samedi 15 décembre 2007

1991: Juste un matin...

J’ai du mal à trouver sur quoi ricocher pour 1991. J’ai le sentiment d’être au milieu du gué, au milieu des années plates. Rien ne surgit spontanément dans ma tête comme événement qui aurait marqué mon chemin de vie, aurait induit un changement, initié une autre étape. Bien sûr on peut dire « pas de nouvelles, bonnes nouvelles ». C’est vrai d’une certaine façon. La vie suit son cours. Tranquillement. Doucettement.

Pour tenter de m’inspirer je feuillette l’album photo de cette année là. Qu’est ce qui domine, du plaisir du souvenir ou de la nostalgie de ce qui n’est plus ? Voici des anniversaires d’enfants avec nos petits gars si mignons, les copains, les copines, les jeunes parents que nous sommes encore, voici des fêtes de famille, les soixante ans de ma belle-mère par exemple, y étaient beaucoup de personnes qui ne sont plus, voici des photos de vacances surtout, beaucoup, c’est cela surtout qu’on photographie, pas de grand voyage ces années là, c’est le temps des vacances familiales, on fait des quasi tour de France qui nous mènent aux différents lieux d’ancrages familiaux, un petit tour dans les Alpes, un petit tour dans le midi toulousain, un peu de Bretagne et aussi ce passage juste quelques jours dans cet autre lieu de villégiature balnéaire où, oui, surgit un souvenir particulier.

Nous étions dans une maison appartenant à la famille paternelle de Constance, une imposante maison bourgeoise dans le centre du bourg, une maison chargée d’histoire et, pour ma femme, chargée de souvenirs d’enfance, elle y venait chaque été et y retrouvait des multitudes de cousins. C’était une maison en sursis depuis pas mal d’années déjà. Elle appartenait à une indivision nombreuse, elle avait été conservée autant que possible et notamment jusqu’au décès de la grand mère de Constance intervenue deux ans plus tôt juste après que le vieille dame eut fêté ses cent ans. Mais petit à petit la maison avait été vidée de la plupart de ses meubles, des tableaux et des photos qui décoraient ses murs, des vieux livres qui remplissaient ses bibliothèques. Elle devait être mise en vente à l’automne, on savait que cette fois c’est vraiment la fin, ce qui contribuait à faire peser sur le séjour un inévitable parfum de nostalgie.

Je ne me sens moralement pas très en forme en cette fin de vacances. J’aborde la rentrée qui approche sans enthousiasme c’est le moins que je puisse dire, me demandant si je ne me suis pas mis professionnellement dans une impasse, dans une fonction qui décidément ne me convient pas (j’y suis toujours !). Je dors mal depuis plusieurs nuits, encombré que je suis de mes interrogations existentielles.

Me voici éveillé dans ce lit étroit au sommier défoncé où nous dormons. J’ai mal au dos. Je cherche désespérément une position confortable. Impossible de bouger sans déranger l’autre. Je ronge mon frein et sens que l’exaspération me gagne tandis que le sommeil lui s’éloigne.

Finalement n’y tenant plus je me lève. J’ai besoin de bouger. Je m’habille silencieusement. Trop tôt pour aller déjeuner. Je sors dans la cour et prends un vélo. La rue est désormais parfaitement calme après, tout à l’heure, le bruit de fêtards sortant d’une boîte de nuit qui m’ont réveillé. Il fait frais, au ciel les étoiles se sont éteintes, à l’est commence à monter la lueur du matin, une belle journée s’annonce. Je commence à pédaler…

Tout de suite je me suis senti mieux. J’ai filé le long de la jetée qui va vers la mer au delà de la place du château. A ma droite le canal, à ma gauche le marais, où à cette heure s’ébattent une multitude d’oiseaux. Le soleil est apparu, presque en face de moi, me faisant cligner des yeux, ravivant d’un seul coup les couleurs, disloquant les lambeaux de brume encore présents en contrebas sur le marais. Je me suis arrêté un moment, saisi de beauté, puis j’ai repris mon vélo, pédalant avec une extrême lenteur, avançant à la limite de l’équilibre, tout entier dans ma contemplation de ce paysage changeant de minute en minute, envahi d’une allégresse à laquelle je ne m’attendais pas.

Arrivé au bout de la jetée, là où le canal rejoint la mer, j’ai pris une petite route qui va vers les campings et les plages à travers un bois de pins et de chênes. Un lapin a surgi d’un bosquet, il a zigzagué sur la route devant moi. Il n’était pas seul. D’autres sont apparus à sa suite, bondissant entre les fourrés, s’arrêtant soudain, têtes et oreilles dressées, puis redémarrant tout aussi brusquement d’un bond. C’était l’heure où ils venaient humer le matin, ils ne se souciaient pas de moi…

Sur la plage je me suis arrêté un long moment de nouveau. J’ai regardé monter la lumière, les couleurs sont devenue plus vives, étincelantes, la mer était très bleue, le ciel, sans aucun nuage, pur, si pur. Je n’avais ni maillot, ni serviette, et pendant un moment j’ai eu la tentation de me mettre nu, de me jeter dans l’eau pour éprouver encore plus intensément, de tout mon corps, la splendeur du matin. Mais un premier jogger matinal est apparu au bout de la plage, je l’ai vu s’approcher d’une foulée tranquille, il est passé silencieusement devant moi, dans mon dos une voiture puis une autre se sont faites entendre sur la route et je suis sorti de ma rêverie…

J’ai repris mon vélo, je suis revenu vers le bourg, je me sentais décrassé, apaisé, défatigué pour un moment du moins, de ma mauvaise nuit, régénéré moi aussi par ce miracle quotidien, cette promesse, chaque jour renouvelée, d’un matin qui se lève…

Je me souviens de chacun des moments de ce matin là, de chacune de mes émotions, comme si c’était hier. J’ai un peu triché, c’est un peu le ricochet sur le ricochet car j’avais déjà écrit un peu différemment sur ce souvenir il y a quelques années. Mais c’est ça aussi le bonheur de l’écriture, pouvoir entretenir puis réactiver une perle lumineuse de passé inscrite en soi.

vendredi 30 novembre 2007

1992: Procuration!

