1979 : le bac A en poche (péniblement décroché au repêchage), je m'inscris en Fac de Lettres Modernes, par goût et par choix. Je veux être professeur de Français depuis mes années de collégienne (et auparavant, je voulais être maîtresse d'école). J'adore déjà mon métier et, si, dans ma vie, il y a bien un point de stabilité, c'est celui-là.
Je viens d'un lycée de campagne que je qualifierais avec le recul de particulièrement minable, en raison d'un encadrement dépassé, de profs fumistes pour la plupart, dignes représentants d'une époque qui se cherche. C'est le grand n'importe quoi et j'arrive en Fac avec un bagage intellectuel assez réduit.
Les unes me viennent du collège (qui, s'il était tout aussi campagnard, regroupait une équipe de profs solide et motivée, qui nous a permis de nous ouvrir à mille choses, avec un dévouement que je salue encore, des années après). Les autres m'ont été transmises par ma famille. Je suis un pur produit de l'éducation communiste de ces années-là, je connais tout Aragon, Victor Hugo, Fernand Léger... (merci l'Huma !)

Je quitte mon village et arrive à Toulouse. Avec mes amies Ma. et Mi. nous louons un vieil appartement vétuste, mais en plein centre ville. C'est une époque où on trouve encore ce type de logements, avant les grandes rénovations qui vont commencer. Nos ami-e-s vivent aussi à plusieurs. Nous sommes babas, nous enveloppons dans de grandes écharpes, ponchos, pulls faits maison... Nous sortons, buvons, fumons, refaisons le monde.
Pourtant, il n'y a aucune légèreté en moi. Je suis hantée par la nécessité de réussir mes études. Je vis à l'aide de bourses et de l'argent que je gagne en travaillant tout l'été et en faisant des baby-sitting. Ma mère et Louis paient mon loyer et un peu plus : ils veulent que je ne manque de rien, mais ne se rendent pas vraiment compte de l'écart qui existe entre mon train de vie et celui de mes copines. Je ne me sens cependant pas dérangée par ma relative pauvreté, parce que mes ami-e-s vivent simplement, que nous n'avons que peu d'objets, pas de meubles...

La Fac me plaît dès que j'y mets les pieds malgré son délabrement (très relatif par rapport à ce qu'elle est devenue presque 30 ans plus tard). Il pleut dans les salles, le chauffage est mesuré. Mais il y a de jolis patios fleuris et j'adore mes professeurs et cette immersion au pays de la Littérature.
La tête me tourne en découvrant que le monde est plein de gens différents : couleurs, nationalités, histoires, goûts, itinéraires... Cette richesse me fascine, me nourrit mais me fait perdre aussi mes repères.

J'ai commencé mon voyage, je suis en train de changer de monde. J'ai quitté mon milieu. Comme Eve, j'ai voulu goûter l'arbre de la connaissance, je ne pourrai plus jamais revenir en arrière. Je me sentirai obligée de payer cela d'une fidélité exemplaire à mon terreau d'origine.