scènes entières, avec les accessoires qu'il nous fallait et tout. Mais les copains du quartier qui n'avaient pas la fibre artistique se sont vite lassés, et nous ne sommes plus restées qu'à deux, mon amie Nathalie, qui devait jouer Pinocchio, et moi, qui n'allait pas suffire à tous les autres personnages. Nous avons laissé tomber et je me suis contentée d'utiliser l'argent de poche pour les images Panini <a href="http://www.paninionline.com/collectibles/institutional/it/it/archivio_result.asp?intIdCollLinguaDet=4802&strPag=a" hreflang="fr">de l'album correspondant </a> à l'adaptation télé, qui était ma seule façon accessible de ne pas abandonner totalement l'idée.</p>
<p>J'ai aussi grâce à elle et Marcel Pagnol découvert qu'il existait des écrivains. Elle nous avait fait travailler sur "La gloire de mon père". La chasse pour moi était pour ce que j'en avais vu à la télé une activité de "riches méchants". Riches parce qu'il fallait l'être pour s'acheter tout ce mortel équipement et avoir ensuite tant de temps de libre pour l'utiliser. Méchants parce que pourquoi tuer des bêtes qui ne vous ont rien fait, ça suffit bien comme ça celles qu'on mène à l'abattoir et qu'on récupère en tranches chez le boucher. "Bambi", aussi, vu vers 6 ans, m'avait marquée.
Et voilà pourtant qu'un texte qui ne parle presque que de ça m'intéresse, que le père du petit gars qui raconte, ben voilà, j'ai rien contre les bartavelles, mais j'aimerais rudement bien qu'il le réussisse, son "coup du roi". Sans l'analyser à l'époque j'avais compris que ce qui comptait n'était pas le sujet mais l'art de raconter, de nous embarquer, de nous faire oublier le monde réel pour celui de l'histoire.
Je me suis mise à écrire alors, prenant des notes pour pouvoir comme Marcel, raconter plus tard mes souvenirs d'enfance. J'avais juste un léger doute sur l'intérêt que nos vies sans aventures pourraient présenter.</p>
<p>Mais pour ça soudain, il y eu la Toscane. Et alors ça c'était beau. Ça méritait d'être partagé.</p>
<p>Jusqu'alors les vacances d'été se présentaient selon un schéma immuable et que ma perception d'enfant rendait éternel : nous restions à la maison en attendant que l'usine de Papa (en fait l'usine ou il travaillait, et qu'il appelait souvent la prison, comme je l'ai fait plus tard mentalement de la banque, que d'ailleurs j'appelais l'Usine) ferme pour un mois. Et alors nous partions en Italie. L'Italie c'était : une étape à Torino, Turin pour voir le peu de famille de là-bas qui n'était pas encore en vacances, puis 15 à 20 jours au bord de la mer, à Rimini (parce que c'était là que mon père allait lui-même enfant), puis une semaine à Torino avec cette fois tout le monde présent et une vie bizarre où l'on allait de tables en tables et où il fallait manger tout le temps. Un mois par an, c'était à part ces contraintes alimentaires, la grande belle vie. Les parents, détendus, se disputaient bien moins, on s'achetait des choses (chaussures, souvent, et pour moi des cahiers bariolés et formidables alors qu'en France la papeterie c'était encore tout gris), on recevait (ma sœur et moi) plein de cadeaux, j'aimais le bord de mer, je n'aimais pas faire la sieste, mais depuis que je lisais ça allait mieux, j'aimais qu'il faisait chaud.
Par quel miracle financier, une promotion où d'avoir travaillé double, et le jour à l'usine et le soir à la demande, mon père avait pu, mais voilà que deux années de suite - mais guère plus - nous pûmes quitter le Rimini bon marché pour la Toscane. Une pension de famille dans un village de pêcheur en voie de conversion au tourisme <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Castiglione_della_Pescaia" hreflang="fr">Castiglione della Pescaia</a>. J'ai découvert la beauté. Je n'imaginais pas avant qu'il puisse exister d'endroit au monde réel si beau et où je puisse aller (3).
