Après la naissance de mon premier bébé, j'étais rentrée dans une ère de pureté renouvelée et il me semblait que tout était enfin parfait, comme je l'avais toujours souhaité. Mon mari était attentionné et m'avait aidée à avoir une maison propre, accueillante, il était présent, en tous cas, sur les photos. Notre fils est magnifique, même si je lui trouve l'air trop vieux, pas assez bébé, il a l'air d'avoir déjà tout appris du monde et de la vie quand il vous regarde. Il est fasciné par la musique de son père qu'il reconnaît à tous les coups pour l'avoir tant entendue pendant ses neuf mois de vie intra-utérine.
Pour ne pas m'isoler quand son père se remet à l'écart dans sa pièce à lui, je rejoins La Leche League. Paterner n'intéressant décidément pas Estac, autant materner à fond. Estac est à fond pour l'allaitement qui lui donne l'occasion de n'avoir rien à faire, le seul jour où je lui demande un "droit de sortie", il me le refuse sous ce prétexte qu'il ne peut pas nourrir son fils, la tentative tourne au désastre, et je me fais copieusement engueuler quand je rentre de ma visite chez la gynéco : "La prochaine fois, tu emmènes le bébé, point barre".
Le bébé ne dort pas. Moi non plus, cela dure des mois et des mois, seule ma Lita est là pour m'empêcher de péter un plomb. Les professionnels n'ont rien d'autre à m'offrir que des conseils creux ou de me renvoyer à des consultations psy : je n'ai pas envie de parler, j'ai envie de dormir. C'est finalement Estac qui tombe malade. Il refuse d'abord d'aller consulter, et c'est en urgence que je le supplie d'aller à l'hôpital, appelant à la rescousse nos amis voisins pour qu'ils l'y emmènent : méningite.
Dès qu'il se retrouve à Bichat, il exige de moi une présence quasi constante. Je fais de mon mieux pour jongler avec cette exigence que je trouve légitime après tout. Par la suite le neurologue attribuera ses migraines au stress engendré par sa vie de famille, ce qu'il interprètera comme le signe qu'il faut qu'il s'en éloigne au plus vite. Je me sens à nouveau punie et désespérée de solitude.
Le jour de l'anniversaire de M. Ziti, c'est la scène parce que j'ai osé inviter sa famille à une petite célébration à la maison. Il m'informe qu'il s'en va, j'essaye de l'en empêcher, on se dispute, et brusquement il décide de rester mais m'entraîne alors dans la chambre. Je lui dis en riant qu'il va me faire un bébé, et il répond "tant pis". Le lendemain, je sais déjà que je suis enceinte.
Quinze jours plus tard, il prend ses meubles et m'annonce qu'il va s'installer à Brooklyn, New York, Etats-Unis d'Amérique. Je me retrouve seule et décide d'arrêter définitivement de tenir à jour mon journal quotidien qui existait depuis 1972 sous diverses formes.