Drôle le désir d'enfant pour une femme. Pour un homme peut-être aussi, mais à dire vrai, je ne sais pas plus que je ne saurai jamais. Ainsi soit-il, je suis une mère ! Toujours est-il que ce désir là, aussi évident eut-il été pour moi une semaine après la naissance de Deuxio, il fut plus difficile que les précédents à négocier deux années plus tard. Mais aucun regret à la négociation : un enfant se fait à deux : sinon, ce n'est qu'un désir enfant, et les désirs, il faut savoir y renoncer, parfois. Je me suis vraiment questionnée ce désir : Etait-ce un désir de moi-même enceinte ? Etait-ce un désir de dépasser ma mère qui n'en avait-eu que deux ? ... Non, j'avais envie d'un autre bébé, et bien plus d'un autre enfant à élever, un autre être issu de nous deux. Une autre personne en devenir. Oui, je me suis vraiment posé la question. Oui, j'en avais vraiment envie. Avec l'accord du papa : Hé : ça ne se fait pas seule un petit stroumpf, même avec un désir de mère immense ! Un jour de mai, le papa dit oui, un jour de juillet, je fus enceinte.

Je me souviens de l'échographe à 4 mois de grossesse :"Bah, vous allez pouvoir faire une équipe !" Et si les échographes se décidaient un jour à ne pas être sibyllins !

Je me souviens de ma copine-voisine, elle-même mère de deux filles : "Quand ils auront dix-huit, quinze et douze ans, je te souhaite du courage avec tes trois gars !"

Je me souviens avoir été heureuse de m'imaginer mère de ceux-là... Aurais-je seulement été capable de faire une fille ?... Pas bien sûre ! Et quand bien même, peu importe : aujourd'hui, je suis ravie de cette fratrie de petits garçons... Petits ? Non ! Certainement plus ! Et c'est très bien comme ça !

Le 5 avril au soir, il sonnait l'alerte le petit gars. La césarienne était prévue pour le 7. A croire que ni lui ni moi n'aimions le dictat des médecins. J'allais seule à la maternité : le papa attendait à la maison le verdict de l'hôpital avant de remuer la terre entière : deux petits gars dormaient tranquillement chez nous. Il avait eu raison : après avoir dansé quelques heures et témoigné de sa java sur quelques bandes électroniques, futur Tertio décida à se rendormir... Et moi aussi ! Mais la maternité me gardait au chaud.

Le 6 au matin, j'avais rendez-vous avec l'échographe de la maternité pour observer la cicatrice des précédentes naissances, afin de... A vrai dire, je ne sais pas... des histoires de médecins, sûrement... Avant de me rendre à l'échographie, je me souviens avoir questionné : "Dois-je appeler le papa avant qu'il ne conduise les grands à l'école pour qu'il ne se tape pas les quarante-cinq minutes jusqu'à son boulot et les quarante-cinq minutes retour jusqu'à la maternité ?" "Non, vous êtes prévue pour demain.", m'avait-on répondu. Mais le temps que je me déplace de ma chambre au service d'imagerie, l'échographe avait reçu un appel du staff : la césarienne serait peut-être programmée ce jour-même. Je m'installais sur la table. L'examen commença, il durerait jusqu'à ce que ce fameux staff décide si c'était pour aujourd'hui ou pour demain... L'échographe était ravi : un bébé in vivo avec du temps pour observer son cristallin : son sujet de thèse peut-être. Moi j'étais ravie : mon futur doudou in vivo, c'était beau et pour une fois j'avais le temps d'en profiter. "Regardez, ! Il tête la paroi utérine !" A l'écran, j'observais ce qui remuait en moi. C'était vivant, c'était émouvant, c'était dedans. Dedans moi. Invisible et pourtant... Le téléphone sonna : "Allez fini le cinéma, c'est pour aujourd'hui, c'est ainsi qu'ils en ont décidé finalement."

Je changeais de service, retournais à la maternité, avertissais le boulot du papa : "Quand il arrive dites lui qu'il reparte !" Celle qui m'opèrerait était une interne-femme. Elle me fit entrer dans le bloc sur mes deux jambes. "Inconcevable !", s'insurgeât l'infirmière chef... C'est donc l'interne qui me prépara maugréant à peine contre les principes qui auraient voulu que j'entre au bloc allongée sur un brancard même si j'étais valide. Je l'aimais bien celle-là qui gérait les évènements avec simplicité. Je lui demandais si je pourrais voir le papa avant le début de l'opération. "Non, le voir sera impossible : il ne peut entrer au bloc, mais on vous dira dès qu'il est arrivé, promis." L'équipe était toute fraiche : pour avoir fait les deux expériences, elles ont plus drôles en début qu'en fin de garde les équipes médicales. !

Au milieu de leurs blagues et récits de leurs week-ends respectifs, j'entrais au bloc. L'anesthésiste arriva. Inquiète, je lui demandais si le papa était était arrivé. Il quitta la salle pour revenir quelques instants plus tard : "On voit que c'est le troisième : il bouquine tranquillement dans la salle d'attente... Mais vous avez raison d'avoir envie qu'il soit là : une césarienne c'est une vraie opération." J'ai toujours aimé les anesthésistes, ils sont plus en contact avec leur patient que les autres médecins qui se focalisent sur le corps qu'ils opèrent. Je le remerciais, j'étais rassurée : la papa était là pour réceptionner le petit gars à venir.

Une demie-heure plus tard, l'interne me demanda de pousser. J'étais surprise : jamais on ne m'avait demandé de participer physiquement aux précédentes naissances, elles aussi par césarienne. J'étais ravie, j'obtempérais avec joie. Quelques minutes plus tard, elle me posait sur le ventre une petite boule toute chaude, toute ronde, toute douce. Je savais qu'il fallait que j'en profite le plus possible : les premiers soins de Tertio se feraient sans moi, ailleurs, avec le papa... Ainsi en est-il des naissances par césarienne... Moi, il fallait qu'on me recouse. L'interne prit son temps pour me faire une jolie cicatrice. Jolie ? C'est une qu'on ne voit pas. Pas comme celle que m'avait fait l'autre gars trois ans plus tôt qui zigzaguait sur mon bas-ventre. Cette interne : elle était vraiment respectable. Elle m'avait respectée. Moi, mon corps, et mon statut de mère. Peut-être parce qu'elle même femme ?

Trois quart d'heures plus tard, Tertio tétait mon sein. Je regardais sa bouche appliquée, en mouvement... Sa bouche que j'avais vue quelques heures plus tôt téter la paroi de mon utérus... Tellement heureuse de l'avoir dans mes bras, de pouvoir le présenter au monde entier... à ses frangins, entre autres. Ses frangins qui débarqueraient en fin de journée, ses frangins qui me sembleraient soudainement si grands...

Le 6 avril 1998, Tertio venait au monde. Il faisait beau, comme il a toujours fait beau le jour de la naissance de mes fistons.