Ces petits villages de l'arrière pays, la longue marche dans les collines au soleil couchant pour aller visiter les tombeaux étrusques, des choses très bonnes qu'on mangeait - je découvrais que parfois ça peut être délicieux un plat, et qu'on a envie d'en reprendre après et que j'aimais la sole meunière (?!), une glace au chocolat divine dans un port de pêche un peu industriel (Follonica ?) -. Il y a un éblouissement de ça.
On reviendra, papa, dis, on reviendra ?
C'était pour moi si important que l'année suivante je suis tombée malade (sick) en arrivant, moi qui passais ma vie enrhumée mais malade digestive, presque jamais. Je sais à présent que c'est le même ordre de nausée que celle qui me tient après avoir écrit un texte qui vient de loin, ou lu. Un état qui correspond à l'expression populaire "J'en suis toute retournée".</p>
<p>La mer était par là tellement plus belle que de l'autre côté (Adriatique) où il y avait tout le monde tassé. Je nageais, je nageais, je nageais.
J'avais fini d'apprendre à l'école, ce que mon père m'avait déjà pas mal enseigné, les mouvements d'une brasse de base et j'avais tellement aimé ça que j'avais obtenu qu'on m'inscrive à l'école de natation. Sauf que comme j'étais souvent enrhumée je manquais souvent. Mais en attendant, ce que j'avais appris à l'entraînement me permettait de nager où je n'avais pas pied dans la mer bleue de Toscane. On m'avait acheté un masque et un tuba (et des palmes je suppose ?) et je voyais les poissons et je plongeotais en apnée. La découverte de la part physique de l'amour 10 ans plus tard fut à côté de cette extase-là presque une déception.</p>
<p>Si je devais consulter albums photos, courriers, cahiers et agenda, j'y verrais peut-être que la Toscane ne coïncide par exactement avec ces deux années-là mais un peu décalées, vers le collège. Pour autant restent liés dans mon esprit ces éléments fondateurs-là : Pagnol, la Toscane et madame Banissi. Un peu comme les jeux de nos jours qui fournissent au personnage un certain nombre de pouvoirs et coefficients ou dans les contes les fées qui au berceau accordent ou non certains pouvoirs au nouveau-né. Tu auras l'écriture, la capacité d'être étripée par la beauté et celle d'apprendre beaucoup.
Pour le reste, à toi de jouer. Il te manque des choses, on le sait, et tu auras du mal sur cette planète-là, mais c'est un joli lot dont tu es dotée, ne l'oublie jamais.</p>
<p>Je reste profondément reconnaissante envers madame Banissi, excellente institutrice et particulièrement chouette bonne fée pour les gosses de banlieue aux petits avenirs qui lui étaient attribués.</p>
<p>(1) Elle est toujours là et joue au tennis certains jours avec ma mère. La vie s'amuse de nous, parfois.
(2) Je pense que de nos jours ce serait super-interdit pour des questions d'assurance et de procès potentiels en cas d'accident et toutes sortes de contraintes qui font nos vies glacées - et pas plus sûres pour autant -.
(3) Je savais les pyramides d'Égypte, les chutes du Niagara, des savanes en Afrique, j'avais vu à la télé tout ça mais c'était intégré que m'y déplacer n'était pas pour nous, il fallait être né là ou avoir beaucoup d'argent, vraiment beaucoup.</p>2010 : Faire œuvreurn:md5:e1e9e89dec83b0275bd5d6a582d082a72010-12-18T14:00:00+01:002010-12-18T14:00:00+01:00Hadriande 19xx à 20062010 <p>40 ans aujourd'hui, ça se fête.</p>
<p>J'ai découvert dans cette dernière année ce qui était là en filigrane depuis au moins vingt ans : je veux "faire œuvre", non pas pour laisser quelque chose à la postérité (on s'en fout, on est mort), mais pour moi-même, pour avoir l'impression de ne pas avoir été simplement le énième maillon de la chaîne de reproduction du grand primate dominant. C'est "grandiose et dérisoire", comme disait je ne sais plus qui.</p>