Ce soir là, je vais dîner chez mes parents.

Nous tardons à nous mettre à table car mon père attend un coup de téléphone. On doit l’informer officiellement de sa nomination à un poste éminent dans lequel il doit terminer sa carrière. Les choses sont faites, il le sait. Le coup de téléphone ne sera qu’une confirmation et l’occasion pour lui de premières félicitations.

Le téléphone sonne.

« Ah… ah oui… ah bon… ah mais pourquoi ? oui, vous pensez ?

Le ton de voix enjoué et mondain que mon père avait adopté en décrochant a changé du tout au tout. Il s’est fait, concentré, soucieux, interrogatif. Manifestement il y a un changement. La discussion se prolonge. Nous poursuivons languissamment nos propres conversations autour de l’apéritif tout en laissant traîner nos oreilles du côté du téléphone, nous écoutons sans écouter...

« Mais non, cher collègue, mais non, ce n’est pas grave, oui, à très bientôt, au plaisir… »

Il a raccroché. Le voici qui vient vers nous avec un sourire contraint.

« Ah et bien non, ça ne se fait pas finalement, c’est X qui l’a eu, je vais terminer là où je suis… »

Nous questionnons. Comment se fait-il ? Qui a glissé une peau de banane ? Des histoire de réseaux, de coteries ? « J’avais fait les « visites » pourtant, on m’avait assuré… mais X est très introduit politiquement, moi je suis toujours resté à la marge, peut-être est-ce ça … c’est mon âge, à soixante-six ans je dois prendre impérativement ma retraite à la fin de l’année, c’est la raison invoquée, je ne pouvais pas rester assez longtemps sur le poste… »

Nous questionnons. Enfin surtout je questionne. Je manifeste ma déception. J’ai le sentiment d’une injustice. Je me sens floué.

Je !

Je plus que lui !

Comme si c’était moi qui était concerné !

Nous dînons. La conversation file sur bien d’autres chemins. J’y participe comme les autres. On parle de choses et d’autres, des enfants, des prochaine vacances. La soirée se termine. Nous rentrons chez nous. Sur le chemin du retour persiste en moi un vague et étrange malaise…

Pourquoi avais-je réagi ainsi ? Qu’est ce que cela disait de moi de me sentir investi à ce point dans les succès paternels ou dans ses déceptions ?

J’abordais déjà aux rives de la quarantaine, j’avais travail, maison, femme, enfants, j’étais censé être adulte et voilà que je réagissais comme un petit garçon admiratif, qui n’existerait que par son père !

J’ai apprécié et j’apprécie encore certains aspects de mon activité professionnelle. Mais je ne m’y suis jamais senti en pleine adéquation avec moi-même. Il m’y manquait quelque chose. J’ai eu des velléités de faire autre chose. J’ai commencé d’emprunter même quelques pistes, je n’ai jamais été au bout.

Pourquoi n’ai-je pas pu faire ces pas ? Pourquoi ai-je été incapable de trouver les ressorts pour construire les chemins d’affirmation et de réalisation qui me soient propres ?

Avoir une vie professionnelle intellectuellement et socialement brillante n’est pas un but en soi et n’est pas condition obligée du bonheur. Je me suis dit cela lorsqu’il m’arrivait d’avoir un sentiment de déclassement, du moins dans l’ordre du prestige et de la reconnaissance intellectuelle. Déclassé, ou plus simplement pas à la hauteur d’un père admiré ?

Toujours gentil et compréhensif cette bonne pâte d’homme ne m’a jamais bousculé, se contentant de trouver parfois « dommage » que j’ai renoncé à certaines voies plus prometteuses ou que je n’ai jamais cherché à faire carrière. Mais je suis convaincu, aussi peu interventionniste qu’il ait été, qu’au fond de lui il espérait mieux de moi. Il ne me l’a pas dit. Je l’ai senti. Et c’est resté, caché au fond de moi, comme un poids, comme une barrière sur mon chemin.



C’était cela qui m’éclatait au visage au travers de cet étrange dépit par procuration.

jeudi 22 novembre 2007

Ricochets, vous avez dit ricochets?

Ohé des ricocheurs, ohé, il y a quelqu’un… ?

C’est Dame Kozlika qui nous interpelle et vient soudain secouer la douce hibernation ricochesque dans laquelle je m’étais installé.

Tiens, oui, les ricochets !

Oh je ne les ai pas oubliés tout à fait. Ils sont là. Ils ont même droit à un raccourci spécial sur un coin du bureau de mon ordinateur, pas un, deux raccourcis, un pour aller lire, un autre pour aller publier. Souvent lorsque mon regard passe dessus je me dis : « Ah oui, les ricochets, il faudrait m’y remettre pourquoi pas… ». Mais ça fait un moment cela dit que je n’ai plus cliqué par là.

Alors aujourd'hui j’ai couru y faire un petit tour. C’est qu’ils sont bien vivants ces ricochets. Il y a même des petits nouveaux comme Johann ou de grands anciens qui s’y mettent, n’est-ce pas Gilda. Il y a des fidèles comme Thomas qui vient de boucler son parcours, Samantdi qui progresse avec régularité, Cassymary à la belle énergie. Et bien d’autres. Et chez tous il y a beaucoup d’émotion et quelques bien beaux textes…

Quant à moi ? Il date de quand mon dernier ricochet ? Je ne sais même plus. Je vais faire un tour dans les archives. 21 juin ! Déjà ! Tant de temps passé ! Dernier texte le 5 juillet, un texte dans la marge qui s’appelle « Ricochets en déshérence ». Il est là pour dire je suspends sans fermer, je reviendrai peut-être. Ça n’a pas été le cas jusqu’à aujourd'hui.

Pourquoi est-ce que je me suis coincé là ? Ce n’est pas par hasard sûrement. Je sais très bien ce dont j’avais l’intention de parler pour 1992. Ce n’est pas spécialement difficile ni douloureux. Mais ce malaise que je voulais évoquer, survenu lors d’un événement assez dérisoire ne me concernant pas directement, dit assez par sa force et son étrangeté qu’était touché un élément important pour moi, un nœud sûrement.

