lundi 14 mai 2007

1999:26 - La boucle

Certains sont bloqués par une année de trop. Trop plein. Trop de douleur.
Moi, c'est l'année de moins. Trop vide. Et je plonge, et je n'écris plus.
J'ai un peu honte. De me laisser arrêter, comme ça, pour rien.

Ce n'est d'ailleurs qu'une sensation, une légende personnelle.
Il s'est passé plein de choses cette année-là.
C'est moi, qui n'étais plus là.

Je revois comme dans un cauchemar cet appartement si beau que j'ai eu envie de quitter tout de suite, comme tous les autres, avec toi.
Je me revois terrorisée, de retour dans une salle de classe, comme en adolescence.
Je me revois écroulée par terre, dans le couloir de la fac, ma mère au téléphone m'annonçant la mort de la chienne que nous avons tant aimée.

Et puis je me vois, fière comme une gamine qui vient de faire le poirier, écrire ma première boucle for, celle de mon premier programme informatique.

mardi 6 mars 2007

2000:27 - Off-site

C'est mon premier jour.
Je me suis habillée chouette, pas trop classe, mais élégant.
Je suis un peu angoissée, je veux faire bonne impression.
J'arrive pile à 9h15, pas trop tôt, mais pas en retard.

Tout le monde est guilleret, détendu.
Mal fagoté.
On me regarde en rigolant discrètement.

Mon chef surgit dans la cafétéria et me lance "Alors, t'es prête pour le off-site ?".
The quoi ?

Ben oui, quoi, aujourd'hui, on sort, on t'avais pas dit ?
T'as de la chance de commencer par un off-site !


Quelques heures plus tard, je suis suspendue dans les arbres en bleu de travail moulant et baudrier, terrorisée et suant comme un âne.

Déjà, j'étais arrivée à l'école en pantoufles.

mardi 27 février 2007

2001:28 - Open space

Nous sommes une trentaine, entassés comme dans un sous-marin.
Les bureaux sont joliment arrangés en fleurs, mais les fenêtres sont closes et les volets fermés, été comme hiver.
Il fait froid. Toujours froid.
Pourquoi faut-il que ce crétin monte la clim' et reste en pull ?
J'ai froid.

Les machines font du bruit, un bruit de fond, un sifflement, qui grignote peu à peu mes nerfs.
Si seulement il ne faisait pas aussi froid.
Les deux équipes n'ont pas grand chose en commun. Eux ont le vent en poupe, ils en profitent, imposent leur loi dans l'open space.
Ils me gonflent, les ouineurs.

Aujourd'hui ma voisine à la voix de crécelle se tait. Elle est gentille, toujours malade, mais ne dit rien. Elle.
Moi j'ai froid.

Mon téléphone sonne. Tout le monde tend l'oreille.
Mamie ?
Qu'est-ce que tu racontes ?
T'es sûre que ce n'est pas un film ?
Ok, je regarde.

Je n'arrive pas à accéder à CNN.
Un mail de S. Elle a des copains à New York, ils ont peur. Est-ce que tu arrives à te connecter sur CNN ?
Oui, ça y est, enfin !

Putain !
Tout le monde me regarde, je dépasse encore leurs bornes.

Des avions se sont crashés dans le World Trade Center !
Quoi ?

Les copains roulent jusqu'à mon bureau.
On se passe les images en boucle, c'est iréel.
On apprend par S. que d'autres avions sont tombés.
Ce n'est plus une coïncidence.
On se regarde, effarés.
La fin d'un monde.

Les autres continuent à bosser.
Leur monde peut bien s'écrouler.

Je suis glacée.

mardi 20 février 2007

2002:29 - Les 5 dernières minutes

C'était un lundi.
Un lundi de novembre.
Le 25.

Le week-end avait été difficile entre nous.
Je me sentais mal, j'étais allée voir un ami pour en parler.
Il m'avait réconfortée, redonné confiance, persuadée que tout allait s'arranger.
Et je suis rentrée ragaillardie.

Je venais de franchir le palier quand je t'ai vu.
Et j'ai su que rien n'allait s'arranger.

Tu avais l'air bizarre, comme sur le point de pleurer.
Je t'ai demandé ce qui se passait.
Tu as secoué la tête, incapable de parler.
J'ai dit, j'ai hurlé, que je ne méritais pas ton silence.

