Ah ! la bulle Internet ! il n'y a pas que moi qui m'y perde ! mais je ne me promène que dans les octets, tandis que d'autres, dont un à la maison, décident de se lancer dans d'autres sortes d'aventures, hautement plus complexes et hypothétiquement lucratives !

Estac caresse un temps de nouvelles idées, auxquelles je ne comprends toujours rien, pas faute de quémander des explications, qui ne viennent pas, et sans doute éteignent par leur absence ma motivation à vraiment m'intéresser à ces nouvelles lubies. Ou du moins qui m'apparaissent décidément comme telles. Avec un vague soupçon d'inquiétude. Son engouement semble très sérieux et surtout je nous sens de plus en plus séparés et incapables de communiquer correctement. Cela me désespère et m'angoisse.

Finalement, Estac laisse tomber l'idée de devenir daytrader, mais il part quand même à New York pour y suivre des cours de programmation informatique dans des langages auxquels je ne comprends rien. Pendant ce temps, il semblerait qu'il ait quand même fait des placements qui lui mettent un sourire aux lèvres, à tel point qu'un jour, désireuse de partager cette joie-là, je lui suggère de vendre et de donner à la tsédaka[1].

Que n'ai-je pas dit là ! Je me fais agonir d'insultes, traiter d'idiote finie, et remettre vertement à ma place, à savoir, de petite ignorante qui n'est bonne qu'à s'occuper (mal selon lui) de la maison et des gamins. D'ailleurs, il ne voit pas pourquoi il paierait pour la nursery school alors que je suis au foyer et que c'est donc une dépense inutile selon lui. Alors, pensez donc ! réclamer l'achat d'une imprimante ! il décrète qu'il a l'intention de prendre sa retraite dès qu'il aura atteint les quatre millions, c'est sûr que j'ai l'air un peu bêtasse avec mes petites visions qui ne dépassent pas les centaines, et mes absurdes lois de l'abondance spirituelle bien dignes de la baba-cool souillon, vocable dont je suis désormais affublée en sus des autres qualifications tendrement sussurées dans notre couple.

La bulle éclate à la fin de l'été, je crois. Il refusera toujours de vendre, plus les cours s'effondreront et avec eux la dépression dans laquelle il sombrera de plus en plus suivra une courbe violente inversement proportionnelle.

En fin de compte, je n'aurai jamais su que mon ménage avait été riche un seul instant. Le miroir aux alouettes m'est lancé à la figure, ainsi que d'autres meubles et vaisselle qui sont régulièrement fracassés dans la maison.

Notes

[1] tsedaka : littéralement, "ce qui est juste", action de donner une somme d'argent, pour redistribution à ceux qui sont dans le besoin. Cette obligation incombe à tous, quel que soit le revenu.