vendredi 27 avril 2007

1997 : les autres

Rue de Lancry. Le plan de Paris est sorti, une recherche dans l'index alphabétique des rues, plan n° 10, D5. M° Bonsergent. A l'époque, pas de Mappy, juste le petit carnet à la couverture plastifiée bordeaux, tellement manipulé que quelques pages se décrochent de la reliure cousue. Nous voilà à la sortie du métro boulevard Magenta, la tête en l'air à la recherche du soleil pour nous orienter. Caler le plan sur les artères réelles. Chercher le sud. Rue de Lancry, au 10 (?), un imposant bâtiment Art-Déco. Tout en carrelage, on dirait une piscine. Nous nous engageons sous le porche. Ascenseur, 4ème étage. Nous sortons sur une coursive extérieure donnant dans la cour intérieure. Calme, sons clairs et lumière crue. Les portes rouges ressemblent à celles de cabines de bain. Nous ne regrettons pas notre déplacement. Nous ressentons.

L'annonce était étrange : duplex, 3 pièces, 85 m², réception-dressing, séjour/cuisine américaine, 2 chambres. Réception, réception ? Ça veut dire quoi ? La voix du propriétaire était empruntée, mais chaleureuse. On verra. Nous y sommes, nous sonnons. L'homme qui nous ouvre à une cinquantaine d'années, un bon embonpoint, le crâne chauve, une chemise de soie ouverte sur une poitrine imberbe. A la recherche d'un appartement, nous plongeons dans un temps perdu, tout au moins inconnu, nous venons de rencontrer le baron de Charlus. Il nous jauge, comme nous le jaugeons. La réception est une entrée dans notre jargon à nous. Une entrée toute de velours rouge tendue, affublée d'un placard vide outre de nombreux cintres vierges prêts à accueillir les manteaux des invités à la réception qui se tiendra ce soir. L'ambiance est chaude et sombre : aucune lumière, tout ce rouge est oppressant. Qui est-il ? Homosexuel nanti et notoire ? Qui sommes nous ? Un jeune couple avec enfant à venir. Il semble incrédule lorsque nous précisons que la bosse qui déforme mon ventre annonce notre troisième enfant. Peu concevable pour son imaginaire, semble-t-il. Nos vies quotidiennes ne doivent pas se ressembler. Deux univers, deux systèmes de conventions divergentes en présence. Il n'ose projeter son logis envahi par des enfants, nous avons autant de mal à concevoir notre marmaille, les doigts crasseux de biscuits à la cuillère prémâchés, rampant sur sa moquette confortable. Les uns comme les autres savons dès l'entrée que nous ne ferons pas affaire, mais la curiosité mutuelle nous pousse à prolonger la rencontre, cet instant où nous apercevons un autre si différent de nous, pour en garder une image Polaroïd. Notre hôte ouvre les portes qui conduisent aux chambres et à la salle de bain. Moquette épaisse, tableaux aux murs, marbre, luxe. A peine déçus de l'inadéquation de ce logement à nos projets, nous nous transposons en visite dans un musée d'arts décoratif. Il nous conduit vers l'étage supérieur. L'escalier est couvert de moquette léopard, sur les contreforts de chaque marche, une applique lumineuse. Irréel. Ça doit être beau de nuit. Nous pourrions faire demi-tour pour ne pas lui faire perdre son temps, mais nous prolongeons le voyage dans l'ailleurs.

J'aurais envie de revenir en soirée. Une bonne me déchargerait de mon étole, découvrant mes épaules nues sous une robe longue de soie beige, elle pendrait le pardessus de mon mari dans le dressing et d'un geste de du bras nous guiderait vers l'étage. Un peu impressionnés, nous nous engagerions dans l'escalier lumineux, le bruit de mes chaussures à talons serait atténué par la moquette épaisse léopard, attirés par les voix graves et chaudes, les rires perchés, le son d'une bouteille de champagne qui se déboucherait, le cliquetis des coupes, sur quelques accords de blues, musique d'ambiance... En haut des marches, dans le vaste séjour luxueux subtilement éclairé, quelques groupes constitués, visages enjoués, yeux brillants, tenues clinquantes. Ne connaissant personne, nous chercherions des yeux le maître de maison... Il serait dans la cuisine avec un autre convive, un shaker dans les mains, surveillant le four plein de petits fours apéritifs procurés chez le traiteur. Il interromprait sa conversation pour nous recevoir: « Ah vous voilà ! Je suis si heureux que vous soyez là. Mettez vous à l'aise, servez vous au bar, j'arrive... »

Rien de tout cela n'est ni ne sera. Nous ne serons jamais là pour cela. Nous sommes dans un appartement dans lequel nous n'habiterons jamais, nous rencontrons un homme que nous ne croiserons jamais plus dans notre environnement familier. Tous trois poursuivons ce qui est amorcé, ce pourquoi nous nous sommes déplacés, ce pour quoi il nous a ouvert la porte : l'écriture puis la lecture d'une annonce immobilière. A l'étage, le séjour est effectivement luxueux, la cuisine rutile de chromes. Sans conviction et par principe, il tient son rôle, nous montre tous les avantages des divers équipements. Les mains sales de mes enfants continuent à se poser dans mon esprit sur les diverses surfaces éclatantes... Mais nous tenons notre rôle, nous observons, nous écoutons. Le quart d'heure règlementaire passé, il nous raccompagne à la porte. De chaque part, nous avons tous joué le jeu, sans faute. Son appartement, tout magnifique qu'il soit, ne correspond évidemment pas à notre recherche. Il veut bien nous croire. Nous le remercions pour sa visite... Quelques euros pour le guide ?

Dehors, nous reprenons notre respiration que nous avions quelque peu retenue. Nous sourions au soleil. Drôle de visite. Bon moment, même si nous n'étions ni les uns ni les autres très à l'aise. L'inconnu n'est jamais facile à appréhender...

En 1997 et début 1998, j'ai visité 80 appartements, avant de dénicher celui qui serait le nôtre. Au delà de ces éventuels futurs espaces de vie, au delà de mon imaginaire galopant - comment caser 5 personnes dans 85 m², ça demande quelques concessions, quelques transformations en projection, qui trottent en tête alors qu'on semble écouter le propriétaire qui nous vente les avantages de son habitation-, j'ai rencontré beaucoup de gens, des gens qui me ressemblaient parfois mais bien plus de gens différents. Ce sont eux qui ont marqué ma mémoire. J'ai beaucoup aimé cela : réaliser que la vie des uns et des autres est si variée et cependant acceptable, chercher dans les environnements matériels des indices d'altérité. Me satisfaire de mes impressions, sans obligation jamais chercher l'adéquation de mes ressentis avec une réalité, qui ne serait jamais mienne. Ne jamais juger, juste observer et intégrer la différence.

dimanche 22 avril 2007

1998 : ultime naissance

Drôle le désir d'enfant pour une femme. Pour un homme peut-être aussi, mais à dire vrai, je ne sais pas plus que je ne saurai jamais. Ainsi soit-il, je suis une mère ! Toujours est-il que ce désir là, aussi évident eut-il été pour moi une semaine après la naissance de Deuxio, il fut plus difficile que les précédents à négocier deux années plus tard. Mais aucun regret à la négociation : un enfant se fait à deux : sinon, ce n'est qu'un désir enfant, et les désirs, il faut savoir y renoncer, parfois. Je me suis vraiment questionnée ce désir : Etait-ce un désir de moi-même enceinte ? Etait-ce un désir de dépasser ma mère qui n'en avait-eu que deux ? ... Non, j'avais envie d'un autre bébé, et bien plus d'un autre enfant à élever, un autre être issu de nous deux. Une autre personne en devenir. Oui, je me suis vraiment posé la question. Oui, j'en avais vraiment envie. Avec l'accord du papa : Hé : ça ne se fait pas seule un petit stroumpf, même avec un désir de mère immense ! Un jour de mai, le papa dit oui, un jour de juillet, je fus enceinte.

Je me souviens de l'échographe à 4 mois de grossesse :"Bah, vous allez pouvoir faire une équipe !" Et si les échographes se décidaient un jour à ne pas être sibyllins !

Je me souviens de ma copine-voisine, elle-même mère de deux filles : "Quand ils auront dix-huit, quinze et douze ans, je te souhaite du courage avec tes trois gars !"

Je me souviens avoir été heureuse de m'imaginer mère de ceux-là... Aurais-je seulement été capable de faire une fille ?... Pas bien sûre ! Et quand bien même, peu importe : aujourd'hui, je suis ravie de cette fratrie de petits garçons... Petits ? Non ! Certainement plus ! Et c'est très bien comme ça !

Le 5 avril au soir, il sonnait l'alerte le petit gars. La césarienne était prévue pour le 7. A croire que ni lui ni moi n'aimions le dictat des médecins. J'allais seule à la maternité : le papa attendait à la maison le verdict de l'hôpital avant de remuer la terre entière : deux petits gars dormaient tranquillement chez nous. Il avait eu raison : après avoir dansé quelques heures et témoigné de sa java sur quelques bandes électroniques, futur Tertio décida à se rendormir... Et moi aussi ! Mais la maternité me gardait au chaud.