<p>Mais attention, je ne vais pas faire un Grand Œuvre : les seuls génies des arts m'ont l'air tous aussi malheureux les uns que les autres, les Baudelaire, les Van Gogh, les Franquin, les Mozart (oui parce que tu peux toujours dire que Mozart fait dans la simplicité, hé bien tente de faire au moins aussi bien, je t'attends ici et on en recause quand tu veux).</p>
<p>Peut-être que tout simplement quand on fait des choses qui dépassent le commun des mortels, on ne voit pas l'admiration des autres ; on ne voit que le chemin qu'on sent encore devant soi et qu'on est persuadé de ne jamais pouvoir parcourir jusqu'au bout, trop ardu et trop long.</p>
<p>Moi, voilà, c'est fait, merci : j'ai pris conscience (et accepté) ma normalité, ma banalité, ma mortalité. J'y trouve une place parfois reposante, souvent exaspérante, mais je commence à faire la paix avec la vie. J'ai encore peur de mourir, mais il paraît que ça passera.</p>
<p>Or cette dernière vingtaine j'ai décidé, à coups de méthode Coué plus ou moins assumée, de ne pas me résoudre à l'état semi-dépressif de tout un chacun (qu'on se l'avoue ou non). Pour commencer par des choses simples, une fois par jour faire quelque chose dont on soit content, même si ça reste "entre soi". Une phrase, par exemple. Une photo, floue et maladroite souvent, mais dont on connaît l'intention et qu'on se félicite d'avoir prise. Un renvoi en fond de court d'un collègue désagréable, mais uniquement si c'est fait avec élégance dans le verbe. On n'est heureux que quand on le décide.</p>
<p>Et puis enfin, faire un livre, celui qu'une fois encore je porte en germe depuis vingt ans sans avoir jamais eu le courage.</p>
<p>Finalement, je me laisse gagner par l'idée que tant qu'on a des projets, c'est qu'on est vivant.</p>2009 : Peaux (38 ans)urn:md5:c8a24bf407ff52396031baa81fbd65d32010-12-17T14:00:00+01:002010-12-17T14:00:00+01:00Hadriande 19xx à 20062009 <p>À la fin de l'adolescence je trouvais que la plus belle fille du monde devait être blonde.</p>
<p>La culture occidentale a ses clichés, que je subissais sans aucun sens critique. (Peut-être qu'aujourd'hui ce n'est pas mieux, d'ailleurs. Mais je n'ai pas le recul. On en reparle dans dix ans.)</p>
<p>Je raffolais de la lumière dans les cheveux blonds, comme s'ils étaient encore plus clairs que la source lumineuse elle-même.</p>
<p>J'adorais cette peau laiteuse, fine, presque transparente. (Amusant : aujourd'hui si je dis "peau laiteuse, fine, presque transparente", j'imagine les robots de <cite>I, Robot</cite>. Pas sexy.)</p>
<p>Tout naturellement c'est vers ce genre de filles que je penchais.</p>
<p>Depuis j'ai découvert tant de variétés de couleurs et de grains. Je suis à l'âge où j'assume d'admirer les personnes que je croise. (Secret bien gardé : mesdames vous pensiez que les hommes vous convoitaient en prédateurs ; en réalité une bonne part d'entre eux vous savoure en admirateurs.)</p>
<p>Une jeune femme hispanique, le nez et le menton légèrement pointus. La peau ombrée comme par trop de soleil. Les cheveux noirs jamais complètement domptés.</p>
<p>Une fille sans origine discernable, la peau caramel, incroyablement uniforme. On a envie de regarder encore un peu plus longtemps, un peu plus loin dans le creux du col de chemise, trouver jusqu'où va cette teinte si unie et savoir si elle change.</p>
<p>L'infinité des peaux noires, riches, puissantes, au grain ferme.</p>
<p>Et puis une ou deux en particulier, brunes mais blanches de peau, parcourues de taches de rousseur qui sont autant de surprises. On ne s'habitue jamais aux taches de rousseur, elles reviennent toujours vous dire qu'elles existent alors que vous croyiez les tenir pour acquises.</p>
<p>Et puis ce parfum naturel, celui de la peau, inépuisable, que tu reconnais tous les jours et que tu respires et respires encore. Celui de la femme que tu aimes.</p>