Je crois avoir su très vite, dès lors que ce petit événement s’est produit et parce qu’il est resté toujours présent à ma mémoire de quoi il retournait. J’ai eu l’impression, sans doute fallacieuse d’ailleurs, d’avoir épuisé la question. Et comme il y a malaise à l’évoquer sans gain prévisible de compréhension ou de redécouverte, je n’ai pas eu envie d’y revenir.

Plus globalement avec ces années, j’étais dans des années plates, enfin me semblant plates. A écrire dessus j’avais tout simplement le sentiment que j’allais m’ennuyer.

Je me suis posé aussi la question du sens choisi. Tout à coup je me disais, c’est absurde ce sens à rebours, j’aurais bien mieux dû suivre la flèche du temps. L’après ne prend son sens qu’éclairé par l’avant. Certes, mais ça c’est une considération valable dans la restitution, au moment où j’aurais voulu lire le texte entier de son alpha vers son oméga. Elle ne l’est pas au moment de l’élaboration, la plongée vers le début, du plus proche vers le plus reculé, peut au contraire faire de ricochet en ricochet surgir de belles surprises. Donc tout ça, c’est du prétexte !

J’aurais pu aussi, et j’y ai pensé, m’affranchir de toute consigne, jouer le temps dans l’anarchie, passant d’un souvenir proche à un souvenir lointain et vice-versa. Mais j’aurais alors sans trop de peine écrit les « années intéressantes » et puis il serait resté de vastes plages de temps inabordées et condamnées pour le coup à le rester.

Il y a autre chose aussi, peut-être plus insidieusement démotivant. Mon premier ricochet 2006 c’était « l’homme immobile » qui était une sorte d’injonction à ne plus l’être. Les ricochets, travail du passé dans le présent n’étaient-ils pas là aussi pour débloquer des vieilleries au creux de soi ? Or qu’écrirais-je si je devais faire un ricochet 2007 car « l’homme immobile pas si immobile que ça » fondamentalement l’est toujours ? Est-ce que vraiment on peut changer ou bien est-ce que les récurrences, les répétitions sont toujours les plus fortes, toujours triomphantes?

Ah là, là, c’est bien du Valclair tout ça ! Toujours avec ses éternelles et tortueuses questions ! Et si tout bêtement, tout simplement, je repensais au plaisir que j’ai eu aussi à produire mes ricochets au delà de l’aspect laborieux qu’ils ont parfois pris.

Alors ? Revient ? Revient pas ? Je ne sais pas encore. Je crois plutôt oui. Ce ricochet 1992 au moins il faudrait que le fasse maintenant que j’ai alléché. Et après, c’est à dire avant ? Nous verrons.

Merci Koz de m’avoir ainsi, peut-être, donné l’envie de relancer la machine.

jeudi 5 juillet 2007

Ricochets en déshérence

Encore une fois j’ai laissé passer ma journée Ricochets. Je ne suis pas le seul d’ailleurs. Beaucoup de ceux qui s’étaient engagés dans cette entreprise, notamment parmi ceux, celles, que je suivais avec le plus d’intérêt semblent en pause. Peut-être est-ce simplement fatigue de fin d’année, besoin de s’aérer la tête à l’approche des périodes de vacances, besoin d’un ailleurs dans les mots aussi, peut-être est-ce au contraire une lassitude plus durable ou l’épuisement même de l’envie du retour sur le passé.

Pour ma part je vais suspendre mes ricochets pour un temps indéterminé. Je n’aime pas trop démarrer quelquechose sans aller au bout, donnant ainsi de moi l’image de quelqu'un qui ne fait pas ce qu’il a annoncé. Mais c’est idiot, c’est une forme d’orgueil qui me conduit parfois, y compris dans des situations triviales de la vie courante à un acharnement source de mal-être et contre-productif. Je cherche à m’en défaire. Ce n’est pas pour le maintenir ici. Donc là aussi je vais m’en défaire. Je ne vais pas m’obliger.

Non que je ne trouve des caractères positifs à cette pratique du ricochet et à la contrainte que je m’étais imposée d’en suivre à peu près le consignes : un ricochet par semaine, un ricochet pour chaque année, ne pas déroger au sens de progression que j’avais choisi, en allant de mon âge canonique actuel (je puis me permettre ce terme depuis que je sais grâce à Traou que c’est un âge encore assez tendre à nos yeux de modernes !) jusqu’à mon premier vagissement, jusqu’à mon retour dans le giron maternel. Passé la difficulté à m’y mettre j’y ai trouvé des satisfactions en faisant ressurgir de beaux moments enfuis ou bien en me coltinant, parfois difficilement mais justement richement parce que difficilement, à certaines étapes passées de ma vie. Et je ne suis pas mécontent de certains des textes produits dans ce cadre.

Mais ces textes par définition étaient rétrospectifs/introspectifs, or en ce moment je crois je suis vraiment fatigué des rétrospections et des introspections. Dans mon écriture au jour le jour j’ai plus envie d’évoquer le miroitement du présent, d’être provocateur d’avenir plutôt que recenseur de passé. J’ai envie d’être plus ouvert à ce qui est mis en mouvement, à l’accueil de ce qui peut advenir, je pourrais presque dire que j’ai envie d’une écriture constructive/prospective. Et puis j’ai aussi une idée de récit fictionnel, enfin du fictionnel qui dirait beaucoup de moi mais autrement, c’est un texte qui mûrit depuis un sacré bout de temps et auquel j’ai bien envie de commencer à m’atteler vraiment en profitant des vacances qui commencent.

