vendredi 30 novembre 2007

1977, 16 ans, le grand tournant.

Dans mon Café des Platanes, j'écris l'histoire de Samantha.
Avant d'avoir un blog, j'avais écrit la plupart des épisodes, tantôt en utilisant un "je" et tantôt "elle".

Plus le temps s'écoule et plus l'histoire de cette jeune fille de seize ans me paraît relever d'un "elle" plutôt que d'un "je".
Mais pourtant, c'est bien à moi que tout cela est arrivé.

L’enfance lui avait paru longue et parfois ennuyeuse.
Il lui tardait d’être une jeune fille. A dix ans, elle jouait à la poupée mais attendait qu’on l’appelle « mademoiselle » quand elle entrait dans un magasin. Elle se disait que la vie commençait vraiment à seize ans, et pour des raisons mystérieuses qui devaient tenir à quelque feuilleton vu à la télévision, elle s’imaginait qu’à cet âge-là, les filles se balancent dans des jardins anglais, vêtues de robes romantiques et courtisées par de jeunes amoureux transis.
Enfant, elle attendait d’avoir seize ans pour que des choses intéressantes lui arrivent enfin. (Seize ans)

Alors que j'allais avoir seize ans, il m'est arrivé une chose vraiment intéressante : j'ai appris le nom de mon père.
J'ai appris aussi qu'il vivait dans le même village que moi, qu'il était marié et avait une fille, la fille de mon père.

Cette année-là, je n'en ai pas su beaucoup plus.
Mais ma vie en a été changée de façon radicale.

dimanche 25 novembre 2007

1978, 17 ans, une fiche remplie de noms

"...un bout de carton collé en diagonale dans le coin inférieur droit de la troisième de couverture accueillait une fiche remplie de noms avec la date de sortie et la date de retour.''
Anna Fedorovna, 5:1965 Lectrice

Ceci est un ricochet.

Ma mère a toujours aimé lire et a toujours fréquenté assidûment la bibliothèque du village.
Dans mon enfance, il n'y avait pas de bibliothèque municipale, seulement une bibliothèque paroissiale, tenue par des dames d'église. L'expression : "ils sont d'église" désignait dans la langue familiale tous ceux qui s'adonnaient à une pratique religieuse visible, messe dominicale, participation à la chorale, aux oeuvres.
Bien que sans accointance avec les gens d'église, ma mère aimait fréquenter la bibliothèque paroissiale où l'on trouvait d'ailleurs toutes sortes d'ouvrages dont certains comportaient des passages osés. "Oh celui-là, elles ne l'ont pas lu, hé bé, il est gratiné..." remarquait-elle en riant. Parfois elle prenait un malin plaisir, en ramenant l'ouvrage, de glisser la notice d'un médicament, traditionnel marque-page familial, entre les pages les plus remarquables.
Ma mère aimait particulièrement les ouvrages prêtés par le Bibliobus, qui amenaient air frais, nouveautés et traductions de tous les pays du monde. Elle m'avait depuis longtemps expliqué qu'il fallait s'intéresser aux livres étrangers traduits, car ils avaient franchi une première sélection, et qu'ils faisaient voyager. Elle commentait des passages, mais surtout, me regardait les yeux brillants et me répétait : "C'est bien, ce livre, mais qu'est-ce qu'est bien ! "

A partir du 1er février 1977, j'ai su le nom de mon père et j'ai découvert alors qu'il était, comme son épouse, lecteur de la bibliothèque.
Je me souviens que la première fois où j'ai vu ensemble écrits le nom de mon père et celui de ma mère, c'était sur une de ces fiches remplies de noms avec la date de sortie et la date de retour de l'ouvrage emprunté.

Parfois ils lisaient les mêmes livres l'un après l'autre.

La femme de mon père, elle, comme me l'avait fait remarquer ma mère avec une point de mépris, n'aimait que les ouvrages à l'eau de rose, ceux de Delly et de Max du Vezy, qui ne franchissaient jamais le seuil de notre maison.

jeudi 22 novembre 2007

1980; 19 ans, le cambriolage

Nous habitons rue Jean Suau, un appartement vaste et délabré, que nous avons meublé de trois merdouilles, sauf Mi qui a hérité des vieux meubles de sa grand-tante bourgeoise, en particulier une si jolie commode de bois noir incrustée de nacre. Elle finira mutilée sous le couteau du cambrioleur.