Le 6 au matin, j'avais rendez-vous avec l'échographe de la maternité pour observer la cicatrice des précédentes naissances, afin de... A vrai dire, je ne sais pas... des histoires de médecins, sûrement... Avant de me rendre à l'échographie, je me souviens avoir questionné : "Dois-je appeler le papa avant qu'il ne conduise les grands à l'école pour qu'il ne se tape pas les quarante-cinq minutes jusqu'à son boulot et les quarante-cinq minutes retour jusqu'à la maternité ?" "Non, vous êtes prévue pour demain.", m'avait-on répondu. Mais le temps que je me déplace de ma chambre au service d'imagerie, l'échographe avait reçu un appel du staff : la césarienne serait peut-être programmée ce jour-même. Je m'installais sur la table. L'examen commença, il durerait jusqu'à ce que ce fameux staff décide si c'était pour aujourd'hui ou pour demain... L'échographe était ravi : un bébé in vivo avec du temps pour observer son cristallin : son sujet de thèse peut-être. Moi j'étais ravie : mon futur doudou in vivo, c'était beau et pour une fois j'avais le temps d'en profiter. "Regardez, ! Il tête la paroi utérine !" A l'écran, j'observais ce qui remuait en moi. C'était vivant, c'était émouvant, c'était dedans. Dedans moi. Invisible et pourtant... Le téléphone sonna : "Allez fini le cinéma, c'est pour aujourd'hui, c'est ainsi qu'ils en ont décidé finalement."

Je changeais de service, retournais à la maternité, avertissais le boulot du papa : "Quand il arrive dites lui qu'il reparte !" Celle qui m'opèrerait était une interne-femme. Elle me fit entrer dans le bloc sur mes deux jambes. "Inconcevable !", s'insurgeât l'infirmière chef... C'est donc l'interne qui me prépara maugréant à peine contre les principes qui auraient voulu que j'entre au bloc allongée sur un brancard même si j'étais valide. Je l'aimais bien celle-là qui gérait les évènements avec simplicité. Je lui demandais si je pourrais voir le papa avant le début de l'opération. "Non, le voir sera impossible : il ne peut entrer au bloc, mais on vous dira dès qu'il est arrivé, promis." L'équipe était toute fraiche : pour avoir fait les deux expériences, elles ont plus drôles en début qu'en fin de garde les équipes médicales. !

Au milieu de leurs blagues et récits de leurs week-ends respectifs, j'entrais au bloc. L'anesthésiste arriva. Inquiète, je lui demandais si le papa était était arrivé. Il quitta la salle pour revenir quelques instants plus tard : "On voit que c'est le troisième : il bouquine tranquillement dans la salle d'attente... Mais vous avez raison d'avoir envie qu'il soit là : une césarienne c'est une vraie opération." J'ai toujours aimé les anesthésistes, ils sont plus en contact avec leur patient que les autres médecins qui se focalisent sur le corps qu'ils opèrent. Je le remerciais, j'étais rassurée : la papa était là pour réceptionner le petit gars à venir.

Une demie-heure plus tard, l'interne me demanda de pousser. J'étais surprise : jamais on ne m'avait demandé de participer physiquement aux précédentes naissances, elles aussi par césarienne. J'étais ravie, j'obtempérais avec joie. Quelques minutes plus tard, elle me posait sur le ventre une petite boule toute chaude, toute ronde, toute douce. Je savais qu'il fallait que j'en profite le plus possible : les premiers soins de Tertio se feraient sans moi, ailleurs, avec le papa... Ainsi en est-il des naissances par césarienne... Moi, il fallait qu'on me recouse. L'interne prit son temps pour me faire une jolie cicatrice. Jolie ? C'est une qu'on ne voit pas. Pas comme celle que m'avait fait l'autre gars trois ans plus tôt qui zigzaguait sur mon bas-ventre. Cette interne : elle était vraiment respectable. Elle m'avait respectée. Moi, mon corps, et mon statut de mère. Peut-être parce qu'elle même femme ?

Trois quart d'heures plus tard, Tertio tétait mon sein. Je regardais sa bouche appliquée, en mouvement... Sa bouche que j'avais vue quelques heures plus tôt téter la paroi de mon utérus... Tellement heureuse de l'avoir dans mes bras, de pouvoir le présenter au monde entier... à ses frangins, entre autres. Ses frangins qui débarqueraient en fin de journée, ses frangins qui me sembleraient soudainement si grands...

Le 6 avril 1998, Tertio venait au monde. Il faisait beau, comme il a toujours fait beau le jour de la naissance de mes fistons.

mardi 17 avril 2007

1999 : tempête en père

Ce soir, ce soir, c'est Noël, les étoiles brillent dans le ciel, ce soir, ce soir, c'est Noël, c'est Noël ! Cette chanson des Wampas est assurément ce que je préfère de Noël...

Drôle de Noël, cette année-là. Nous avons tout bien fait avec précaution. Pas de vague. Pas de mots déplacés. Tout s'est bien passé, il n'y a pas eu de casse, pas d'engueulade, pas de larmes...

Drôle de Noël parisien. D'ordinaire nous descendons à Bordeaux chez mes beaux-parents. Dans ma famille, nous n'avons jamais réveillonné ensemble, donc mon compagnon et moi-même n'avons jamais eu ces interminables discussions pour déterminer quelle famille emporterait le réveillon. C'était la sienne à chaque fois et c'était très bien comme ça. Mais l'été précédant ce noël 99, un idéal s'était effondré. Sa famille unie s'était décomposée. Moi-même, issue d'une famille éclatée, je les avais toujours admirés pour la force de leur union... malgré quelques infidélités respectives et respectées, petits arrangements avec la vie... Mais l'été précédant ce fameux noël, nous avions appris que l'infidélité paternelle avait eu et aurait des conséquences : nos enfants pouvaient s'enorgueillirent d'un oncle plus jeune qu'eux qui soufflerait sa première bougie à l'automne, la maîtresse de mon beau-père approchant la quarantaine avait eu un désir d'enfant... Elle l'avait assouvi. Le mensonge plus que l'infidélité nous avait fortement touchés. Qu'attendait-il mon beau-père ? Que l'enfant dont il était le père retourne dans le ventre de sa maîtresse ! Il croyait encore au Père-Noël ?

Noël, cette année-là, nous ne le fêterions donc pas à Bordeaux, ma belle-mère monterait seule à Paris. J'en profitais pour inviter mon père qui devait réveillonner seul dans sa banlieue : il n'avait pas accompagné sa femme et leur fille dans leurs montagnes savoyardes.

Les enfants sont enfin couchés, les paquets cadeaux déchiquetés jonchent le parquet, la cuisine est pleine de vaisselle, la table du salon couverte des reliefs du repas, toutes les bouteilles sont vides... Comme d'habitude, nous avons tout bu... Mais allez ! Ce n'est pas Noël tous les jours ! Mon beau-frère s'effondre ivre-mort sur le canapé et se met à ronfler. Même mon père se tait : plus personne ne l'écoute... Je suggère que chacun rejoigne ses pénates. Je suis fatiguée. Mon père ne se souvient plus où il est garé, je propose de le raccompagner jusqu'à sa voiture.

Dehors la pluie tombe à flots. Rue Labat, croit-il se souvenir. Jusqu'à la rue Labat, soit, il titube. Je repense à tous ces dimanches après-midis où il nous raccompagnait au métro après un repas trop arrosé. Je pense aux diverses stratégies que j'avais successivement adoptées pour éviter qu'il ne terminent dans un tel état. Boire moi-même : tout ce que j'ingurgitais, c'était toujours ça de moins pour lui... Inefficace, il ouvrait une ultime bouteille et je finissais saoule sans même en avoir eu envie. Ne pas boire pour ne pas l'entraîner à la consommation, prétendant des excès la veille... Inefficace, pas de soucis pour lui à boire sans nous. Alors toujours la même histoire, toujours la même peur au ventre lorsque je suggérais que nous rentrions, qu'il proposait de nous reconduire. A chaque fois je n'osais dire non, je n'osais lui dire qu'il avait trop bu, beaucoup trop bu, je n'osais le laisser sur ces mots d'adieux à sa femme et sa fille par peur de sa colère, une fois la porte sur nous refermée... Mon compagnon, mes enfants et moi-même nous engouffrions dans sa voiture en silence, l'estomac noué jusqu'à l'arrivée. Lors de notre dernière visite, mon fils aîné avait trouvé étrange qu'il s'assoit par terre au milieu de l'entrée pour lacer ses souliers, je regardais sa mine interdite devant cet étrange grand-père... Mais qu'il est dur de parler de l'alcoolisme...

