"...un bout de carton collé en diagonale dans le coin inférieur droit de la troisième de couverture accueillait une fiche remplie de noms avec la date de sortie et la date de retour.''
Anna Fedorovna, 5:1965 Lectrice

Ceci est un ricochet.

Ma mère a toujours aimé lire et a toujours fréquenté assidûment la bibliothèque du village.
Dans mon enfance, il n'y avait pas de bibliothèque municipale, seulement une bibliothèque paroissiale, tenue par des dames d'église. L'expression : "ils sont d'église" désignait dans la langue familiale tous ceux qui s'adonnaient à une pratique religieuse visible, messe dominicale, participation à la chorale, aux oeuvres.
Bien que sans accointance avec les gens d'église, ma mère aimait fréquenter la bibliothèque paroissiale où l'on trouvait d'ailleurs toutes sortes d'ouvrages dont certains comportaient des passages osés. "Oh celui-là, elles ne l'ont pas lu, hé bé, il est gratiné..." remarquait-elle en riant. Parfois elle prenait un malin plaisir, en ramenant l'ouvrage, de glisser la notice d'un médicament, traditionnel marque-page familial, entre les pages les plus remarquables.
Ma mère aimait particulièrement les ouvrages prêtés par le Bibliobus, qui amenaient air frais, nouveautés et traductions de tous les pays du monde. Elle m'avait depuis longtemps expliqué qu'il fallait s'intéresser aux livres étrangers traduits, car ils avaient franchi une première sélection, et qu'ils faisaient voyager. Elle commentait des passages, mais surtout, me regardait les yeux brillants et me répétait : "C'est bien, ce livre, mais qu'est-ce qu'est bien ! "

A partir du 1er février 1977, j'ai su le nom de mon père et j'ai découvert alors qu'il était, comme son épouse, lecteur de la bibliothèque.
Je me souviens que la première fois où j'ai vu ensemble écrits le nom de mon père et celui de ma mère, c'était sur une de ces fiches remplies de noms avec la date de sortie et la date de retour de l'ouvrage emprunté.

Parfois ils lisaient les mêmes livres l'un après l'autre.

La femme de mon père, elle, comme me l'avait fait remarquer ma mère avec une point de mépris, n'aimait que les ouvrages à l'eau de rose, ceux de Delly et de Max du Vezy, qui ne franchissaient jamais le seuil de notre maison.