Alors les larmes ont coulé sur tes joues, libératrices, et tu m'as enfin dit.

Depuis combien de temps ?
Six mois !

Et tu l'aimes ?
Oui.

Tu ne m'aimes plus ?
Plus comme avant.

Tout est blanc dedans.
Je vais tomber.
Ne tombe pas, ne tombe pas.
Ne pas rester là, surtout ne pas rester là.

Je vais aller chez ma mère, en attendant que tu partes.
Tu vas déménager quand ?
Tu veux garder l'appartement ?
Mais tu ne pourras pas payer !
Elle va venir vivre ici avec ses trois enfants ?

Oui, bien sûr, tu peux le garder.

Putain, je ne vois rien avec toutes ces larmes.
Je dois me concentrer.
Prendre des sous-vêtements, une trousse à toilette.
Un livre.

Je n'arrive plus à te parler au milieu des hocquets.
La commode, des chaussettes.
Je ne veux pas que tu couches avec elle dans notre lit.
Je ne veux pas.

Tu entends ?

Je hurle.
Pourquoi tu pleures ?

Un pull.
Je reviendrai chercher le reste plus tard.
Je vais m'écrouler si je ne pars pas maintenant.
Je ne veux pas. Pas devant toi.
La porte est loin, je ne veux pas te regarder.

Tu me dis quelque chose, je m'arrête.
Je veux te hurler dessus, te frapper,
te tuer.
Mes bras tremblent.
Je vois mon doigt tendu vers toi.
Les mots se bousculent.
Je serre les dents.

Non !
Non, je ne veux pas.
Ce serait trop facile.
Je veux que tu souffres.

J'ouvre la porte et je sors.

2003:30 - Le réveil

Ma mémoire se moque de moi.
J'ai perdu des pans entiers de mon enfance mais je me souviens très bien de ces six premiers mois de 2003, avant la canicule.

Six mois enterrée, dans l'appartement de ma grand-mère, dans une banlieue assez éloignée.

Seule.
Seule après 8 ans passés à me cacher dans un couple.
Seule avec des fantômes de partout.

Je mets une chaise contre la porte, la nuit, pour m'en protéger.
Je génère mon propre froid, je n'arrive pas à me réchauffer.
Je refuse de mettre des cachets dans la glace.
Je suis comme morte, mais en fait j'hiberne.

Je bouge tout doucement, poussée par des amis incroyables qui me tiennent la tête hors de l'eau.

En juin, vers la St Jean, je passe à Dijon chez ma soeur en allant chez un de ces amis, en Champagne.
On fait la fermeture d'un vieux troquet d'habitués.
Et c'est là, devant ce bar miteux où j'hésite à entrer, que je le sens.
Il est à 20 mètres, dans la rue. Je ne le vois pas vraiment, mais je sais.
Tout est comme ralenti, ridiculement cinématographique.
Il ne regarde que moi, il sourit.
Je me marre.
Il sait.

Mon Merlin.
Marchand de tapis et chauffagiste du coeur.



Je suis enfin envie.

mardi 13 février 2007

2004:31 - année pingouin

C'est bizarre, ce que tu nous fais faire là, Kozlika.
Secouant.

Tu disais qu'il était souvent plus simple de remonter le temps.
Maintenant que j'y suis, j'en doute.
Sans recul, j'écris comme on échappe à la noyade.
Les blessures sont trop fraiches, les moments toujours vivants.

Et la mémoire, déjà, me trahit.
2004 ? Mais il ne s'est rien passé en 2004. Si ?

Bien sûr que si.
2004 fut une transition.
La fin d'une période de libération, le début de mon histoire actuelle.

C''est l'année de ma plus belle histoire de sexe avec un homme que je croyais aimer, une histoire qui m'a déconstruite et laissée nue de moi.

C'est aussi l'année où un ami rare m'a présenté la femme dont je tomberai amoureuse.
Mais chuuut, pour l'instant, elle et moi on fait semblant. On a peur, alors on est amies. Et on rit. Tout le temps.

C'est l'année des pingouins, je me dandine maladroitement, poussée par l'instinct vers elle, à des centaines de kilomètres de moi.

Je revois encore la copine devant le cinéma, après deux heures de manchots empereurs, nous dire "bon, on va rester là longtemps, à faire les pingouines sur le trottoir ?"