Nous trouvons sa voiture sans trop de mal.
«– Je te raccompagne ?
– Non, tu as beaucoup trop bu, il est hors de question que je monte dans ta voiture. C'est sorti tout seul, sans que j'y réfléchisse.
– Mais on est tout près chez toi. Et puis, il n'y a pas que moi qui ai trop bu ! Moi je ne me suis pas affalé sur ton canapé.
– Celui qui est affalé sur mon canapé, si j'ai envie un jour de lui parler de son alcoolisme, je le ferai... Mais là maintenant, je m'en fous un peu, c'est à toi que je parle. Je me suis promis de ne plus jamais monter dans ta voiture quand tu étais saoul. Plus jamais, je ne mettrais ma vie entre tes mains, pas plus que celles de mes enfants. On va discuter un peu à l'abri... Ça te laissera un peu le temps de dessaouler avant de conduire et de rentrer chez toi. »

J'ouvre la porte passager et m'assois. Il ouvre la sienne et se glisse au volant. L'ambiance est moite dans la voiture. Nous ne nous regardons pas, chacun garde les yeux rivés sur la pare-brise qui ruiselle à la lumière orange des lampadaires. Nous y sommes. Ici et maintenant. Rue Labat.
« – Cela faisait longtemps que je devais te parler mais je n'en ai jamais trouvé le courage. Primo (mon fils aîné) m'a questionnée sur ton attitude. Je ne pouvais discuter avec lui avant de parler avec toi, question de principe. Alors allons-y, le moment semble venu... – ... – Aujourd'hui, il n'y a plus rien d'intéressant à partager avec toi. Systématiquement, à chaque fois qu'on se voit, tu es ivre. Comme tout le monde : « Tu es con quand tu as bu. ». Absolument comme tout le monde, moi la première... Alors j'évite d'être toujours ivre, c'est toute la différence. A chaque fois qu'on te voit tu bois trop, alors à chaque fois qu'on te voit, tu es con. C'est comme ça et c'est dommage. Voilà que je m'engage un soir de Noël, à 2 h00 du mat, sous des trombes d'eau, dans cette discussion trop longtemps retenue... On ne choisit pas toujours le moment : cette phrase que depuis trop longtemps je retenais en moi-même est sortie ce soir de Noël 99, rue Labat. Il allait falloir assurer maintenant : exposer mon point de vue : ma souffrance et mon amour. Ton alcoolisme est terrible pour ceux qui t'entourent : pour moi et mes enfants, pour mon frère même s'il est loin, pour ma frangine, pour ta femme. Nous t'aimons, mais nous en aimons un qui se suicide à petit feu sous nos yeux, et qui n'est plus très intéressant au présent...
– Je sais, dans ma vie, j'ai tout raté.
– Non ! Je ne peux pas entendre cela de mon propre père. Non ! Je ne pense pas être ratée, pas plus que mon frère ou ma soeur. Donc, même si professionnellement tu n'as pas réussi ce que tu voulais, même si tout n'est pas rose, tu as élevé convenablement tes enfants. Tu ne nous as pas raté, nous : nous t'aimons et ne savons plus quoi faire de cet amour.
– Vous avez été élevés par ta mère et par Marie.
– Non ! pas moi en tous cas ! C'est toi qui m'a permis de faire plein de choses que j'ai aimé et que j'aime encore. Toi, tu ne m'as jamais jugée dans mes choix, tu les as respectés tels qu'ils étaient, tu m'as soutenue pour les suivre quand j'avais besoin d'aide. Ce n'est pas ma mère qui me soutenait... Parfois tu exprimais ton désaccord, tes inquiétudes, et ça me faisait réfléchir, mais tu ne m'empêchais pas d'être celle que je voulais. En moi, je réalise que ma mère n'a jamais été aussi respectueuse à mon égard... Oui, elle se taisait ouvertement, mais je lisais son incompréhension sur les traits de son visage à chaque fois que mon parcours m'éloignait d'elle et de sa manière de concevoir le monde. J'en ai bien plus souffert que je ne voulais bien le reconnaître, même cette fameuse nuit, sous la pluie... Ma mère m'a dit que tu avais commencé à boire au Cameroun, est-ce vrai ?
– Je ne voulais pas que tu naisses à ce moment-là...
– Et bien merci ! C'est un peu raide à entendre ce que tu dis là... Tu réalises que si je n'étais pas née à ce moment-là, ce n'eut pas été moi...
– Je ne voulais pas d'enfant à ce moment-là, parce que je savais que je devais partir en coopération.
– Mais elle t'a accompagné là-bas, non ? Et heureusement, soit dit en passant, qu'elle est rentrée pour accoucher en France, sinon je serais morte là-bas et elle aussi : pas de couveuse là-bas.
– C'est pour cela que je ne voulais pas qu'elle soit enceinte à ce moment-là. J'aurais aimé être à ses côtés pendant toute la grossesse, mais elle ne m'a pas écoutée.
– Tu sais, le désir d'enfant quand ça prend une femme... c'est assez incontrôlable ! J'en sais quelque chose !
– De toutes manières, les femmes sont toutes des connes !
– Ah oui ? Tu sais, quand on trouve que tout le monde est con, il est souvent l'heure de se remettre en cause soi-même... Peut-être que tu bois pour cela. Il n'y a que quand tu as bu que tu peux te sentir sincèrement plus puissant que les autres... Ça aide à faire coller le monde à ses désirs, l'alcool, même si ça rend inconscient simultanément. Je le sais parce que j'aime aussi l'ivresse ... Cependant, la terre entière ou même juste sa moitié féminine complètement conne... Excuse-moi, je n'y crois pas ! Et je suis même sûre que tu n'y crois pas toi-même à jeun. Alors tu bois pour avoir raison avec toi-même, perdu avec toi-même, plus personne ne peut te contredire, plus personne ne t'atteint. Ma mère, je concède que tu lui en veuilles de t'avoir quitté, mais Marie, elle est conne aussi ? Si tu le penses, tu ferais mieux de la quitter plutôt que de lui faire supporter ton alcoolisme et d'attendre qu'elle ne parte. Elle déguste à tes côtés, je pense. Elle déguste parce qu'elle t'aime. Elle t'aime avec ce qu'elle est : ses défauts et ses qualités. Si tu ne la supportes plus, tu pourrais au moins avoir le courage de lui dire à elle, plutôt qu'à moi. Parce que je ne vois pas bien ce que je peux faire de ces mots... Rien d'autre que de te demander de les assumer.»

Il pleut de plus en plus fort, des rafales de vent hurlent autour de nous... Je suis désemparée : sa vie n'est effectivement pas très gaie vue sous cet angle...
«– Tu es la première femme avec qui je parle.
– ... ! ... Et bien je ne suis pas et ne dois pas être une femme pour toi : je suis ta fille ! »

Je suis dépitée parce qu'il ment : je veux bien croire qu'il n'ait pas beaucoup échangé avec ma mère, mais sa conjointe actuelle, psychothérapeute de profession, je ne peux croire qu'elle n'ait pas tenté la discussion avec lui. Je ne peux supporter qu'il la dénigre ainsi, quelle qu'elle soit... Mais ce n'est pas mon histoire. Par contre, je suis plus qu'embarrassée que mon statut de fille soit dépassé par celui de femme à ses yeux...

Une silhouette traverse la route en courant abritée sous un manteau. Elle se dirige vers nous, tape furieusement au carreau. J'ouvre la fenêtre, reçois des trombes d'eau sur les genoux...
«– Qu'est-ce que tu fous ! Ça fait deux heures que vous avez quitté l'appartement !
– ... Excuse-moi, je n'ai pas fait attention au temps qui passait... Nous parlons... Ce n'est pas simple... Mon compagnon n'avait pas été très chaud pour qu'on invite mon père pour ce dîner. Comme moi, il n'en pouvait plus des déjeuners dominicaux... Comme moi, il avait peur en montant dans la voiture de mon père chaque dimanche passé chez lui. Il a juste eu peur... J'arrive bientôt. Je rentrerai à pied, rassure-toi. »
Il s'éloigne en colère ou inquiet, je ne sais...

Il est temps de clore cette discussion.Sans aucune certitude, j'espère que mes mots porteront leurs fruits, je ne peux vivre à sa place... Je ne peux que lui témoigner encore une fois mon désarroi et mon amour, à lui de vivre.

« – Tu fais absolument ce que tu veux de ta vie, mais n'oublie pas qu'il en est plein qui t'aiment et aimeraient pouvoir t'aimer encore. Je me limite à parler pour moi et mes enfants : nous sommes tristes, parce que celui qu'on aime vraiment, celui qui est mon père, qui pourrait être un chouette grand-père, aujourd'hui, nous ne faisons plus rien d'autre avec lui que de constater son autodestruction. Voilà ce que j'ai à te dire ce soir : je t'aime, on t'aime, et tu gâches cet amour que tu pourrais recevoir. Voilà pourquoi j'aimerais que tu fasses une cure. Ainsi, nous retrouverions un réel plaisir à être à tes côtés, et toi-même retrouverais du goût à vivre. On n'a qu'une seule vie. »

Je l'embrasse.

« Sois prudent sur la route. Et appelle-moi demain matin pour me rassurer. »

Je quitte l'habitacle de la voiture. La pluie transperce mes vêtements lorsque je regarde les feux arrière disparaître lentement dans le rideau d'eau. Le vent fait se courber la cime des arbres. Il a toujours été extrêmement prudent lorsqu'il conduit en état d'ivresse... J'espère que cette fois-ci comme les précédentes, il arrivera à bon port. Je rentre chez moi avec une tristesse infinie, un sentiment d'impuissance monumental, une fatigue éprouvante. J'aimerais en parler avec mon compagnon... Mais « chacun sa famille » me dit-il. Il n'a pas tord...