Ce n’est qu’un temps peut-être. Je n’exclus pas de revenir aux ricochets. D’ailleurs j’en ai un, d’une année de petit garçon, 1961, écrit au moment où je ne savais pas encore dans quel sens partir, je le garde en réserve, il viendra s’insérer à sa place, si je reprends. Mais je ne m’engage à rien. Je verrais. Voilà. Bonne chance aux Petits Cailloux et Ricochets. Et que d’autres prennent le relais, ne laissez pas cette jolie idée en léthargie, qu’elle reste vivante et que je puisse moi et d’autres y revenir quand j’en aurais de nouveau le désir.

jeudi 21 juin 2007

1993: Impressions marocaines

Je triche un peu sur les dates. A la fois parce que rien ne s’impose de l’année 1993 et parce que j’avais envie de parler de ce voyage effectué en réalité pendant l’été 1994 qui est un souvenir lumineux mais qui l’est aussi peut-être parce qu’au même moment s’écrivaient les «Traces ». Il constitue donc une sorte de contrepoint à mon précédent ricochet, il est une autre façon de parler des années 1993-1994.

C’était un de ses voyages avec Terre d’Aventures ou d’autres voyagistes du même style dont nous sommes relativement coutumiers dans lequel la découverte d’un lieu s’effectue essentiellement au travers des randonnées à pied d’un caractère plus ou moins sportif selon les cas. Le terme « d’aventures » est naturellement très excessif, ce sont des voyages très encadrés et sécurisés, nous restons dans notre bulle d’occidentaux même si nous allons dans des villages retirés et même s’il y a quelques contacts avec la population locale. Cela reste du tourisme mais c’en est une des formes les plus acceptables.

Il s’agissait cette fois d’une traversée nord-sud de l’Atlas marocain. Celui-ci est constitué de plusieurs chaînons est-ouest que l’on franchit successivement, passant des crêtes pour redescendre dans des vallées encaissées avant de réattaquer la montée vers de nouvelles crêtes, certaines culminant à plus de 3000. Il y a une spectaculaire modification des paysages à mesure que l’on progresse vers le sud, aux zones très vertes, largement couvertes de forêts du nord, succèdent des paysages de plus en plus arides, de plus en plus minéraux, ce voyage c’est aussi une lente et progressive approche du désert, auquel on pourrait presque trouver quelque chose d’initiatique.

J’ai des souvenirs de ce voyage bien plus forts que de bien d’autres. C’est que je l’ai vécu souvent dans l’exaltation, des moments très précis, des images m’en restent avec une étonnante présence, bien au-delà de ce qu’on fait ressortir habituellement de voyages passés en feuilletant nos albums photos. Cela tient sans doute à ce que ces moments intenses je les ai mis en mots. Ce n’est pas une relation continue de voyage, ce sont plutôt des images accrochées, sous forme de brefs poèmes, des sortes de haïkus dans l’esprit en tout cas même s’ils n’en respectent pas la forme. Ce sont des mots surgis sur le motif, roulés dans ma tête en marchant, gribouillés sur un petit carnet à la halte méridienne ou le soir au bivouac. Ils ont contribué à imprimer durablement en moi les images, je n’ai pas besoin d’aller les relire pour ressentir de tous mes sens quelques uns de ces moments vécus, des images mais aussi des sons, des odeurs, des goûts, des sensations corporelles. Ainsi la fraîcheur et la sensation astringente à la bouche de fruits offerts par des gamins sur le chemin. Ou cette âcre et vive odeur d’armoise exaltée par le lever du jour, lorsque nous grimpions en fin de nuit vers un sommet que nous voulions atteindre à l’aube. Ou bien encore lorsque nous marchions au fond d’un oued entre de hautes parois, le vacarme de l’eau bondissante réverbéré par les roches, la morsure de l’eau froide sur les mollets, la tête tournant de tout ce bruit et tout ce mouvement...

Si j’ai écrit sur ce registre, si j’ai approfondi et fait s’inscrire dans la durée ces beaux moments c’est aussi parce que dans le même année j’avais trouvé le sens et le goût d’écrire à travers mon expérience bien plus difficile, bien plus sombre de l’écriture de « Traces », c’est en quelque sorte « le côté lumineux de la force » et c’est justice de le dire pour marquer ce que m’a apporté de positif cette réexpérimentation de l’écriture.

Je n’ai pas besoin de relire disais-je. Mais j’ai relu aussi à l’occasion de ce ricochet. Et j’y ai repris plaisir. Et j’y ai réactivé encore plus le souvenir. Alors ces mots qui pourtant valent surtout pour moi, par l’association avec les sensations même ramenées à ma conscience, j’ai eu envie de les mettre en ligne, me disant que certains peut-être prendraient plaisir à les lire. Vous pouvez les trouver ici , sur mon autre site où je mets de temps à autres quelques écritures diverses, nouvelles ou fragments.

Une façon de les faire ricocher dans le présent.

jeudi 7 juin 2007

1994: "Traces"

« Traces » c’est, à ce jour, mon texte le plus accompli. Il a été commencé en 1993, terminé et mis en forme en 1995 mais l’essentiel de sa rédaction, le choix de ce qu’il serait en définitive date bien de 1994.

C’est un retour à l’écriture après un temps très long où j’avais totalement mis sous le boisseau l’idée même d’écrire. Ecrire, dès lors que je n’étais pas écrivain, que je n’envisageais pas de le devenir m’apparaissait comme quasi illicite.

C’est un besoin simple d’expression qui m’a fait reprendre la plume. Je me sentais mal ces années là, j’étouffais, j’ai ressenti l’absolu besoin de faire le point avec des mots sur moi-même, mon histoire, mes impasses. J’accordais donc très clairement à cette écriture quand je l’ai reprise une fonction thérapeutique bien plus que littéraire.

Je suis parti des malaises du présent, je les ai confronté à mon histoire récente. Puis j’ai senti le besoin d’aller plus loin dans le passé, à la recherche d’éclats de souvenirs. Je n’ai pas cherché à construire une continuité chronologique, à raconter mon histoire. J’ai donc écrit des fragments au fur et à mesure qu’ils se présentaient à moi. C’est en avançant que j’ai trouvé du sens à les organiser et du coup à les compléter pour qu’au final cela tout de même fasse histoire. Mais j’ai aussi pris un grand plaisir à écrire ces fragments, ou plus exactement à les voir terminés, à voir que du magma confus et au prix parfois d’une douloureuse maïeutique sortait un texte ciselé, agréable à lire, authentique, exprimant avec justesse une certaine vérité de moi ou de mon passé.

