De mes dix ans reste précis comme un trait de couteau le souvenir d'une dispute avec ma mère.

Le sujet en était une robe courte, rouge, à volants, de style "flamenco espagnol", que j'avais repérée sur un magasin de vente par correspondance. A la question : "que veux-tu pour tes dix ans ?" j'avais naturellement répondu que je voulais cette robe, que je regardais tous les jours avec un désir de possession inextinguible. Je m'imaginais virevolter là-dedans, au comble de la félicité.

A peine avais-je formulé mon voeu que le refus de ma mère claqua sans appel. Il n'était pas question que je porte cette robe de mauvais goût, cette robe de gitane.

Pas de robe rouge. Pas de robe à volants.

Je me heurtais à ses idées qui, en matière d'élégance, étaient à l'opposé des miennes. Elle aimait plus que tout le bleu marine, égayé d'un fin liseré beige, le blanc semés de pois, la robe-chemisier sable, tout ce qui se tient, la touche de couleur cantonnée au petit foulard qui donne bonne mine.

J'insistai. Elle se cabra et me renvoya à la vie de sacrifices qui était la sienne à cause de moi.

Notre dispute s'envenima, se poursuivit, enfla. Nous passâmes une journée terrible, gonflée d'éclats de voix suivie de silences orageux. Derrière sa volonté de me déguiser en fillette "bon chic bon genre", je sentais remuer en elle un peuple de monstres, toutes ses peurs, toutes ses frustrations, tous ses mensonges. Je ne savais pas encore les nommer, je restais effrayée en découvrant que ma mère pouvait être une ennemie, pour rien, pour une robe à volants rouges.

En fait, je la savais faible et je ne lui accordais guère de crédit, malgré l'amour fou que j'ai toujours éprouvé pour elle. J'étais effrontée et lui répondis pied à pied. Ma langue acérée et mes arguments ironiques finirent par la laisser sans réponse. Elle alla s'enfermer dans la cuisine en pleurant et, en plus de tout le reste, je lui en voulus de cette faiblesse même.