<p>Jusqu'à mon dernier jour, toujours continuer à ouvrir les yeux.</p>1999 : rencontre (28 ans)urn:md5:44e9bcc4c964fa0044b112cf2c722fe62010-12-16T14:00:00+01:002010-12-16T14:00:00+01:00Hadriande 19xx à 20061999 <p>Je vivais en province, en cours de séparation, invité à dormir à Paris.</p>
<p>Je rate une correspondance, j'arrive avec une heure de retard à la gare. Pour une raison ou pour une autre, impossible de prévenir.</p>
<p>La copine qui me prêtera un canapé ce soir m'attend au volant de sa voiture, dans le parking derrière la gare. Je ne sais même plus comment on s'est retrouvés : c'était avant l'ubiquité des téléphones portables.</p>
<p>Elle me dit qu'on est attendus chez "sa meilleure copine, presque sa sœur jumelle" pour l'apéro.</p>
<p>Nous arrivons, et l'interphone proteste : "ça fait une heure que je vous attends, en plus l'interphone est en panne, il faut que je descende cinq étages pour vous ouvrir". Il n'y a évidemment pas d'ascenseur, et je me sens de plus en plus mal.</p>
<p>Arrive alors une femme grande comme on s'imagine les mannequins, petite jupe droite en laine, pull cigarette noir, je suis décidément au plus mal. C'est le genre de fille à qui je ne peux pas décemment parler, trop bien, trop parfaite, trop parisienne pour le bouseux que je suis.</p>
<p>S'ensuit une soirée où, pour masquer la timidité incroyable que m'inspire une aussi impressionnante personne (parce qu'en plus elle est intelligente, cultivée, fait un métier dont je n'ai à l'époque entendu parler que dans les magazines), je fais l'imbécile, alignant bêtise sur bêtise comme je ne sais que trop le faire.</p>
<p>Ce soir-là je mange pour la première fois des fajitas, et évidemment je m'arrange pour me faire la pire de toutes les taches, sur un pull beige : le genre de tache rouge tomate, qui commence au col et finit à la ceinture, vous décore comme un plastron et vous humilie à vie.</p>
<p>Je ne sais pas, de tout ça, ce qu'elle a aimé.</p>1996 : Le web, pédophile et anarchiste (26 ans)urn:md5:e60eb6fda800dc966814d0ddde7459032010-12-15T14:00:00+01:002010-12-15T14:00:00+01:00Hadriande 19xx à 20061996 <p>Sur ce même site, à l'instant <a href="http://ricochets.des-blogueurs.org/post/2006/11/08/626-2004-44-ecrire">je lisais les mots de Kozlika</a> que voici :</p>
<blockquote><p>Décidément dilettante, écrire pour jouer avec les mots, les tourner en bouche pour leur sonorité, les trousser pour en admirer les dessous, les tordre et les assembler.</p>
</blockquote>
<p>En 1996 je monte mon premier site web, pour les mêmes raisons qu'elle.</p>
<p>Repartons vingt ans plus tôt si vous le voulez bien (on n'a que ça à faire, on est sur ce site exactement pour ça).</p>
<p>Quand j'étais gamin, mon père avait une machine à écrire. Je ne sais pas pourquoi, de la récupération sans doute. On a joué avec dès qu'on a eu le droit, évidemment.</p>
<p>Vers l'adolescence je me suis pris d'écriture comme les garçons normaux de football. Mais bon, franchement, on s'en fout un peu, d'être normaux, non ?</p>
<p>Je venais de dévorer San Antonio et j'ai eu envie d'en écrire à mon tour. Trois bonnes pages à la machine qui fait <em>TCHAC TCHAC</em> comme dans <cite>Pinot Simple Flic</cite>, j'étais le roi du monde !</p>
<p>Évidemment j'ai tout jeté et je le regrette. Je suppose qu'aujourd'hui je rirais gentiment de ma candeur de créateur en herbe.</p>
<p>Or donc, à partir de ce moment-là, j'ai commencé à comprendre que j'aimais la belle langue, et que j'aimais aussi bien l'écouter que l'écrire. Je n'ai plus arrêté d'écrire, et même j'ai tenté les nouvelles. Elles sont au fond d'un carton, sans intérêt. Des gammes, comme en musique.</p>