Car voilà qu'on nous cambriole, en effet, alors que nous sommes rentrées dans notre campagne pour des vacances d'hiver. Au retour, nous retrouvons les lieux vandalisés : des gens se sont installés chez nous, ont mangé nos provisions, dont nous retrouvons les boîtes vides, ont maculé nos serviettes de toilette de la sauce des raviolis, jeté les vêtements hors de nos tiroirs, renversé les livres, cassé les 33 tours qu'ils n'ont pas emportés.

Pour Mi collectionneuse amoureuse de ses précieuses galettes de vinyl, la perte est cruelle. J'ai perdu pour ma part un de mes seuls bijoux de famille, une vieille tocante au bout d'une chaîne. Je la regrette encore.

Mais surtout nous perdons notre insouciance à aller et venir dans le vieil immeuble désert où la plupart des appartements sont vides. Désormais le couloir sombre éclairé d'une maigre ampoule nue, les escaliers moches, les paliers déserts nous semblent hostiles.

Sitôt la dernière semaine de cours terminée, nous déménageons et à la demande de Ma, la seule scientifique du groupe (elle est "en Physique"), nous nous installons dans le quartier Saint-Agne, plus proche de sa fac, dans une belle résidence moderne avec terrasse, interphone et tout le confort moderne.

Mi et moi nous y ennuyons à périr, loin de l'agitation du centre ville où nous avons laissé copains et copines. Nous ne tardons pas à les y rejoindre, laissant Ma à ses études et à ses nouvelles connaissances masculines.

mercredi 14 novembre 2007

1979, 18 ans, étudiante.

1979 : le bac A en poche (péniblement décroché au repêchage), je m'inscris en Fac de Lettres Modernes, par goût et par choix. Je veux être professeur de Français depuis mes années de collégienne (et auparavant, je voulais être maîtresse d'école). J'adore déjà mon métier et, si, dans ma vie, il y a bien un point de stabilité, c'est celui-là.
Je viens d'un lycée de campagne que je qualifierais avec le recul de particulièrement minable, en raison d'un encadrement dépassé, de profs fumistes pour la plupart, dignes représentants d'une époque qui se cherche. C'est le grand n'importe quoi et j'arrive en Fac avec un bagage intellectuel assez réduit.
Les unes me viennent du collège (qui, s'il était tout aussi campagnard, regroupait une équipe de profs solide et motivée, qui nous a permis de nous ouvrir à mille choses, avec un dévouement que je salue encore, des années après). Les autres m'ont été transmises par ma famille. Je suis un pur produit de l'éducation communiste de ces années-là, je connais tout Aragon, Victor Hugo, Fernand Léger... (merci l'Huma !)

Je quitte mon village et arrive à Toulouse. Avec mes amies Ma. et Mi. nous louons un vieil appartement vétuste, mais en plein centre ville. C'est une époque où on trouve encore ce type de logements, avant les grandes rénovations qui vont commencer. Nos ami-e-s vivent aussi à plusieurs. Nous sommes babas, nous enveloppons dans de grandes écharpes, ponchos, pulls faits maison... Nous sortons, buvons, fumons, refaisons le monde.
Pourtant, il n'y a aucune légèreté en moi. Je suis hantée par la nécessité de réussir mes études. Je vis à l'aide de bourses et de l'argent que je gagne en travaillant tout l'été et en faisant des baby-sitting. Ma mère et Louis paient mon loyer et un peu plus : ils veulent que je ne manque de rien, mais ne se rendent pas vraiment compte de l'écart qui existe entre mon train de vie et celui de mes copines. Je ne me sens cependant pas dérangée par ma relative pauvreté, parce que mes ami-e-s vivent simplement, que nous n'avons que peu d'objets, pas de meubles...