Il y a dans cet ensemble des pages vraiment douloureuses, des cris, que je ne relis pas sans trembler non d’ailleurs tant dans les fragments eux-mêmes évocateurs du passé que dans ce qui les environne, des textes d’ambiance sur le moment, des « postscrits » remettant en cause le sens de ce travail au regard des douleurs vécues dans le présent.

Il y a eu des moments d’ailleurs où j’ai eu la pulsion de tout détruire. Tout en sachant parfaitement que je ne le ferais pas. Parce qu’au fond je ne suis pas destructeur mais conservateur à l’extrême (de même que je ne suis pas suicidaire mais plutôt, à l’excès, terrifié par la mort). Et puis parce que je ne pouvais m’empêcher de trouver beau certains de ces textes. Et ça c’était la victoire comme l’était aussi le plaisir que j’avais pris à l’écriture et qui en vérité suffisait à lui donner sens.

J’ai réorganisé cet ensemble il y a deux ou trois ans, j’ai conservé l’ensemble des fragments sans modifier une ligne mais mis de côté certains postscrits, je l’ai doté d’une préface, je l’ai relié, ça fait un ensemble de 120 pages en petits caractères, j’ai le projet de le déposer dans quelque grenier autobiographique. C’est même une des raisons qui m’a fait adhérer à l’Association pour l’Autobiographie il y a quelques années mais pour l’instant je me dis que rien ne presse, mes « Traces » attendent tranquillement dans mes tiroirs…

Lorsque je remets le nez dans ces textes ce qui me donne le vertige c’est d’y trouver des phrases comme celles-ci : « Mais toi, mais nous… L’étincelle que j’y vis ne brille plus dans tes yeux. Nos corps se plombent et nos cœurs se racornissent. Les étreintes se font rares et presque honteuses. Les rires s’éteignent. Le silence s’installe, ce silence gris de tant de couples vieillissants… »

Vertige à voir que tout était déjà là, que le silence était déjà là et que la volonté de le rompre était déjà là, et vertige à voir que douze ans après, tout est encore là, immobile…

Alors me vient la lancinante interrogation : qu’était-ce donc ces pages et ces pages noircies, sinon un substitut de thérapie, une ruse habile de l’inconscient pour m’empêcher d’y avoir recours, une façon d’éviter par peur panique du changement d’affronter vraiment les problèmes et de pouvoir ensuite, peut-être, grandir, seul ou ensemble ?

Quoiqu’il en soit tel a été mon chemin. C’est ainsi que ce fut. Il n’y a rien à y redire. Les regrets sont inutiles et dépourvus de sens. Il y a seulement, et même s’il est tard désormais, à éviter de reproduire encore et encore, à l’identique …

jeudi 24 mai 2007

Jeudi c'est ricochet!

Enfin en principe. Car nous sommes jeudi justement. Et mon ricochet 1994 n’est pas prêt. Il était pourtant sur le feu dans ma bouilloire intérieure depuis quelque temps mais aucun mot n’en a été écrit...

C’est qu’il n’est pas facile. Il n’est pas spécialement douloureux mais il fait étrangement écho à des ricochets d’une autre nature qui se nouent ces jours ci dans mon présent. Et ce sont ceux-ci d’ailleurs qui ont absorbé une bonne part de mon énergie mentale de ces derniers jours, m’empêchant de me tourner vers ces temps plus anciens ou plutôt peut-être de trouver la bonne distance pour en parler. Alors je préfère laisser mijoter.

Donc je saute l’échéance. Je passe le tour. Tant pis pour mon contrat du jeudi qui après tout n’est un contrat qu’avec moi-même ! Et puis tiens, ça ne me déplait pas de laisser un peu plus longtemps comme ricochet dernier en date, ce ricochet 1995, si heureux et lumineux.

Evidemment si je m’amuse à sauter comme ça les échéances, je n’ai pas fini de dérouler le film ! Moi qui doit déjà ricocher sur plus d’années que bien d’autres, si en plus je saute mon tour quand donc arriverais-je au bout ? Il y en a qui vont avoir le temps de faire trois fois le tour avant que je n’atteigne le doux temps où je pourrai réintégrer le cocon primordial, la quiétude du giron maternel (hum ?!)

jeudi 17 mai 2007

1995: Trois générations

Nous avions retrouvé le groupe en gare de Tarbes sous une pluie battante. Le minibus a embarqué toute la troupe, nous avons franchi les Pyrénées dans la foulée, roulé encore deux bonnes heures sous un ciel espagnol déjà plus clément avant d’arriver à notre base, une ancienne bergerie à la sortie du village de Rodellar dans la sierra de Guara d’où nous allons pendant une semaine pratiquer un stage d’initiation au canyoning.

Dans ce groupe il y a moi, il y a mon fils de 12 ans qui est, mais d’assez peu, le plus jeune des participants et puis il y a mon père qui est lui et de loin le doyen du groupe.

J’avais eu envie de cette activité pour changer de nos traditionnelles randonnées estivales. Ce projet avait séduit mon fils bien plus qu’une simple marche mais il ne disait rien par contre à Constance. Mon père, lui, toujours avide de découvertes et d’occasions de pratiquer des activités un peu physiques qu’il n’avait aucune chance d’effectuer avec ma mère pas sportive pour un sou, avait proposé de se joindre à nous.

Et c’est ainsi que nous nous étions inscrits, attelage un peu atypique pour ce genre d’activités, trois hommes, un fils, un père et un grand père.

Le premier après-midi c’est l’apprentissage technique, nous faisons de premières trempettes dans des eaux tranquilles pour apprendre à évoluer engoncé dans les combinaisons serrées puis on nous montre quelques techniques simples d’évolution sur des falaises. Ainsi mon fils, mais mon père aussi, font une descente en rappel pour la première fois de leur vie. Il faut le voir, le grand-père, un peu tendu au moment de se laisser partir en arrière depuis la falaise puis une fois en bas, rayonnant, joyeux comme un gosse, avide de recommencer !

On se sent gamins les uns autant que les autres.

Quel bonheur d’être gamins ensemble.

