Au moins il est parti. Son déménagement aura été épique. Chacun de notre côté, nous avons fait venir des tiers, ne pouvant décidément plus jamais nous trouver en présence l'un de l'autre sans se sentir en danger de quelque chose. J'ai besoin de témoins pour ne pas me sentir être devenue la folle qu'il m'accuse d'avoir toujours été. Je sais depuis si peu de temps que seulement en public je suis en sécurité, parce qu'alors les rôles que nous jouons respectent les règles sociales. Désormais, il a franchi la barre et raconté à tout le monde que j'avais voulu l'envoyer en prison, y compris à son fils de cinq ans, que je le battais et sans doute est-ce pour mieux s'en persuader qu'il a fui.

Il embarque tous ses meubles. J'ai pris de jolies photos en souvenir. Notamment de ceux que nous avions choisis ensemble lors de notre mariage, et que ma mère nous offrait, pardon, lui offrait pour sa pièce de musique à l'époque. Je me retrouve dans la grande maison vide, vidée littéralement, et je regroupe mes quartiers surtout autour de la cuisine et fait de ce qui aurait été une salle à manger notre nouvelle family room, où trônent les jouets des enfants et la télé. Le guest appartment qu'il s'était de toutes manières annexé dès la première année m'est désormais condamné formellement, à tel point que le jour où une canalisation y pète parce qu'il n'a pas donné les bonnes instructions à quiconque de vérifier le chauffage, je ne peux qu'assister à l'inondation par la petite fenêtre et être impuissante à préserver les caisses de disques et autres de ses possessions enfermées.

J'ai enfin mon permis de travail. Je vais pouvoir me faire embaucher assez rapidement par un médecin à la ville qui a besoin d'une employée à mi-temps pour gérer son agenda et faire sa facturation. Dans le même temps, je commence à travailler pour Balthazar qui lui, en a fini avec son divorce de folie, et sait donc très gentiment compatir au mien.

J'essaye tant bien que mal de rester à la surface des eaux qui grondent. Mon avocate me pompe à tous points de vue. Un jour, elle en fait de trop et je m'aperçois alors que je suis toujours autant dans une relation inégale où je me fais exploiter par quelqu'un qui me voit comme une victime pitoyable certes, mais dont on peut abuser, et je l'envoie promener. Il faut que j'en trouve une autre. Tout cela est une véritable abomination financière, et pendant ce temps là, en France, la procédure de divorce suit son petit bonhomme de chemin sans que j'aie grand-chose à faire au grand dam d'Estac qui m'assigne à nouveau pour que je fasse venir les enfants pendant l'été, mais il est débouté de sa demande, puisque c'est lui qui a rendu impossible notre retour sur le sol américain si on le quitte temporairement.

A la fin de l'année, sur une de ses fréquentes compulsions, le toubib pour qui je travaille me renvoie et au fond ça m'arrange bien, même si ça me vexe terriblement, et réveille en moi un douloureux sentiment d'échec et d'être un zéro pointé.