<p>Et puis 1996 arrive et je ne sais pas encore que le web va me manger tout entier. Malgré le parfum de soufre qui l'entoure encore (c'est le repaire des pédophiles et des anarchistes, voire des deux !), c'est là que désormais je poserai des centaines de petits cailloux blancs, ici et là.</p>1988 : "Je te l'allume" (17 ans)urn:md5:a4062a83d348b0c25a1b74d28fbc6ac22010-12-14T14:00:00+01:002010-12-14T14:00:00+01:00Hadriande 19xx à 20061988 <p>Je trouvais comme tous les garçons qui regardent leur papa fumer que c'était diablement viril.</p>
<p>Bien sûr je trouvais que ça sentait mauvais, que c'était néfaste à la santé (on a tous en tête les espèces d'éponges pulmonaires dégueulasses qu'on nous montrait sur les magnétoscope du collège). Bref il ne fallait pas fumer.</p>
<p>Mais un jour, mon père a les mains occupées, et me dit "passe-moi une clope, tu veux".</p>
<p>Ni une ni deux : j'annonce "Je te l'allume, t'embête pas". Je la mets dans ma bouche comme un pro, je tête un peu tout en allumant le briquet, et je lui tends sa cigarette clés en main.</p>
<p>C'est complètement irrationnel, mais j'étais par ce genre de petit geste un homme, d'égal à égal avec mon père.</p>1986 : Caroline (15 ans)urn:md5:40ce99a7f01e51eee4bcab74659860342010-12-13T14:16:00+01:002010-12-13T14:16:00+01:00Hadriande 19xx à 20061986 <p>Au lycée, j'étais typiquement le genre de mec qu'on ne remarque pas.</p>
<p>Interchangeable avec une bonne partie des copains de section scientifique, pas spécialement à la mode, pas de coiffure particulière, pas de trait particulier mis à part ce regard qui évoque plus Marty Feldman que Sean Connery. Mes notes étaient dans une moyenne honorable, suffisamment pour traverser le lycée sans devoir faire d'efforts.</p>
<p>J'étais le genre de type que vous auriez fui. Gentil avec tout le monde, certes, mais tout de même je restais à certaines récréations avec le prof de math et quelques chétifs pour jouer à programmer nos calculatrices. J'en ricane un peu, aujourd'hui.</p>
<p>Il y avait comme dans tout lycée le garçon dont toutes les filles rêvent, et la fille dont tous les garçons rêvent.</p>
<p>La fille en question s'appelait Caroline. Quand on la voyait, on pensait en clichés d'adolescent que sa peau avait la douceur d'une pêche, qu'elle se parfumait à la vanille ; on se sentait happé par ses grands yeux presque noirs, on admirait ses cheveux parfaits. On voyait comme elle était pile dans le canon du haut-du-panier de la mode de province (à l'époque ça se disait "Chevignon"), on ne savait pas alors (naïve jeunesse) comme tout était poli et travaillé. On peut juger combien j'étais étranger aux techniques de brushing et de maquillage.</p>
<p>Pour rendre supportable la peine d'être aussi insignifiant alors que des êtres aussi remarquables étaient dans le même espace-temps, je me rappelais périodiquement que Caroline est le nom de la tortue de Boule et Bill.</p>
<p>Mais rien n'y faisait, c'était toujours Caroline.</p>
<p>Un jour où j'occupais une heure entre deux cours dans une salle de permanence, à faire des maths ou quelque chose d'aussi exaltant ("ah non, nous on allait au café,", s'écrie l'assistance), un copain commun s'assoit près de moi, et dans son sillage elle est là.</p>
<p>Il me pose une question que j'ai oubliée (scolaire bien sûr), j'y réponds mécaniquement (je crois même avoir balbutié, j'espère au moins ne pas avoir trop rougi), et elle est là qui me regarde, et je suis aspiré dans le trou noir de ses yeux ; quant à elle, sa question satisfaite, elle me sourit (souffle coupé de l'admirateur) et s'éloigne, emportée par le tourbillon minuscule de l'aréopage des bourgeois du lycée.</p>
<p>Quelques années plus tard on me dira "elle te trouvait mignon".</p>
<p>Quelques années encore plus tard on me dira "tiens sur cette photo de classe, tu es plus beau que la plupart".</p>
<p>La construction de soi doit passe parfois par la frustration a posteriori.</p>