Qu'est-ce que ça fait du bien !

lundi 5 février 2007

2005:32 La bascule (3/3)

L'émotion laisse place à la fête.

Vous êtes là, avec nous.

Vous, c'est l'autre chorale, celle qui vient de loin, 500 km plus au Nord.

Une ville minière et des gueules, des vraies.

Quand je m'agenouille pour chanter, le poing levé, je ne te vois pas.

Puis, soudain, une vague de chaleur me submerge, m'envahit.

Ta voix chaude résonne, moi je ne peux plus chanter.

Je t'ai trouvé.

2005:32 La bascule (2/3)

Rouge

Ils sont là, on les sent, on les sait,
dans le noir, là,
juste derrière les spots aveuglants,
brûlants.

Ils sont là, tendus vers nous,
attentifs,
aux aguets.

Il fait trop chaud.

Ils sont là mais ne savent pas encore.

Alors on prend le temps,
la note, l'accord,
la respiration.

Le silence tombe.
Ils sont prêts.

Pas moi.
Je ne vais jamais y arriver, jamais.
Trop d'attente,
trop d'émotion à porter,
trop d'images dans ma tête.

Je ne peux plus respirer.
Je voudrais hurler mais je suis paralysée.

Je m'accroche à une main,
une autre me saisit,
nos regards se croisent enfin.
Je ne suis plus seule.

Mon tremblement peut voyager,
de moi à nous,
à eux.

Nous sommes prêts.

Vingt et trois,
en coeur.

2005:32 La bascule (1/3)

Je commence l'année en découvrant que je fais partie d'un harem.
Je me revois lire cette lettre, m'écrouler sur le lino de la cuisine, en hurlant.

Je dis non.
Puis j'accepte.
Je crie.

Je ne serai jamais assez spéciale pour quelqu'un.

Au début je résiste, je ne veux plus être son amante, sa chose.
Puis je craque, mon corps me trahit.
Et mon coeur se recroqueville.

Les mois passent, je profite de tout et de tous.
Je ne veux plus me regarder.

Puis il y a ce concert, un soir de déluge.
Il n'est pas venu, bien entendu, mais les autres sont là.
Ceux qui m'aiment malgré moi.
Et leur chaleur me donne des ailes, et de la voix.

Ce soir, je chante,
devant eux,
pour eux,
avec eux.

Je chante en choeur, en rouge et noir, la Résistance et la Liberté.
Je chante la libération des camps.

Les mots sont de Ferré, mais les coeurs sont à nous.
Pour eux.

lundi 29 janvier 2007

2006:33 - Le Tour de la Terre

42 000 km.
La circonférence du globe, paraît-il.
La distance que nous avons parcouru cette année-là.

Neuf mois passés entre deux villes, entre deux vies, dans des trains qui se traînent, dans des voitures qui roulent trop vite.
Neuf mois à hurler de distance.

Notre amour a eu un accouchement difficile.
Je me demande encore si je ne suis pas stérile.

Je t'ai voulu tellement fort que j'ai fini par te rencontrer.
C'était l'été d'avant.
C'était un rêve d'enfant.

Un rêve que les kilomètres transforment en cauchemar.
Je suis plus seule que jamais, loin de toi.

Je m'éloigne, je me protège.
On ne peut pas m'aimer.
Je ne veux plus risquer.
Je mets 42 000 Km entre nous, à l'intérieur.

J'aime ailleurs, un lutin aux pieds ailés qui combat les mêmes démons que moi, mais avec élégance, le rire au bord des larmes.
Et ça me fait encore plus peur, ces ailes.
Elle.

Elle te sait.
Tu l'acceptes.
Je suis perdue dans tant d'amour.

Ca ne peut pas être moi.
Je ne suis pas aimable.
J'attends que vous vous rendiez compte de votre erreur.
Mais ça ne vient pas.
Et je ne sais plus quoi faire de tous ces kilomètres.

Elle sait.
Elle sait mieux que moi mon désir d'enfant.
Elle m'aime trop pour avoir peur que je sois heureuse, ailleurs.
Elle coupe les amarres.

Je pars.
Ce sera tous les changements d'un coup, ville, travail, amis, vie de couple.
Je ne me souviens déjà plus de tout ça.

J'ai encore le coeur qui bat trop fort.