Le lendemain, nous apprenons que ce n'est pas un simple coup de vent qui s'est abattu sur le 18ème arrondissement. Une tempête a traversé la France. Et la traversera à nouveau quelques jours plus tard.
Le lendemain, je vais au cinéma : Le vent nous emportera... Je m'endors dans la salle obscure. Il me fallait une histoire d'autres pour me reposer de la mienne.

Aujourd'hui, je n'attends vraiment plus grand chose de cette fête... Mais j'aime toujours quand les étoiles brillent dans le ciel et dans les yeux des enfants le soir de Noël.

lundi 16 avril 2007

2000 : idéal ou mirage ?

Je suis quelque peu impressionnée lorsque j'entre dans ce magnifique appartement du 17ème arrondissement. Je ne ne peux pas dire que le quartier m'ait enthousiasmée : silencieux et vide. Pas un troquet, pas un magasin. Juste ces imposants immeubles hausmanniens. Magnifiques certainement, mais sans vie. L'entrée est superbe, de grandes glaces renvoient notre image : mon compagnon et moi ne sommes pas familiers à ce décor, pas plus que souriants, semble-t-il. L'ascenseur n'est pas un bloc métallique gris sale estampillé OTIS, ce n'est pas une verrue au milieu de la faïence et du marbre : les marqueteries de ses portes, les petits strapontins recouverts de velours rouge s'harmonisent parfaitement avec le reste du lieu . Mal à l'aise, nous nous faisons touts petits en l'empruntant. Silencieusement nous montons au quatrième étage.

Laurent nous ouvre la porte de son nouvel appartement : 4 m sous plafond, des miroirs du sol au plafond agrandissent encore l'espace de l'entrée qui ne fait pas moins de vingt mètres carré. Il nous promène dans les deux cents mètres carré qui constituent son logis, symbole de sa réussite professionnelle mirifique. Lui, le fils d'un flic et d'une femme de ménage est propriétaire de ça... Ça, qui ne me séduit pas. Bien sûr, c'était magnifique... Mais, je n'y sens que de la réussite affichée, pas vraiment d'âme. Je n'y retrouve pas le pote que j'aimais auparavant pour ses extravagances, pour ses cheveux rouges ou bleus, pour sa R5 pourrie sur la route des vacances, pour son regard critique et sensible sur la société.

Laurent a réuni pour cette soirée une dizaine de ses anciens potes, ceux de la prépa, ceux des javas étudiantes. Il ne nous invite pas avec ses nouvelles relations sociales : nous n'aurions rien à nous dire. Je suis triste : j'ai l'impression d'avoir perdu un de mes meilleurs amis. Je suis là ce soir parce que j'ai insisté, mais en quittant notre appartement vers Barbès mon compagnon m'avait demandé de ne pas discuter avec Laurent, de ne pas exprimer mes divergences. Si j'aime à discuter, à refaire le monde avec mes amis, le dialogue n'est pas chose commune au sein de notre couple. J'avais obtempéré.

Laurent et sa femme sont l'un comme l'autre fins cuisiniers, la chair est excellente. Laurent et sa femme sont richissimes, les vins sont délicieux. Je suis assise à droite de Laurent... Et la discussion s'engage sur la réussite de sa boîte dont les effectifs sont passés de 3 à 2000, sur les 50 heures de travail hebdomadaires imposées à ses salariés pour que l'entreprise ne coule pas, ne se fasse pas manger par de plus gros, m'explique-t-il, dont il profite exclusivement depuis qu'elle est entrée en bourse, ne puis-je m'empêcher de lui faire remarquer, avant de me mordre la langue : j'avais promis de me taire, de profiter sagement du confort et du luxe. Mon compagnon me fait les gros yeux, je suis en tord, j'ai dit ce que je pensais. Je me tais, Laurent descend à la cave chercher du vin.

Silencieuse, je sens ma gorge qui se serre, et les larmes qui montent. Qui suis-je si je ne peux plus dire ce que je pense ? Je regrette de ne pas avoir réalisé cela plus tôt, je regrette d'être là, je me sens mal. Je ne me sens que le faire valoir de mon compagnon : sa jolie femme et la mère de ses enfants. Je suis dépitée, je me tais... mais ça se voit. Lorsque Laurent remonte de la cave avec quelques sublimes elixirs, l'ambiance s'est tendue autour de la table. En passant derrière moi, il pose ses mains sur mes épaules pour me détendre, je m'effondre en larmes. L'ambiance est effroyable : les conversations s'arrêtent, tout le monde me regarde, je suis incapable de dire ce qui m'arrive, incapable de dire aux potes de mon compagnon qu'il m'a interdit d'être moi avant de partir de chez nous. Je sanglote.

Je voudrais que mon compagnon me prenne dans ses bras pour me soutenir quelles que soient les raisons de mon désarroi. Mais rien ne vient. Je décide de rentrer pour ne pas gâcher leur soirée, je voudrais qu'il me raccompagne, je voudrais être seule avec lui, lui dire qu'il m'a profondément blessée en m'interdisant de parler avec Laurent que je considère comme mon ami, même s'il était préalablement le sien. Je voudrais qu'il me considère comme je suis au présent : simplement malheureuse, je voudrais pouvoir lui dire pourquoi seul à seul, afin de pouvoir recevoir ses excuses. Mais rien ne vient. C'est une amie qui sauve la soirée : elle me raccompagnera. De toutes manières, il est l'heure qu'elle libère sa baby-sitter. Mon compagnon se tait, je me tais. Je me ferme un peu plus : ce n'est pas elle qui aurait dû venir à mon secours.

Epuisée, je m'endors pour oublier au plus vite ce que j'ai imposé à mes potes, ne me réveille pas lorsque mon conjoint rentre quelques heures plus tard, pas plus qu'il ne se réveille quand les enfants se lèvent le lendemain matin. Après tout, je ne me suis pas couchée au bout de la nuit, c'est à moi d'assurer le biberon du plus jeune, les bols de céréales des aînés. J'aime cette famille nombreuse que nous avons créée, cet amour donne la force de lutter contre la fatigue pour la faire vivre. Je suis amoureuse du père de mes enfants, je l'excuse toujours lorsqu'il est désagréable avec moi : j'ai tellement de chance dans ma vie, si proche de mon idéal.

La vie reprend son cours sans que j'exprime ce qui m'a tant blessée, j'oublie.

...

Quelques mois plus tard, seule sur ce canapé de la maison des vacances de mon enfance, mes enfants au Club de plage, mon compagnon à Paris, je me souviendrai de cette soirée, je me souviendrai de mes larmes, et de mon silence. La souffrance tue sera exacerbée, extrayant de ma mémoire trop de blessures qui s'enchainaient les unes les autres. Je me souviendrai de tous ces nombreux autres instants, où je n'avais pu être moi, pour être une sienne convenable. Je me souviendrai qu'il m'ait empêchée de partir dans cette même maison en janvier pour constater les éventuels dégâts de la tempête parce qu'il ne voulait pas s'occuper seul des enfants un week-end, je me souviendrai qu'il ait préféré partir en s'amuser à Londres sans moi, je me souviendrai qu'il m'ait un jour dit qu'il souhaitait avoir un studio rien que pour lui, je me souviendrai qu'il reprochait à ma mère de venir tous les mardis jusqu'à 19h00, seule solution que j'avais pu trouver pour avoir deux heures pour bosser après l'école avec mes collègues, je me souviendrai qu'il ne rentrait que vers 21h00 en temps scolaire, mais qu'il était à la maison vers 19h00 lorsque j'emmenais les enfants en vacances, je me souviendrai que j'appréhendais les week-end qui allaient pendant deux jours confronter nos malaises silencieux, je me souviendrai qu'il ait refusé que l'on se pacse, je me souviendrai qu'il m'ait déjà dit qu'il ne m'aimait plus et que j'avais alors tourner mon visage vers le mur pour serrer les dents en silence : moi, je l'aimais. Tout ce que j'avais supporté sans rien dire par amour me remontait à la gorge. Je ressassais tout cela, repliée sur moi-même sur mon canapé. Non, ce que je vivais n'était aucunement idéal : cet homme ne m'aimait pas moi, il se satisfaisait de ce que je faisais pour lui. Je n'existais plus à ses côtés, juste une coquille vide. L'idéal vers lequel ma vie tendait était dans ces conditions un leurre. Aussi brusquement qu'un mirage disparaît lorsqu'on s'en approche, il venait de s'évanouir. Aucune raison de subir les épines du chemin... Une seule solution s'offrait à moi : quitter cette route.

