Nous habitons rue Jean Suau, un appartement vaste et délabré, que nous avons meublé de trois merdouilles, sauf Mi qui a hérité des vieux meubles de sa grand-tante bourgeoise, en particulier une si jolie commode de bois noir incrustée de nacre. Elle finira mutilée sous le couteau du cambrioleur.

Car voilà qu'on nous cambriole, en effet, alors que nous sommes rentrées dans notre campagne pour des vacances d'hiver. Au retour, nous retrouvons les lieux vandalisés : des gens se sont installés chez nous, ont mangé nos provisions, dont nous retrouvons les boîtes vides, ont maculé nos serviettes de toilette de la sauce des raviolis, jeté les vêtements hors de nos tiroirs, renversé les livres, cassé les 33 tours qu'ils n'ont pas emportés.

Pour Mi collectionneuse amoureuse de ses précieuses galettes de vinyl, la perte est cruelle. J'ai perdu pour ma part un de mes seuls bijoux de famille, une vieille tocante au bout d'une chaîne. Je la regrette encore.

Mais surtout nous perdons notre insouciance à aller et venir dans le vieil immeuble désert où la plupart des appartements sont vides. Désormais le couloir sombre éclairé d'une maigre ampoule nue, les escaliers moches, les paliers déserts nous semblent hostiles.

Sitôt la dernière semaine de cours terminée, nous déménageons et à la demande de Ma, la seule scientifique du groupe (elle est "en Physique"), nous nous installons dans le quartier Saint-Agne, plus proche de sa fac, dans une belle résidence moderne avec terrasse, interphone et tout le confort moderne.

Mi et moi nous y ennuyons à périr, loin de l'agitation du centre ville où nous avons laissé copains et copines. Nous ne tardons pas à les y rejoindre, laissant Ma à ses études et à ses nouvelles connaissances masculines.