La Fac me plaît dès que j'y mets les pieds malgré son délabrement (très relatif par rapport à ce qu'elle est devenue presque 30 ans plus tard). Il pleut dans les salles, le chauffage est mesuré. Mais il y a de jolis patios fleuris et j'adore mes professeurs et cette immersion au pays de la Littérature.
La tête me tourne en découvrant que le monde est plein de gens différents : couleurs, nationalités, histoires, goûts, itinéraires... Cette richesse me fascine, me nourrit mais me fait perdre aussi mes repères.

J'ai commencé mon voyage, je suis en train de changer de monde. J'ai quitté mon milieu. Comme Eve, j'ai voulu goûter l'arbre de la connaissance, je ne pourrai plus jamais revenir en arrière. Je me sentirai obligée de payer cela d'une fidélité exemplaire à mon terreau d'origine.

dimanche 16 septembre 2007

1991, 30 ans - Chaotique

J'avais acheté un tailleur jupe-culotte, la jupe était très large, très jolie, le tout bordeaux, de la marque Sym. J'aimais cet ensemble et souvent le porter me redonnait de l'énergie.
J'étais tellement fatiguée tout le temps, travaillée par le chagrin, je n'étais plus moi-même.

La colère et la haine étaient en moi. On me trouvait tout le temps agressive.
Que tous ces connards soient vivants alors que Frank était mort était une idée insupportable. La liste des gens avec lesquels je me fâchais s'allongeait au fil des mois tandis que ma famille s'effritait en morceaux de chagrin.

M. et G étaient les fers de lance de fêtes crépusculaires et déjantées, je sortais avec eux plusieurs fois par semaine.
Il me semble que 1991 a eu lieu de nuit uniquement.

Parfois j'étais incapable de rentrer tellement j'avais bu et quelqu'un me ramenait.

Au réveil, mon corps était distinct de moi.

vendredi 14 septembre 2007

1990, 29 ans - il est arrivé quelque chose de terrible

Le 14 septembre au soir, je me suis couchée dans le studio que j'occupais, rue des Amidonniers. j'avais une vieille télé noir et blanc et j'ai regardé Apostrophes, l'émission littéraire de Bernard Pivot. Il recevait Jean Rouaud pour "Les champs d'honneur". J'avais lu et beaucoup aimé ce livre.
Le studio était encombré parce que le lendemain je devais faire une fête chez mes amis M. et G. pour fêter mon concours, j'avais invité des tas de gens et j'espérais qu'il ne pleuvrait pas.

J'avais passé une année trépidante, j'avais eu mon concours et j'avais rencontré J-L lors d'un stage pédagogique et entamé une liaison avec lui.
Il vivait à 500 kilomètres, son mariage battait de l'aile et il m'a proposé de venir vivre avec moi.
J'étais à la fois terrifiée et très amoureuse. Je voulais un enfant de lui. Il m'a dit d'accord, banco, on y va.

Mais l'enfant n'est jamais venu et finalement J-L est resté avec sa femme.
Ça m'a rendue triste mais pas autant que je ne le craignais. J'étais un peu soulagée, au fin fond de moi.
J'ai toujours eu peur de lier ma vie à quelqu'un et qu'il la transforme en cauchemar.

Ce 14 septembre, je pensais encore à tout ça à m'endormant.
j'ai entendu le bruit de quelques gouttes contre la vitre et je me suis dit que ce serait trop con que ma fête du lendemain soit gâchée par la pluie.

Le lendemain à 7 heures le téléphone a sonné et ma mère m'a dit qu'il était arrivé quelque chose de terrible.
Mon petit cousin Frank venait de se tuer en voiture.

vendredi 31 août 2007

1996, 35 ans - Mon premier Pécé, "Gros Bestiau"

Pour faire court, en 1996, Jules me quitte aussi brutalement qu'il m'avait voulue toute à lui. Patatras, je retombe le nez dans le ruisseau de mes désillusions.
Mes grands rêves de fondation dynastique prennent l'eau : plus de papa pour mes enfants-pas-nés, mon ventre reste stérile.
Cerise sur le gâteau, j'ai du mal à me relever de l'opération de reconstruction de hanche que j'ai subie en 1995. De nouveaux examens se succèdent et, finalement, à la suite d'une erreur d'interprétation, on diagnostique une maladie grave que je n'ai pas. Mais il me faudra attendre un mois avant d'avoir le démenti. Un mois assez terrifiant.