Pour lui donner le temps de se réfléchir de son côté avant de nous rejoindre en vacances, je l'appelais à Paris : « Je me suis pas sûre que nous finirons notre vie ensemble... »

Un ami à qui je racontais de cette décision aussi subite que douloureuse me dit qu'il descendrait du train avec un bouquet de fleurs pour me reconquérir. Je me permettais de ne pas trop y compter, il n'y en eut pas de fleurs. Après une nuit de discussion, il me dit que j'avais raison de vouloir partir, qu'il me comprenait, mais qu'il ne souhaitait pas imposer cela à nos enfants. Personnellement, enfant de parents divorcés, cet argument ne me semblait pas insurmontable. J'y avais survécu, et avait profité de ses avantages.

Le lendemain, nous annoncions la nouvelle à nos enfants... Doucement la vie de famille décomposée s'installa... Elle dure toujours.

Après lui en avoir beaucoup voulu pour ce qu'il m'avait fait supporter, je m'en suis beaucoup voulu d'avoir supporter sans rien dire. Mon silence nous empêchant certainement l'un comme l'autre de réaliser comme il me blessait. Et puis, j'en suis arrivée à la conclusion que nous n'étions pas fait pour une longue vie commune, nous avions fait ce qu'il y avait à faire ensemble : trois magnifiques enfants. A nous de continuer à être un couple parental à distance, sans plus blesser nos personnes, sans user nos quotidiens dans le désamour.

Aujourd'hui, lorsque je nous regarde tous les deux, je ne regrette pas cette décision : nous sommes très différents. Lorsque je vois sa copine qui se met en colère dès qu'elle n'est pas d'accord, je réalise que c'est certainement ce qui nous a manqué : oser la colère, expression des sentiments négatifs au moment où ils sont ressentis, plutôt que de nous enferrer dans le silence, enfermant nos ressentiments. Aujourd'hui, plus que jamais, il assume son rôle de père. Je ne suis pas certaine qu'il eut pu le faire à mes côtés. Aujourd'hui, je suis heureuse qu'il soit le père de mes enfants. Aujourd'hui, nous nous respectons même en désaccord : nos divergences nous modèrent, nous font réfléchir et avancer plutôt que de nous brimer. Aujourd'hui, je me souviens de tous les bons moments que nous avons partagés, qui tous méritaient d'être vécus.

Aujourd'hui, nous avons quelques années de plus... Un peu plus de maturité qu'à l'aube de nos trente ans.

dimanche 15 avril 2007

2001 : Grandir à Bruxelles

Patrice m'avait appelée : aurais-je envie de partir un week-end avec lui visiter Bruxelles. Ma foi... oui ! Je ne connaissais pas cette ville, et j'aimais le tourisme citadin. Patrice avait été mon amant pendant six mois. Je l'avais rencontré l'été 2000. Dans ce restaurant de bord de plage qui faisait dancing passé 23h00, alors que je dansais sur la piste avec une tripotée de gamins trop heureux de quitter leurs tablées familiales, deux mains m'avaient attrapée par les épaules, je me retournais : « Vous ici ! » Patrice était le père d'une de mes élèves parisiennes, Patrice avait grandi dans cette station balnéaire à laquelle je pouvais relier tous les évènements importants de ma vie. Patrice, je l'avais revu l'été suivant, nous avions passé une nuit ensemble, j'avais cru que l'histoire s'arrêterait là, mais elle avait continué et était devenue un élément clef de mon présent d'alors. Notre rencontre avait eu lieu à un moment, où je croyais devoir renoncer à l'amour, sans pour autant me priver d'aventures. Patrice avait 50 ans, il avait été jeune adulte quand j'étais jeune enfant dans les années 70 : une autre histoire de vie, un autre contexte que le mien, une autre relation à l'amour et aux liaisons amoureuses, plein de choses à découvrir que mon tout nouveau statut de néo-célibataire me permettait. De son expérience, il m'apprit que dans toute relation, chacun ne peut recevoir qu'à la mesure de ce qu'il a misé... Il m'appris aussi qu'être amoureux était certainement la plus belle expérience terrestre. Je me laissais à tomber amoureuse. Cet état dura quelques mois. Lorsque je me posai la question d'annoncer cette liaison à mes fistons, la réponse fut claire : je n'en avais pas envie. Cette histoire n'avait été qu'une heureuse aventure, je ne lui voyais aucun avenir. L'amour se fit la malle.

Lorsqu'il m'avait appelée pour ce week-end à Bruxelles, cela faisait un mois que nous n'étions plus « ensemble ». Je croyais que les choses étaient aussi claires pour lui que pour moi : nous allions poursuivre en amis cette relation qui était nôtre. Quelle bonne idée que de faire ensemble ce que l'amour ne nous avait pas laissé le temps d'expérimenter. J'acceptais.

Au bout du quai Gare du Nord, je réalisais que je m'étais peut-être trompée sur la nature de nos nouvelles relations : il me salua en m'embrassant sur la bouche. Les choses n'étaient de toute évidence pas si claires que cela ! Il m'invitait à ce voyage, je nous voyais mal engagés pour les heures en proximité à venir si je soulevais sur le quai du départ l'écart de points de vue, je décidais de considérer ce week-end comme le sien, de lui donner une chance de rallumer en moi la flamme amoureuse, de le suivre dans ses envies.

J'ai un excellent souvenir de Bruxelles, de nos ballades bras dessus - bras dessous, de la musique des pubs jusque point d'heure. Je n'ai qu'un seul regret : que ce week-end ait été celui de la Pentecôte : le lundi se déclina sous le signe du silence. Je n'avais pas eu besoin de trois jours pour retrouver l'accord avec moi-même. Le troisième jour sembla sans fin. Je n'osais dire ce qui était évident : je n'étais définitivement plus amoureuse et recevoir ses témoignages d'amour était douloureux , je ne savais qu'en faire. Pas plus envie de le blesser que de le satisfaire. Je ne savais rien faire d'autre que me taire.

J'appris que les désirs de l'autre ne seraient jamais nécessairement les miens. Que l'état amoureux, tout magnifique qu'il soit, n'était pas définitivement pas éternel. Je réalisais que les histoires homme/femme étaient encore plus complexes lorsque les protagonistes étaient libres. J'avais expérimenté mes capacités à la séduction inconsciente... Je découvrais qu'il serait difficile de faire sans à l'avenir. Et qu'être gentille dans une relation pouvait supposer pour l'autre beaucoup plus que ce qu'on souhaitait y mettre.

J'ai beaucoup grandi à Bruxelles.

dimanche 8 avril 2007

2002 : luttes tout azimuth

En 2002, j'en avais marre de tout. Qui plus est, j'en avais marre de refaire le monde dans ma tête ou avec d'autres autour d'un ultime verre sans que rien ne change pour autant.

En 2002, mes élèves avaient 4 ans. Ils me dirent : « C'est le gentil qui a gagné. » Le gentil, le gentil, comme vous y allez ! Ce n'est pas une question de gentil ou de méchant. Les grands ne votent pas pour un gentil ou un méchant, il vote pour celui qui dirigera le mieux la France à leur idée... Le mieux, le mieux ? Le moins mal serait plus juste. Dans mon for intérieur, je m'en voulais encore de lui avoir donné mon vote au « gentil »... Une fois de plus, je m'étais laissée convaincre par les mots des autres. Je ne voulais pas qu'il gagne avec 80 % des voix exprimées, et j'avais tout fait pour... Une prochaine fois, écouter les autres, mais ne pas oublier décider toute seule. Comme vient de me dire Primo, mon fils aîné, en 2007 : « De toutes façons, dans l'urinoir, on est tout seul. »

En 2002, Tertio, mon benjamin de 4 ans, m'avait dit : « Bon, on y va à la manif pour la brosse ? ». Je l'avais regardé... interdite. Et puis, en prononçant ces mots : « Contre Le Pen, tu veux dire ? » j'avais compris : si on est contre l'usage du peigne, on est pour celui de la brosse. Quoi qu'il advienne, il faut bien se coiffer chaque matin, non ?

En 2002, Deuxio, mon cadet de 7 ans m'avait demandé : « Dis, maman, tu crois que Le Pen est un bon grand-père ? »... « Je n'en sais rien, mon petit gars, mais ce n'est pas pour cela que je ne veux pas de lui au pouvoir. » Quelle bonne question cependant ! Le bien et le mal sont-ils objectifs ou à redéfinir à chaque fois en fonction des circonstances ?

En 2002, je réalisais que le monde des adultes est bien étrange aux enfants. Que ces enfants vivant une période de crise tentent de comprendre avec leurs propres préoccupations pourquoi les adultes qui les entourent sont mobilisés par d'autres choses qu'eux-même. Que ces enfants analysent le monde avec ce qui est le plus important à leurs yeux : l'amour de leurs parents, et la nécessité vitale de tout mettre en oeuvre pour ne pas risquer de le perdre.

