Nous sommes une trentaine, entassés comme dans un sous-marin.
Les bureaux sont joliment arrangés en fleurs, mais les fenêtres sont closes et les volets fermés, été comme hiver.
Il fait froid. Toujours froid.
Pourquoi faut-il que ce crétin monte la clim' et reste en pull ?
J'ai froid.

Les machines font du bruit, un bruit de fond, un sifflement, qui grignote peu à peu mes nerfs.
Si seulement il ne faisait pas aussi froid.
Les deux équipes n'ont pas grand chose en commun. Eux ont le vent en poupe, ils en profitent, imposent leur loi dans l'open space.
Ils me gonflent, les ouineurs.

Aujourd'hui ma voisine à la voix de crécelle se tait. Elle est gentille, toujours malade, mais ne dit rien. Elle.
Moi j'ai froid.

Mon téléphone sonne. Tout le monde tend l'oreille.
Mamie ?
Qu'est-ce que tu racontes ?
T'es sûre que ce n'est pas un film ?
Ok, je regarde.

Je n'arrive pas à accéder à CNN.
Un mail de S. Elle a des copains à New York, ils ont peur. Est-ce que tu arrives à te connecter sur CNN ?
Oui, ça y est, enfin !

Putain !
Tout le monde me regarde, je dépasse encore leurs bornes.

Des avions se sont crashés dans le World Trade Center !
Quoi ?

Les copains roulent jusqu'à mon bureau.
On se passe les images en boucle, c'est iréel.
On apprend par S. que d'autres avions sont tombés.
Ce n'est plus une coïncidence.
On se regarde, effarés.
La fin d'un monde.

Les autres continuent à bosser.
Leur monde peut bien s'écrouler.

Je suis glacée.