Pour faire face, je cherche une occupation qui captive mon attention et me permette de rester immobile (je n'ai plus le droit de marcher). De bons amis me conseillent l'achat d'un ordinateur, et viennent me livrer à domicile, dans un carton, celui qui allait devenir mon compagnon, "Gros bestiau". Bien sûr, c'est un pécé (je ne suis pas encore entrée dans l'univers magique d'Apple. Il est gros et plutôt moche, démarre sous DOS et ronfle comme un octogénaire asmathique, mais je l'aime.

J'achète "Windows pour les Nuls", et en avant pour la domestication du bestiau.
Cet ordinateur va me sauver la vie, d'abord je me cantonne au traitement de textes, je fabrique des cartes de visite et autres bricoles, je modifie des photos. J'achète des Cédéroms, je reste baba devant l'Encyclopedia universalis qui tient en une pochette... Je vais d'émerveillements et émerveillements. Peu à peu, ma peine s'use sous les touches de mon clavier, mon écran sèche mes larmes.

A l'été 1996, je retrouve enfin une marche sans boîterie. Même si le haut de ma jambe gauche reste presque insensible (sauf de pénibles décharges électriques), elle a repris une apparence quasi-normale.
Pour mon coeur, c'est une autre histoire, il est tout mâché.

A 35 ans, je me sens comme une femme que la vie aurait rouée de coups mais qui n'a pas dit son dernier mot.

1972, 11 ans, ma rentrée en sixième

J'ai décidé de me remettre aux Petits Cailloux et Ricochets... Entreprise étrange qui remue plus qu'on ne l'aurait cru !
Les derniers jours de vacances s'écoulent paisiblement, j'ai acheté un nouveau cartable et un joli cahier relié à couverture noire dans lequel je copierai les noms de mes élèves, rangés par classes, comme toujours, en associant au fil des jours des séries de chiffres correspondant aux notes que je leur mettrai.

De toutes mes rentrées, la seule dont je me souvienne vraiment est mon entrée en sixième. Toutes les autres se mélangent en mosaïque aux couleurs un peu fanées.

L'année en sixième marque mon entrée dans la vraie vie, une sortie radicale de l'enfance.
J'ai onze ans et demi, en ce mois de septembre 1972, c'est l'automne des premières fois.
Pour la première fois je vais à l'école en vélo, un beau mini-vélo blanc qui me rend autonome. Plus besoin de Papy pour faire le chemin avec moi, je file le nez au vent à travers les rues de mon village, suivant Ludivine qui caracole sur son vélo orange.
Première entorse au code de la route, j'emprunte un sens interdit pour faire plus court, et je l'emprunterai au long de ces quatre ans de collège, ce qui me vaudra plus tard une belle engueulade du garde-champêtre, qui a repéré mon manège. Je n'en ai cure, je le prends pour un vieux chnoque vaguement ridicule dans son uniforme.
Première originalité vestimentaire, je ne porte plus le tablier bleu marine en vigueur à l'école primaire, mais une jolie blouse à carreaux taille empire (qui serait fort prisée en cette vintage rentrée 2007).
Mais ce qui frappe mon imagination, c'est qu'en cette rentrée 1972, j'ai mes règles pour la première fois. Je suis une jeune fille, beaucoup plus grande que mes camarades (en fait, je mesure ma taille actuelle, les autres me rattraperont et me dépasseront bien vite !) et je tiens serrées dans une pochette mes premières serviettes hygiéniques, passeport pour ma nouvelle vie, signe de ralliement de celles qui les ont par opposition à celles qui les attendent, voire à celles qui n'y pensent même pas.
Justement, ma féminité nouvelle va trouver à s'exercer : pour la première fois, je vais être en classe avec des garçons, une classe mixte, j'en rêve après une école primaire où les filles et les garçons étaient séparés dans deux écoles aux deux bouts du village.
Adieu les maîtresses, voici venue l'ère des professeurs, autrement modernes, jeunes et ouverts sur le monde qui change, en ces années barbues où Mademoiselle Cadilhac porte de jolies tuniques indiennes vaporeuses, où Monsieur Merlan roule en Ami 8...