En 2002, je décidais d'agir plutôt que de penser, je décidais de trouver dans l'action un exutoire à mes colères, je décidais d'aller voir d'un peu plus près le monde de la politique. La rencontre de l'enseignant de mon fils aîné associée à « mon » propre passé politique (Fille de parents PSU et d'une banlieue rouge : on n'est jamais que le fruit d'un père, d'une mère et de la société environnante...), je m'engageais vers un parti trotskyste. Après avoir lu des milliers de pages, je m'inscrivais à l'université d'été de la LCR à Gourette. Cette semaine de réflexion intense dans un VVF au milieu du brouillard m'enchanta : j'avais trouvé ma place... Mais un mois plus tard, en cellule, je réalisais que la démocratie ne se situait sûrement pas là. Je me refusais à differ des tracts avec lesquels je n'étais pas d'accord, qui reflétaient aucunement la teneur des propos que nous avions eu en réunion. Lorsque j'expliquais que le mercredi, j'étais indisponible, on me rétorqua que dans la vie, il fallait faire des choix. Prétendre changer le monde sans se préoccuper du présent de ses enfants, très peu pour moi, je pris la porte le sourire aux lèvres.

En 2002, déçue par la politique de parti, je m'engageais dans une lutte de proximité : permettre à tous les enfants de mon école de manger à la cantine, même ceux qui étaient rentrés en retard parce que les billets d'avion sont moins chers fin septembre, même ceux qui avaient des parents tête en l'air qui avaient oublié de remplir le document d'inscription avant les autres. Je me retrouvais vite en lutte contre l'institution scolaire qui considérait que cette question ne me regardait pas, en lutte contre la mairie qui n'avait pas de solution matérielle immédiate, auprès des parents d'élèves à qui j'expliquais qu'on avait besoin d'être ensemble pour se faire entendre. Ensemble sur le trottoir de l'école pour faire manger les enfants refoulés à la cantine en distribuant des tracts aux passants, les votants de l'arrondissement, ensemble dans la rue lors de cette manif sauvage qui nous conduisit à la mairie pour exposer notre point de vue : nous étions au plus une soixantaine sous cette jolie banderole que nous avions peinte la veille au soir sur mon balcon. Dans la mairie, je me souviens avoir compris que quelle que soit la politique économique du PS, il est des différences entre la gauche et la droite qui sont fondamentales. Dans cette mairie de gauche, les élus avaient compris que dans notre quartier, nous ne pouvions demander aux parents un certificat de travail pour justifier l'inscription de leur enfant à la cantine. Je me souviens d'une maman d'élève africaine me serrant dans ses bras : « Mais, Marine... Tu es africaine, toi ! » Elle m'avait fait tant plaisir, et m'avait dans le même temps déstabilisée : clair, pas sûr que je sois à ma bonne place ici et maintenant... Toujours en lutte pour être en accord avec moi-même, c'était épuisant.

En 2002, épuisée... Deux briques incompressibles dans le ventre, j'étais allée voir mon généraliste. Xanax et repos. Et puis surtout : « Cherchez votre lutte. », m'avait-il dit. En 2002, j'avais compris que ma colère contre le monde était sûrement déplacée. Ma vraie colère était intestine. Il fallait que je plonge en moi-même, que je cherche dans mon histoire où se situaient les premières colères. En 2002, j'amorçais mon premier pétage de plomb.

En 2002, je réalisais que la seule chance que j'avais eu, était d'avoir survécu à un démarrage dans la vie bien moins rose que celui qu'on m'avait jusque là décrit, que j'avais toujours voulu croire. Mais est-ce vraiment une chance que d'avoir vécu des choses douloureuses ? Je me permets aujourd'hui de ne pas le croire.

En 2002, je réalisais que ma priorité d'adulte serait de diriger mes actes vers le bien-être des enfants, des miens comme de ceux des autres... Les enfants : les futurs adultes de notre société.

jeudi 5 avril 2007

2003 : dans tous les sens

2003 c'est la suite de 2002, tout comme 2007 poursuit 2006. Dans ma vie, il semblerait que les évènements perturbateurs se déclenchent en fin d'année, les conséquences bénéfiques n'apparaissant que l'année suivante.

En 2003, je découvrais que je pouvais ressentir le monde. Comme tout le monde. Oui, mais pas pour moi. C'était comme ça. Je découvrais aussi, tant pis pour les autres, que moi était, est et serait important.

J'étais dans un jardin à Montreuil. Dans un contexte de vie nouveau, inconnu pour moi jusque là, mon environnement amical et affectif m'ayant toujours conduite vers beaucoup plus de rationnel, ma vie à 300 à l'heure ne m'ayant pas bien laissé le temps de voir les haies bornant son chemin : toujours droit devant poursuivant les projets préalablement établis. À 33 ans, j'avais déjà dans mes bagages d'adulte : un diplôme d'ingénieur, un long séjour en Afrique, 3 garçons qui n'étaient plus des bébés, un boulot d'instit, une longue vie maritale riche, une courte vie de célibataire, riche elle aussi. A 33 ans, je savais ce que ce que j'avais fait, je ne savais pas qui j'étais. A 33 ans pour la première fois de ma vie, je pétais un boulon. J'eus tant aimé que cela fut la dernière, je croyais tant à cette chanson de Brigitte Fontaine : Une fois, mais pas deux... que, récemment, je n'ai pas voulu la voir venir la deuxième fois, elle n'était pas possible, pas envisageable... Aujourd'hui, c'est décidé, je ne crois plus aux signes du destin... Vous pouvez y aller, hurler : " Jamais deux sans trois.".. Ça me fera rire, rien de plus !

Dans ce jardin, soudain, je n'entendis plus rien. Ou plutôt j'entendis tout mais je ne comprenais plus rien. Il me fallut un moment pour prendre conscience de ce qui m'arrivait. Ne pouvant rien faire d'autre, j'écoutais ce qui se passait. Tout ce que mes oreilles recevaient arrivait à mon cerveau avec la même valeur, sans aucun filtre. J'entendais les sons du gars qui me parlait avec la même acuité que les musiciens au fond de la cour qui chantaient autour du piano mécanique, les pieds d'une table déplacée par quatre gaillards qui raclait le sol rugueux, les oiseaux qui paillaient dans les arbres, les feuilles qui bruissaient dans le vent. Je me concentrais, mais non, je n'entendais pas le bruit des rayons du soleil qui éclairaient ce jardin. Je n'étais pas folle, je n'entendais que ce qui produisait réellement des sons. Je n'étais pas folle, mais incapable de comprendre un traître mot de ce que me disait mon interlocuteur...

Je m'excusais sûrement, m'éloignais, mobilisant le peu de raison qu'il me restait pour comprendre ce qui m'arrivait. Je mobilisais les outils à ma disposition : j'analysais, je cherchais des références possibles à mon état... Oki dac, je suis comme un bébé de 3 mois qui découvre les sons. Un bébé tout neuf qui reçoit tout sans interpréter puisque sans expérience. Il ne connaît rien au monde, ni la musique, ni les musiciens, ni les animaux, ni les oiseaux, ni les meubles, ni les tables, ni les arbres, ni les feuilles, ni le vent. Tout neuf, il ne connaît du monde que ce qu'il en ressent par son propre corps. Il devra apprendre le nom des choses pour communiquer avec les autres, il devra apprendre à se concentrer sur les mots des autres pour apprendre plus encore d'eux, il devra apprendre pour mieux se connaître à trier ses sensations en bons ou mauvais ressentis.

La prise de conscience du monde au présent, découverte par les sons, j'ai pu l'apprivoiser pour les autres sens. J'ai osé montrer les photos que jusque-là je faisais sans trop savoir pourquoi, j'ai appris à aimer me parfumer et à sentir le parfum des autres, j'ai appris à sentir le vin et à le goûter. Lorsque mes amis cavistes me l'ont suggéré, j'ai refusé de prendre des cours d'oenologie, préférant laisser cette page vierge de théorie. J'ai aussi, et c'est sûrement le plus bel apprentissage, appris à toucher l'autre et à être touchée. Magnifique sensation.

Aujourd'hui, je crois que dans l'émerveillement de cette découverte de mes sens, j'ai oublié, il y a quatre ans, la dernière étape, celle du tri. Oui, j'ai appris à ressentir pas moi-même, mais tellement à la joie d'éprouver des sensations, je les ai toutes mises du côté du bien... Depuis quatre ans, je m'extasie sur toutes les beautés du monde, j'en suis même fatigante pour mon entourage : par un rien je suis émue et j'encourage les autres à être émus également... Mais depuis quatre ans sans en être consciente, les mauvaises sensations, je continue à les enterrer au plus vite pour qu'elles ne ternissent pas le paysage, j'oublie de les ressentir pour ne pas à avoir à les exprimer, pour ne pas paraître négative sur le monde, pour laisser de moi l'image d'un personnage éternellement positif.

Aujourd'hui, je réalise qu'il me manquait ce bout du chemin pour arriver à moi : je n'osais ressentir le mal, et bien moins encore, l'exprimer comme tel. Lorsqu'il se présentait, je le subissais, le décrétant parfois même comme bon pour mieux le supporter. Aujourd'hui, il me faut réaliser ce qui a été négatif pour moi dans mon parcours, ce que je n'ai jamais voulu apercevoir. Alors, peut-être je pourrais à nouveau avancer, sans avoir peur de souffrir en silence et à nouveau. Sans plus avoir besoin d'anticiper sur les évènements à venir pour me préparer à me protéger. J'apprendrais à dire « non », à dire « stop » quand ça fera mal... avec la simplicité du ressenti présent. Sans chercher le pourquoi du comment, sans chercher si j'ai raison ou tord, sans attendre que la souffrance soit insupportable, sans plus avoir besoin de prendre inconsidérablement la fuite. J'apprendrai à dire : « Aïe » quand l'autre aura fait mal, même involontairement... surtout involontairement. J'apprendrai à exprimer mes ressentis même s'ils sont en désaccord avec ceux qui m'entourent. J'apprendrai à dire « j'aime » et « j'aime pas », et à ne pas me laisser juger dans mes différences. J'apprendrai à aimer être, et ne plus préférer paraître... Quel programme ! Demain est un autre jour.