On profite à plein du caractère ludique du canyoning : Le plaisir de se laisser glisser au fil de l’eau ou de nager dans de vastes piscines naturelles puis de se faire secouer dans des passages plus mouvementés. celui des douches sous les cascades et celui des sauts de plus ou moins hauts dans des piscines profondes entre les rochers, le délicieux pincement d’anxiété au moment de s’enfoncer dans un goulet étroit pour passer un siphon, le contraste entre la fraîcheur des « oscuros », les fonds de canyon où le soleil n’atteint jamais et la chaleur lorsqu’on sort des zones étroites, la douceur des haltes sur les berges dans des zones plus ouvertes pour des piques-niques bucoliques loin de tout…

Un soir nous fêtons les soixante-dix ans de mon père dans une ferme où était organisé pour ceux qui le souhaitaient un repas local traditionnel. Je lui offre un cadeau modeste, une paire de jolis couverts à salade en buis acheté dans le village. Il les a encore et me dit que chaque fois qu’il les utilise lui revient souvenir de cette belle semaine.

L’avant dernier jour mon père dont la souplesse de jambe tout de même n’est plus à toute épreuve s’est fait mal en glissant sur un rocher humide. Il ne participe pas à la dernière randonnée mais il vient avec nous cependant jusqu’à notre point de départ, légèrement claudiquant et s’installe sur un rocher à l’ombre un peu au-dessus du rio. On aperçoit des aigles qui tournoient dans le ciel. Nous nous éloignons, il est convenu qu’on le retrouve ici en fin d’après-midi. Il passe la journée là, à lire et rêver, il me dira ensuite avoir gardé de cette journée solitaire et malgré sa blessure un souvenir particulièrement merveilleux.

C’est peu de dire qu’il aura été heureux de partager cette semaine avec son fils et son petit fils. Mon garçon aussi est tout fier d’avoir ainsi participé pour la première fois à une activité de « grands », et spécialement de l’avoir fait avec son grand père qu’il admire beaucoup. Quant à moi, comment ne serais-je pas ravi d’être ce point d’union, ce maillon entre générations, de me sentir au cours de ces journées, du matin au soir et du soir au matin, à ma place dans le grand flux de la vie.

jeudi 10 mai 2007

1996: Rien

Comme Louis XVI le jour de la prise de la Bastille marquerais-je d’un « rien » mon année 1996 ?

Franchement je ne trouve rien à dire. C’est ennuyeux de ne pas avoir le journal, prothèse de la mémoire, qui permettrait de faire ressurgir un petit événement, une simple anecdote dont on pourrait tirer une certaine signification. Je regarde mes photos de l’année. Rien non plus. Les visages, les mêmes visages, un tout petit peu plus jeunes, les enfants plus enfantins, les vacances ici et là dans le cadre familial, un voyage à l’étranger comme (presque) chaque année. Cette année là c’était la Toscane. Pendant les vacances de Pâques nous avions loué un gîte dans les collines à une demi heure de route de Florence, c’est un bon souvenir, la campagne, la nature et puis quelques journées plus intensives dans les villes et les musées, c’était un bon équilibre qui a convenu aux enfants comme à nous.

Je cherche, je cherche, non, rien à remémorer …

Rien ? Non pas rien naturellement, mais la vie qui s’écoule, simplement, en suivant son fil sans à-coup, installée dans ses régularités et ses routines, avec ses moments plutôt joyeux et ses moments tristes, avec ses moments toniques et ses moments éteints…

Un long fleuve tranquille, vous disais-je !

vendredi 4 mai 2007

1997: Hong-Kong

En novembre 1996 une personne que j’ai connu comme chef d’établissement à Paris me contacte depuis Hong-Kong et me propose de venir faire des prestations au lycée français de cette ville dont il est devenu proviseur. Inutile de dire que je n’hésite pas longtemps même si cela doit se substituer à mes vacances de printemps.

Il y a l’attrait du voyage bien sûr. Mais au-delà ce qui me fait plaisir c’est la reconnaissance professionnelle dont atteste cette proposition. Je me sens investi d’une certaine importance. Me voir confier une mission à l’étranger ! Se dire que quelqu'un, qui n’était nullement un ami a apprécié ma façon de travailler et considéré qu’il valait la peine de me payer voyage et séjour et de me rémunérer ! ça me fait plaisir et j’en ai même une certaine fierté. Ça peu paraître un peu enfantin cette réaction, signe d’immaturité, d’une image de soi professionnel insuffisamment affirmée, n’empêche c’est ce que j’ai ressenti. Pour moi fonctionnaire qui n’ai de feed-back que dans les mots ou par les appréciations de notes administratives langue de bois, il y a une signification symbolique à être payé pour moi-même, pour un acte professionnel précis que l’on a choisi de me confier à moi et non à un autre.

J’irai trois ans de suite à Honk-Kong associant travail à haute dose et découverte d’un monde qui m’était inconnu. La troisième année j’y suis allé avec Constance et nous avons prolongé par une semaine de voyage en Chine du Sud.

Des images me remontent et je choisis d’en épingler quelques unes parmi beaucoup d’autres :

Me voici le premier jour encore tout azimuté de décalage horaire je plonge mon regard des fenêtres élevées de mon hôtel sur la circulation intense du port et sur le « convention center » en construction où dans quelques mois doivent avoir lieu les cérémonies de la rétrocession à la Chine.



Je me vois un matin, très tôt, en allant rejoindre le bus qui me monte au lycée, je traverse un parc, au milieu de vieille personnes pratiquant, comme hors du temps, leur tai-chi matinal.

Me promenant dans les quartiers modernes je lève les yeux et m’enthousiasme pour les lignes et les formes que dessinent au-dessus de moi de superbes immeubles de verre et d’acier. Je glisse avec la foule le long des successions de passerelles piétonnes et d’escaliers mécaniques qui me mènent sur les pentes du piton rocheux qui domine l’île.

Me voici dans un vieux quartier très animé, m’asseyant un long moment au fond d’un petit temple planté dans une ruelle, observant les allées et venues de visiteurs de tous âges et de toutes conditions, respirant les odeurs lourdes des encens qu’ils viennent brûler.