Mon collège lui-même est flambant neuf et respire la modernité : un rectangle de béton percé de fenêtres en aluminium. Les cours sont vastes, les arbustes chétifs ne nous prodigueront aucune ombre mais qu'importe, c'est là que va commencer ma vie à moi, ouverture sur le monde, nouvelles copines, nouveaux apprentissages, légèreté et bêtise de l'adolescence commençante.
Mes années de collège restent les meilleurs souvenirs de ma scolarité, c'est peut-être pour cela que j'aime tant, maintenant, être prof de collège.

vendredi 6 juillet 2007

Plus lentement que prévu

A l'heure où sonnent les réveils joyeux des départs en vacances, je lis le billet de Valclair en me disant que je vais ricocher là-dessus.
Comme lui, j'ai manqué à la non-obligation de régularité et mes billets s'espacent tant qu'on pourrait croire qu'ils vont disparaître dans le néant de la page blanche, celle qui reste toujours à écrire.
Je ne le crois pas, et surtout, je ne le veux pas.
Je prendrai le temps qu'il me faudra mais je terminerai la promenade des ricochets avant la fin de l'année 2007.

Parfois des souvenirs d'années anciennes s'imposent à ma mémoire comme un caramel collé sur une dent branlante. J'hésite à ouvrir la bouche de peur que la dent ne vienne avec le caramel.

Mais justement, je viens de reprendre rendez-vous avec mon dentiste pour finir les travaux.

A bientôt, peut-être même à tout à l'heure.

mardi 5 juin 2007

1971, dix ans - la robe rouge

De mes dix ans reste précis comme un trait de couteau le souvenir d'une dispute avec ma mère.

Le sujet en était une robe courte, rouge, à volants, de style "flamenco espagnol", que j'avais repérée sur un magasin de vente par correspondance. A la question : "que veux-tu pour tes dix ans ?" j'avais naturellement répondu que je voulais cette robe, que je regardais tous les jours avec un désir de possession inextinguible. Je m'imaginais virevolter là-dedans, au comble de la félicité.

A peine avais-je formulé mon voeu que le refus de ma mère claqua sans appel. Il n'était pas question que je porte cette robe de mauvais goût, cette robe de gitane.

Pas de robe rouge. Pas de robe à volants.

Je me heurtais à ses idées qui, en matière d'élégance, étaient à l'opposé des miennes. Elle aimait plus que tout le bleu marine, égayé d'un fin liseré beige, le blanc semés de pois, la robe-chemisier sable, tout ce qui se tient, la touche de couleur cantonnée au petit foulard qui donne bonne mine.

J'insistai. Elle se cabra et me renvoya à la vie de sacrifices qui était la sienne à cause de moi.

Notre dispute s'envenima, se poursuivit, enfla. Nous passâmes une journée terrible, gonflée d'éclats de voix suivie de silences orageux. Derrière sa volonté de me déguiser en fillette "bon chic bon genre", je sentais remuer en elle un peuple de monstres, toutes ses peurs, toutes ses frustrations, tous ses mensonges. Je ne savais pas encore les nommer, je restais effrayée en découvrant que ma mère pouvait être une ennemie, pour rien, pour une robe à volants rouges.

En fait, je la savais faible et je ne lui accordais guère de crédit, malgré l'amour fou que j'ai toujours éprouvé pour elle. J'étais effrontée et lui répondis pied à pied. Ma langue acérée et mes arguments ironiques finirent par la laisser sans réponse. Elle alla s'enfermer dans la cuisine en pleurant et, en plus de tout le reste, je lui en voulus de cette faiblesse même.

jeudi 10 mai 2007

1997, 36- Le journal des petits plaisirs

1997, premier grand blanc dans ces Ricochets. Pas de souvenir, pas d'événement ni d'anecdote, une année blanche, muette, dont il ne reste rien. Je digère ma rupture, roulée en boule, donnant le moins de prise au vent.