2004 : l'ami-amant

L'année du brouillard. Cette année-là, je ne savais pas où j'en étais. Et je tentais de l'accepter. Aucune envie d'avancer, je me cherchais en moi. Peur de blesser alentour. Incertaine, j'écoutais les autres, je les regardais, sans m'investir. J'écoutais surtout cet autre, cet ami-amant.

Je le connais depuis mes 18 ans. Il était le meilleur ami de mon petit copain. Ils partageaient leur salle de bain dans l'internat où je passais mes week-ends après être discrètement passée devant la loge sous le grand porche. Les gardiens étaient aveugles ou certains que les jeunes gens qu'abritait le noble bâtiment avaient besoin de quelque détente pour donner le meilleur d'eux-même. Peu nous importaient les raisons, à nous, les filles qui passions rapidement devant la loge au milieu de la nuit après un ciné et quelques verres.

Dans le brouillard, cette année-là, je m'interrogeais sur ce groupe d'amis qui avait été le nôtre, jeunes et insouciants, des relations codifiées pour longtemps au gré des premiers élans amoureux. La copine du meilleur pote est toujours intouchable. Dans ce groupe d'amis, comme d'autres filles, j'avais été la copine de... Rien que cela, peut-être... Triste certitude, qui étais-je auprès de ceux avec qui j'ai tant partagé ?

Les années ont soudé nos amours incertains : chacun de nos côtés, nous sommes devenus parents. Les années ont désoudés nos amours incertains, les parents que nous étions se sont séparés. Et tous nous nous sommes retrouvés, unis par le passé, mal dans nos présents, incertains de nos avenirs.

Les discussions introspectives sur nos vies, se sont substituées à nos anciens rêves d'entrée dans la vie. Nous mesurions peut-être l'écart entre nos mots passés et nos présents...

Un an que durait cette histoire d'ami-amant. A chaque fois que nous nous revoyions pour échanger quelques réflexions sur nos vies, nos envies inassouvies, nos blessures tues, la chair était trop bonne, le vin coulait à flot, le bien-être ne voulait plus s'arrêter, le besoin de tendresse se faisait plus fort que la raison. Nous passions la nuit ensemble. Chaque soir, j'étais heureuse de partager avec lui. Chaque aube de nuit, je ne pouvais me résoudre à le quitter. Chaque nuit, jétais satisfaite de répondre à son désir. Chaque matin, je m'en voulais d'avoir céder, d'avoir donné mon corps en échange de tant de mots à écouter, d'idées à réfléchir. De n'avoir pas su dire non, lorsque je n'avais pas envie. Chaque journée qui s'ensuivait je faisais de nouvelles résolutions. Nouvelles : non... Éternellement la même que je ne tiendrai pas la fois suivante.

L'été approchait. Des projets ? Dans mon brouillard, je n'en avais point. Suivre les siens plutôt que de rester seule. Peut-être la proximité quotidienne lui donnerait raison. Peut-être nous aimions nous d'un amour serein. Peut-être mes rêves d'amour passionnels n'étaient que déraison. Je le suivais en vacances, merveilleuse balade dans la France de nos enfances, dans la France de son présent... Je rentrais à Paris, certaine cette fois-ci qu'il était mon meilleur ami, que je n'en voulais comme amant. Pour respecter mes propres désirs, je le blessais. En réponse à cette souffrance reçue et infligée, nos chemins divergèrent à nouveau.

De ces magnifiques moments, quelques mots pour ne pas oublier :

Nous sommes en bateau. Nous revenons de l'île de Patiras au milieu de la Garonne. Île toute plate sur laquelle poussent maïs et vignes. Nous y avons goûté quelques cuvées. Assise à l'arrière du bateau, dans le vent pour seule compagnie, j'imagine le paysan s'engageant chaque matin sur les flots pour aller soigner son champs, à l'abri des autres. Isolé sur son île déserte. Je l'imagine, rentrant le soir retrouver sa famille, heureux de son escapade solitaire. Mais nous accostons, il faut quitter ses pensées, il est temps de redescendre. Un pied sur l'embarcation, un pied sur le quai, au risque de me foutre à l'eau, je refuse la main que le vigneron me tend. Et mon pote dans mon dos : « Celle-là, avant qu'elle accepte de se faire aider... Il passera de l'eau sous les ponts... » Je me retourne, je souris. Il n'en est nul autre qui me connaisse mieux que lui. C'est vers lui que je me tournerai en janvier 2007, c'est lui me rattrapera par le col du manteau, m'intimant à me taire lorsque mes mots ne sont plus audibles, sans juger ma personne tant que mes pensées ne sont que déraison. Grâce à ses anciens mots professés au bord de ce fleuve, au bord de nulle part, j'ai su crier « A l'aide ! » Il a répondu.

Nous sommes sur la route qui serpente entre le Pic Saint-Loup et le massif de l'Hortus. Tels deux monstres ancestraux les montagnes nous observent, tous deux pour une fois silencieux, à l'écoute de ce qui nous environne. La voiture roule vite, les Cramps hurlent dans les baffles, émue par la beauté, je filme par la fenêtre. Au visionnage : surprise, rien de ce que j'ai vu n'apparaît. Lorsqu'on regarde un paysage de la fenêtre d'une voiture, on se focalise sur l'arrière-plan. Le filtre de l'expérience masque ce qui est inutile. De ce que j'ai voulu filmé, des majestueuses rocailles, on ne distingue rien. Sur le petit écran, seules les herbes folles du bas côté défilent à toute allure. La vie est sûrement ainsi faite, d'apparences variées suivant le point de vue que l'on s'accorde. La caméra ne s'accorde avec rien de sensible, juste avec le réel... l'incontournable, l'intangible.

Nous dormons au mazet. Au milieu des vignes, dans la garrigue, ces petites constructions de pierre protègent le paysan des trop lourdes chaleur estivales. Il peut y faire la sieste lorsque le soleil est à son mitan. Entre la coupe de matin, et celle de l'après-midi. Nous y dormirons cette nuit. « Tu ne dors pas avec moi ? » Mon duvet sous le bras, je m'installe dans les vignes, sous la voûte étoilée. J'ai envie d'être seule, proche de lui, mais seule avec moi. Au petit matin, les rayons du soleil sécheront la rosée toute la nuit déposée. Au petit matin, la lumière sera toute rose autour de moi. Je m'extraie du duvet pour attraper mon appareil photo. J'immortalise cet instant. Longtemps je m'en souviendrai : ce sera mon fond d'écran une année durant. Là-bas, j'ai su dire : « Non ».

2005 : Belote, rebelote et dix de der

Les mots dans la tête, le silence dans l'appartement. Recroquevillée sur son fauteuil d'osier, devant l'écran bleu. Je joue à la belote. Pas tout le temps, mais très souvent : un remède à la solitude.

Solitude ? Oui, c'est le mot qui convient lorsqu'on est seul. Cette année 2005 aura été marquée par un grand amour... interdit. Parfois Cupidon lance ses flèches au mauvais endroit. Cette fois-ci, c'est un homme marié qui retient mes pensées. Un homme aimant sa femme, sa famille, le projet de vie qu'ils sont lentement construit. Un homme qui ne s'aime plus assez. Qui a peur de ne plus être aimé. Qui m'aime moi qui l'aime aussi. Tous deux nous nous faisons du bien, nous nous rassurons sur notre aptitude à séduire, à provoquer chez l'autre le désir. Beaux instants de partage.

Solitude ? Oui, car l'amour interdit ne remplit pas une vie. Il emplit l'esprit, les rêves, les pages blanches. Mais le quotidien reste sur sa faim... En attendant la fin.

Pour tromper cette solitude les soirs de rendez-vous annulés, je découvre la toile. Ces êtres au bout du monde, qui comme moi sont seuls avec leurs pensées derrière leurs écrans. Ces êtres qui ont des choses à dire mais nul interlocuteur. Belote, rebelote et dix de der, c'est par le jeu que je m'immisce dans le monde fascinant de la virtualité.

J'ai toujours aimé le jeu, activité favorite le mercredi soir chez mon père. Non, ce n'était pas le tripot. Je n'ai jamais aimé mêler jeu et argent. Le plaisir de gagner, la peur de perdre suffisait à mon plaisir. Nous jouions aux petits chevaux, au backgammon, au whist, au Cluedo... J'ai appris à jouer au tarot lorsque j'avais une dizaine d'années avec des potes dans les Alpes : toutes ces jolies cartes dans nos petites mains. La belote, je l'ai découverte en prépa, dans la cour du Méridien à l'ombre des cerisiers en fleurs... en même temps que le futur père de mes enfants. Le jeu ? Emotions faciles qui ne remettent pas en cause le lendemain... Internet répond peut-être bien aux mêmes règles.