Je fais la queue pour prendre les vieux star-ferry qui font la noria entre Hong-Kong et Kowloon, observant les flux pressés qui se croisent, m’étonnant du nombre de personnes que je vois accrochées à leur téléphones portables à une époque où ils commençaient à peine à apparaître en France.

Dans l’île de Lantau, après avoir visité le temple je m’engage seul sur le chemin de randonnée pédestre qui monte vers le pic, le ciel est chargé, des bancs de nuages s’accrochent au sommet, la végétation et la nature tropicale ont repris tous leurs droits, je me sens exalté mais vaguement inquiet tout de même et par peur de m’égarer je rebrousse chemin assez vite.

Le lendemain, dernier jour avant mon départ, me voici faisant le tour d’une petite île proche où se trouve un vaste cimetière sur fond de mer de Chine, il y a foule, c’est un jour de célébration des morts. Je me promène au milieu des familles venues partager leurs agapes avec leurs ancêtres et qui piquent-niquent joyeusement auprès des tombes et je trouve cela beau.

Honk-Kong c’est déjà la Chine quoiqu’on dise souvent. La part de culture anglo-saxonne et de mondialisation capitaliste est très voyante, c’est celle des élites, de ceux qui régissent le développement économique mais elle reste superficielle. Des spécialistes de feng-sui sont consultés par les architectes au moment de la construction des immeubles, les pharmacopées traditionnelles sont utilisés par tous, les seuils des maisons et le fond de chaque boutique, 90% de la population ne parle pas anglais, y compris parmi les chauffeurs de bus ou de taxi. Et dès que l’on sort de la ville, qu’on va sur les autres îles ou dans les nouveaux territoires c’est encore plus net. Je me sens vraiment loin de chez moi, éloigné de mes repères et pour autant je me sens très bien. Je me dis que décidément j’aime les voyages.

A la cantine du lycée j’ai l’occasion de parler longuement avec les personnels qui sont en poste ici, qui évoquent leur vie d’expatriés, ces rapports un peu étrange aux sociétés dans lesquels ils sont, à la fois dedans-dehors, l’ouverture sur le monde que cela leur offre, leurs rencontres, leurs voyages. Il me font rêver en me parlant de leur regroupement de formation continue qui chaque année se font aux frais de la princesse aux quatre coins de l’Asie (enfin qui se faisaient, j’imagine qu’avec le développement d’internet et le resserrement des crédits ce genre de stages doivent être moins fréquents !)

Ça me fait gamberger. Je m’y verrais bien. Et rétrospectivement je ricoche bien plus loin dans le passé. A la fin de ma formation, il m’a fallu déposer des vœux sur les postes vacants. J’avais le choix entre autres deux possibilités : la Réunion et un poste en proche banlieue parisienne. J’étais libre pourtant à l’époque sans attaches familiales, sans attaches sentimentales sérieuses. Il fallait rendre le document pour cinq heures. A cinq heures moins cinq, j’étais le dernier à ne pas avoir déposé mon dossier, incapable de me décider, ma main hésitait, passant d’une case à l’autre. Finalement j’avais coché juste à l’heure fatidique : la proche banlieue !

Je ne me suis pas éloigné de la maison des pères !

samedi 21 avril 2007

1998: Une longue route tranquille...

Je cherche sur quoi ricocher en 1998. Rien ne se présente spontanément. Je jette un œil sur les quelques notes que j’ai écrites et conservées en prélude à la reprise de mon journal. Je feuillette l’album photo de l’année. On est plus jeunes. Ça oui ! Un écart de près de dix ans, ça se voit. Il y a nos visages qui sont plus lisses, les enfants qui sont encore des enfants. Taupin, qui n’en est pas un, a quinze ans, Bilbo - ah, comme il fait petit garçon – en a dix. Ils ont l’air réjouis sur toutes ces photos. Ils le sont. Ce ne sont pas des photos masques.

Est-ce que ce serait l’occasion d’un ricochet léger, d’une anecdote gentille sur le bonheur familial ? Ce voyage en Irlande par exemple dont les photos défilent devant moi…

Nous voici pique-niquant au bord d’une petite route. Les deux gars étaient fanatiques de jeu d’échec en ces années là. Ils sortaient l’échiquier à la moindre occasion. Les voici jouant devant un paysage superbe que sans doute, pendant le même temps, nous contemplons. Dans leurs regards passent la tension de leur affrontement mais aussi la force et la tendresse de leur complicité qui ne s’est jamais démentie. J’aime cette photo.

Les voici encore, radieux, sur celle-ci, dans la voiture, agitant par la fenêtre, leurs écharpes aux couleurs des Bleus. C’était au lendemain d’une certaine finale de Coupe du Monde. Quand nous avions préparé notre voyage, ils avaient tenté de nous faire retarder notre départ : « vous vous rendez compte, les parents, si on était en finale, ça serait pas possible qu’on ne soit pas à Paris… ». Nous avions doucement rigolé. Et ce jour là de fait nous faisions étape au Pays de Galles, dans un délicieux « bed and breakfast » tout ce qu’il y a de plus british, grande maison sur sa colline, chambre spacieuse donnant sur la campagne, le salon très cosy où les propriétaires - de vieilles personnes très distinguées - et les hôtes de passage se retrouvent, la télévision qui retransmet le match, les buts et un, et deux et trois zéro, les garçons tentant de modérer leur manifestations d’enthousiasme puis n’y tenant plus et sortant faire plusieurs fois le tour de la maison en criant et en chantant comme s’ils étaient au milieu d’une troupe de supporters.