Seul émerge de l'oubli un petit carnet acheté dans un magasin chinois. Je décide d'y écrire "le petit plaisir du jour" pour accrocher un point de lumière, renouer avec la couleur, ne pas me laisser envahir par ce blanc de chaux.

Dans le parking à étage du magasin d'alimentation, une dame aux cheveux gris et au manteau rouge pousse son chariot en courant et en riant aux éclats.

C'est d'elle seule dont je me souviens, là, maintenant, dix ans plus tard.

vendredi 4 mai 2007

1998, 37 ans - L'engagement

C'est une année en forme de tournant, ou même de croisement, de bifurcation.

Je suis à un carrefour : professionnellement, je me débrouille bien mais j'en ai souvent assez de faire cours à des enfants si tranquilles, à des fils de bonne famille qui réussiraient aussi bien sans moi. L'envie de demander ma mutation vers une ZEP me taraude mais j'ai peur de ne pas assumer, d'y laisser des plumes et de regretter ce choix.

Depuis le départ de Jules, j'ai l'intime conviction que je n'aurai pas d'enfant et que je ne fonderai pas de famille. D'ailleurs je vis seule et sans le moindre amant ni amoureux. Le désir même a déserté, mes fantasmes les plus joyeux se sont éteints, je suis sèche et stérile comme un vieux parchemin. Jules a emporté tout ce torrent de passion et de folie avec lui.

Je me demande ce que je vais faire de ma vie, je me demande pourquoi le compteur n'affiche que 37, comme la vie est lente. Je me sens tellement vieille. J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.

Un jour que je déambule dans une grande librairie, je suis abordée par une vieille dame habillée de couleurs très vives, qui tient un stand. Elle me demande si je m'intéresse aux enfants et si je pense que la lecture est importante. Elle me propose d'acheter un livre pour l'association qu'elle représente, ce livre sera ensuite lu par des bénévoles dans une bibliothèque de rue.
Ce qui me frappe, c'est la gaieté de cette femme, elle me fait penser à la Maud d'Harold et Maud. Elle a un chignon de cheveux blancs, très flou, très féminin, et des vêtements originaux et colorés. Elle parle avec vivacité. Elle attire mon attention, et je me mets à l'écouter. Elle me donne les grandes lignes de cette association. En fait, c'est un mouvement international, qui lutte contre la misère et l'exclusion. Elle me donne des documents, elle me propose d'assister à une réunion du groupe de notre ville.

Rentrée chez moi, je lis la documentation, je suis tout de suite intéressée. Une sorte de déclic se fait en moi : il faut que j'aille voir ça.
Cependant, les contretemps se succèdent et je ne parviens pas à remettre la main sur la jolie dame au chignon ni ses collègues. Du coup, je m'adresse au groupe national qui me propose de partir une semaine à Marseille. Nous sommes au seuil de l'été, j'accepte et me voilà embarquée pour un engagement qui est, neuf ans après, au centre de ma vie.

Après ce séjour marseillais je parviens enfin à rejoindre le groupe de ma ville. Je découvre des gens passionnés, originaux, bigarrés. Notre engagement nous lie malgré nos différences. De fous-rires en prises de bec, de combats communs auprès de gens en situation d'exclusion, de pique-nique en réunions, j'apprends à composer avec certains qui jusqu'alors me semblaient des ennemis, des étrangers à mon monde.

L'engagement sur le long terme nécessite des compromis. Sinon, on claque la porte très vite. En effet, avoir un idéal théorique ne suffit pas quand il s'agit de donner de son temps et de son énergie, d'affronter des situations parfois conflictuelles, de se retrouver aux côtés des gens dont personne ne veut, que personne ne voit, et dont on pense que leur destin est tout tracé.

Mais vraiment, ça vaut la peine.

Plus jamais je ne me suis demandé ce que j'allais faire de ma vie : il y avait devant moi un chantier pharaonique et je m'y suis attelée.

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