Sur Ludiclub, au-delà du jeu, j'ai découvert une nouvelle manière de s'exprimer : le chat. Ça va vite, il faut trouver les mots qui répondent à l'autre. Pas le temps de chercher : derrière son écran, l'autre attend une réponse. Pas de regard, de geste, de corps pour faire patienter. Les doigts pianotent sur le clavier. Les yeux lisent à toute allure. L'esprit résonne aux lettres affichées sur l'écran. De parties endiablées, au chat interminable, avec Bio, nous sommes rapidement passés aux mails... à la relation privée. Je découvrais que les sentiments ne sont jamais que terrés au fond de nous. Bio, je ne le connaissais pas, je ne savais de lui que des lettres vertes qui me remuaient. Avec Bio, nous nous sommes « rencontrés » fin juin, alors que je me désolais de mon amour interdit qui ne m'offrait aucun projet pour les vacances d'été : la loi de l'amour interdit. Bio m'a proposé quelques jours dans sa province, j'ai accepté, je suis partie en vacances au bord de la mer avec mes petits rassurée : un projet pour enclencher le mois d'août dans la tête... Mais au retour du bord de la mer : rien. Il avait disparu. Ses mots de juin étaient bien éphémères même s'ils avaient été sincères. Un peu désemparée, je réalisais que nos échanges de juin m'avaient remise en selle. Ils avaient oeuvré au maximun de leur puissance, il ne fallait rien en attendre de plus que l'énergie retrouvée pour vivre la vie en vrai, pour ouvrir les yeux sur le monde. En août, se succédèrent pleins de très bons moments, choisis au gré de ma liberté de célibataire. Je terminais l'été dans la capitale catalane. Au fond de la serre, écrivais ce texte empreint de sérénité : Alone in Barcelone.

En novembre de cette même année, j'ouvrais un blog... Un espace où je pourrais écrire ce qui me passait par la tête, sans en chercher plus, que quelques commentaires ou critiques issus d'autres vies disséminées ici et là.

mercredi 4 avril 2007

2006 : 36 - my lucky number

Quelle joie le jour de mes trente-six ans ! 36, un beau nombre, tout rond, qui se partage en plein de parties entières. Un bon nombre pour moi qui m'accepte enfin partitionnée. Pleine de contradictions, mais entière au sein de chacune d'elles. Ce que je suis ? La réunion de toutes ces parties, ma cohérence est là. Rassurée, je peux aller de l'avant.

Quelle joie le jour de mes trente-six ans ! 36, c'est le double de 18. De 0 à 18 ans, j'ai eu une vie drôlement riche. De 18 à 36 itou. Si je m'octroie encore la même durée de vie (raisonnable, non ?), il me reste mille choses à découvrir. Endiamo alors, droit devant !

Mai 2006. Gare Saint-Lazare. J'attends le bus 80 qui me conduira chez moi. Je viens de partager le déjeûner de mon amoureux. Un gars bien, stable dans sa tête, qui aime ce que j'aime, auprès de qui je peux me sentir moi sans faire d'effort... Un gars auprès de qui je peux à nouveau envisager de me poser, moi qui étais lasse de papillonner à la recherche du moi parmi les autres. Le soleil brille sur les immeubles et l'asphalte parisien, témoin de celui qui rayonne en moi. J'attends le bus en m'extasiant sur la vie. Elle est belle. Je regarde les gens qui passent sur le trottoir d'en face, puis le magasin de vêtements cheap décor de la scène qu'ils traversent. Sur le portant en devanture, des T-Shirt. Sur les T-Shirt en lettres blanches : 36 – My lucky number. Au diable mon bus, je ne peux m'empêcher, je traverse la rue, rejoins le décor. 6 €. Ce T-Shirt est pour moi. Ma vie est belle aujourd'hui.

Mars 2006. Bretagne. Un week-end de folie a conduit 44 roadies sur les routes de Bretagne pour supporter trois joyeux groupes de musiciens. J'en suis. Rires et délires non-stop au rythme du muscadet englouti. La belle vie, une colonie de grands jouant à être petits. Sur le quai d'un petit port au bord de la mer, dernier arrêt avant le retour sur Paris.. Hé, les gars et les filles, on s'est bien marré, mais on a oublié de se baigner ce week-end ! Qu'à cela ne tienne, me voici à l'eau. 13 °C. Embarquée par cette trop forte marrée descendante. Inconsciente du courant qui m'emporte, je nage en souriant. Arrête de sourire lorsqu'ils arrêtent de rire, les spectateurs au bord du quai... Bordel, la mer, c'est dangereux quand on est inconscient. Quand serais-je suffisamment grande pour arrêter de mettre ma vie en jeu ? Quand arrêterais-je de faire rire les autres au péril de moi-même ? Telles sont mes réflexions dans mon demi sommeil, à l'avant de ce bus qui nous ramène vers la capitale...

Eté 2006. Les Cévennes. J'y suis allée en juillet avec mes enfants. Nous n'avons plus de maison là-bas. Qu'à cela ne tienne, nous avons investi un emplacement au camping du Moulin du Pistou au milieu des joueurs de boules. Quel bonheur de nager dans la Cèze, de sauter des rochers inlassablement sans observer le ciel qui menace, de remonter le chemin des cabris sous des trombes d'eau, de traverser une ville en sautant dans les flaques sous des serviettes de bain et l'orage grondant du 14 juillet, pour manger une pizza aussi dégoulinante de mauvais fromage que nos vêtements le sont. Trois enfants en vadrouille ? Non quatre, j'en suis aussi. En août, je retourne dans la région sans mes enfants, avec mon amoureux et les siens. L'histoire n'est plus la même. Je n'ai pas envie de rire. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être les prémisses de la fin de cette histoire ? J'élude la question, je profite de l'air et des bruyères du Mont Lozère, c'est si bon, suffisant à mon bonheur égoïste.

Octobre 2006. Londres. Week-end en duo amoureux. Plus de désir. Il s'est envolé, s'est perdu dans les Cévennes ? Mon amoureux mériterait-il toujours ce qualificatif ? Il faut s'y résoudre, la réponse est non. Incapable de mentir, je prends la fuite. Tristesse. Je ne suis pas encore capable de mener une histoire à deux, à moins que lui n'ait pas été le bon... Je ne sais pas. Mais... La vie continue.

Décembre 2006. Banlieue parisienne. Le 17, c'est mon anniversaire. 37, ce n'est pas un beau nombre... ça se partage en rien. J'aimais mieux 36. Ce fameux jour, je suis chez ma mère. Chaque année, elle oublie de m'appeler pour mon anniversaire. De nombreuses fois, je lui ai dit que cela me blessait. Je ne peux imaginer oublier le jour de naissance de l'un de mes fils, ce moment merveilleux, où cette petite chose que je portais en moi est devenu un être à part entière. Cette année, je suis chez elle ce fameux jour, elle n'aura pas à m'appeler, je suis avec elle... Cette année, je ne serai pas triste le jour de mon anniversaire ! Chouette ! Et bien si, car cette année comme les précédentes, elle a oublié. Chaque minute de cette journée, j'ai attendu qu'elle s'en souvienne. A chaque fois que je la croisais dans cette grande maison ancestrale, j'espérais qu'elle réagisse. Il a fallu que je me résolve à oublier que nous étions le 17 décembre. L'oubli semble parfois la seule solution quand le dire fait trop mal. Le soir même, je me suis fait mal au dos en aidant mes voisins à déménager une cuisinière. Trois jours plus tard, une fièvre incompréhensible me clouait au lit. Trois semaines plus tard, mes jambes refusaient de me porter. Les analyses ? Rien, rien de rien. Tout est psy, ma bonne dame ! Et ben, nous y revoilà ! Et cette fois-ci, faut tout reprendre à zéro... Le ciment qui rassemblait toutes mes partitions ne semble plus tenir le coup. A moins que ce ne soient les briques du démarrage qui ne tiennent pas le choc parce que d'entrée de jeu pourries ? Jusque-là j'ai fait ce que j'ai pu de cet édifice. D'abord ignoré, puis réalisé, alors consolidé... Mille fois, j'ai raisonné pour l'empêcher de m'empêcher... Mais il semble que mon corps en est eu assez de ma raison. Cette fois-ci, c'est lui qui a pris le dessus : il a dit STOOOOP ! Moi, je refuse d'avancer dans ces conditions. Bon... Ben... Je vais t'écouter. Tu ne me donnes pas le choix. Je vais déconstruire. Pour reconstruire du solide. Pfff, ça m'épuise d'avance... Ça fait beaucoup d'années à déconstruire.

Je savais bien qu'il fallait que je profite de 36 - My lucky number. Du bien engrangé pour supporter le pire. Allez, 37, c'est peut-être un beau nombre ? Un nombre premier, un qui ne se partage pas en petits bouts, un nombre absolument ,définitivement, entier... C'est peut-être un bon moment pour redémarrer ? Qui vivra verra, j'en serai ! En 2007...