Il y a cela oui cette année là. Mais dans mes notes aussi je retrouve celle-ci, évoquant une soirée où j’attendais très tardivement le retour de Constance. Je savais qu’elle était chez son collègue et ami G. Je supputais à propos de ce qu’il pouvait y avoir derrière ces « entretiens » très prolongés. J’ai su un peu plus tard de façon irrécusable. Je n’ai pas dit que je savais. Je n’ai pas su si elle savait que je savais. Je me disais juste : « ce n’est pas bien important, nous verrons si ça le devient ». De fait ça s’est éteint au bout de quelques mois. Passé par pertes et profits ! Rajoutant une couche de silence ! Silence au prétexte d’une idéologie du respect absolu de la liberté de l’autre, d’un refus de la jalousie, en réalité, je n’en ai pris conscience que récemment, par peur de la parole et du changement qu’elle pouvait induire. Silence laissant passer l’occasion d’une réévaluation de notre couple qui eut été salutaire sans doute où qu’elle nous ait conduit. Silence nous permettant de continuer ainsi, sans même une embardée, notre longue route tranquille…

C’est ainsi que je vois ma vie en effet, une longue route tranquille. Je la confronte à d’autres cheminements plus chaotiques, de personnes que je connais dans mes cercles amicaux, de personnes que je découvre en les lisant sur leurs blogs ou dans ces ricochets, je la confronte à ces chemins faits de grandes douleurs, de ruptures, de bifurcations mais aussi de nouveaux départs, d’énergie et de volonté de se remettre en cause et d’avancer...

Ma route tranquille, je ne peux m’empêcher très souvent d’en faire la route grise, la route morne, la route lâche. De façon un peu absurde. Car il n’y a pas à regretter pas plus qu’il n’y à comparer, à évaluer. Certains sans doute diraient qu’on a les vies qu’on devait avoir, qu’elles ne sont pas de hasards. Peut-être. Je ne sais pas. Je sais seulement que quand j’évoque cette route je ne dois jamais oublier d’y mettre aussi ces images lumineuses qui la bordent, celles par lesquelles j’ai commencé cette évocation, celles des moments de bonheur tranquille, des moments nombreux qui sont advenus et qui adviennent.

lundi 9 avril 2007

Ricocherai-je encore?

Je pars demain matin pour une dizaine de jours dans la région toulousaine, dans la « maison de famille » comme on dit. Voyage très famille d’ailleurs. On emmène mon père. Le fiston va venir nous rejoindre pendant quelques jours avec un copain. Ma belle-mère aussi peut-être.

Ce sera l’occasion en tout cas d’une coupure d’internet, d’un éloignement du blogo-monde (mais pas de toutes ses personnes d’ailleurs, je me détacherai une journée du cercle familial pour aller rencontrer quelques blogami(e)s de la région). Disons que je mettrai à distance ma blogovie dans sa quotidienneté avec les pressions qu’elle comporte : aller lire, aller écrire, éventuellement aller commenter. C’est très salutaire d’avoir de temps à autre ces moments de coupure.

Or je pars sans avoir de ricochets d’avance. Je ne pourrais donc pas les déposer avant mon départ pour qu’ils soient mis en ligne, au jour que je m’étais fixé, chaque jeudi. Il faudra attendre. Mais les écrirai-je même ? Les relancerai-je si je perds le fil de cette régularité que je m’étais imposée ?

C’est qu’ils ne sont pas faciles ces ricochets ! Je ne suis pas sûr qu’ils me fassent du bien. Je n’arrive pas à être dans une approche légère, ludique, dans la simple chasse aux souvenirs, dans le pur plaisir des surgissements et des évocations. Je ne peux m’empêcher de faire travailler le souvenir dans mon présent, d’analyser ce qu’il me renvoie de mes choix ou plutôt de mes pentes de vie et donc passent des ombres qui viennent réactiver des regrets, des échecs, des impuissances, qui les ramènent à moi non comme des difficultés surmontées mais comme des récurrences et des permanences.

Je pourrais essayer de ricocher différemment. Dans l’autre sens c’est sûrement plus facile. Il me semble que j’arriverai mieux à me faire plaisir dans l’évocation des souvenirs d’enfance. Non qu’ils soient tous toujours roses. Mais en tout cas ils sont plus à distance, ils ne s’articulent pas de la même façon avec mon présent. Je pourrais imaginer de tenir les deux bouts, continuer de descendre mais aussi commencer à monter, prendre des respirations du chemin descendant grâce au chemin montant (ce serait amusant d’ailleurs de voir sur quelle année la tenaille se refermerait, les chemins se rejoindraient).

Ou bien je pourrais renoncer complètement à la contrainte des chemins, lancer des cailloux erratiques, évoquer les années quand l’envie m’en vient en dehors de toute chronologie suivie. J’ai une année prête déjà d’ailleurs, 1961, c’est la première que j’ai écrite parce que c’était le moment où en étaient nos dames initiatrices lorsque j’ai commencé, une année proche de leur naissance, et j’avais eu envie de ricocher par rapport à elles.

Je pourrais arrêter aussi tout simplement. Il n’y a aucune obligation, je n’ai pas signé de contrat, n’est-ce pas, et je n’ai non plus aucune obligation morale vis à vis de quiconque. Je n’en ai pas d’autre que celle que je me mets à moi-même. C’est une tendance que j’ai souvent ça, me créer des obligations. Comme si il n’y en avait pas assez qui nous sont imposées de l’extérieur ! Lorsque je commence quelquechose j’aime bien aller au bout. Ce qui part d’un bon principe – ne pas renoncer à la première difficulté – mais qui ne doit pas être poussé trop loin, il ne faut pas que ça se transforme en acharnement par refus obtus de remise en cause ou par orgueil.

Le but de mon écriture c’est aussi, c’est d’abord, du moins ce devrait être d’abord, de me faire du bien : par le plaisir d’écrire, par le plaisir de transmettre, par le plaisir d’échanger et de me créer des ouvertures nouvelles au monde. Je sais aussi que j’ai beaucoup de plaisir dans l’écriture fictionnelle. Or j’ai un projet de récit, un peu plus qu’une nouvelle, un peu moins qu’un roman auquel je pense depuis pas mal de temps maintenant. Peut-être que cette écriture qui parlerait de moi tout en m’en éloignant serait bienvenue désormais plutôt que de m’acharner à ces ricochets…

Je vais pouvoir laisser mûrir tout ça en étant un peu à distance pendant ces vacances. Peut-être que je vais produire quelques ricochets ou peut-être pas. Nous verrons…

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