Je triche un peu sur les dates. A la fois parce que rien ne s’impose de l’année 1993 et parce que j’avais envie de parler de ce voyage effectué en réalité pendant l’été 1994 qui est un souvenir lumineux mais qui l’est aussi peut-être parce qu’au même moment s’écrivaient les «Traces ». Il constitue donc une sorte de contrepoint à mon précédent ricochet, il est une autre façon de parler des années 1993-1994.

C’était un de ses voyages avec Terre d’Aventures ou d’autres voyagistes du même style dont nous sommes relativement coutumiers dans lequel la découverte d’un lieu s’effectue essentiellement au travers des randonnées à pied d’un caractère plus ou moins sportif selon les cas. Le terme « d’aventures » est naturellement très excessif, ce sont des voyages très encadrés et sécurisés, nous restons dans notre bulle d’occidentaux même si nous allons dans des villages retirés et même s’il y a quelques contacts avec la population locale. Cela reste du tourisme mais c’en est une des formes les plus acceptables.

Il s’agissait cette fois d’une traversée nord-sud de l’Atlas marocain. Celui-ci est constitué de plusieurs chaînons est-ouest que l’on franchit successivement, passant des crêtes pour redescendre dans des vallées encaissées avant de réattaquer la montée vers de nouvelles crêtes, certaines culminant à plus de 3000. Il y a une spectaculaire modification des paysages à mesure que l’on progresse vers le sud, aux zones très vertes, largement couvertes de forêts du nord, succèdent des paysages de plus en plus arides, de plus en plus minéraux, ce voyage c’est aussi une lente et progressive approche du désert, auquel on pourrait presque trouver quelque chose d’initiatique.

J’ai des souvenirs de ce voyage bien plus forts que de bien d’autres. C’est que je l’ai vécu souvent dans l’exaltation, des moments très précis, des images m’en restent avec une étonnante présence, bien au-delà de ce qu’on fait ressortir habituellement de voyages passés en feuilletant nos albums photos. Cela tient sans doute à ce que ces moments intenses je les ai mis en mots. Ce n’est pas une relation continue de voyage, ce sont plutôt des images accrochées, sous forme de brefs poèmes, des sortes de haïkus dans l’esprit en tout cas même s’ils n’en respectent pas la forme. Ce sont des mots surgis sur le motif, roulés dans ma tête en marchant, gribouillés sur un petit carnet à la halte méridienne ou le soir au bivouac. Ils ont contribué à imprimer durablement en moi les images, je n’ai pas besoin d’aller les relire pour ressentir de tous mes sens quelques uns de ces moments vécus, des images mais aussi des sons, des odeurs, des goûts, des sensations corporelles. Ainsi la fraîcheur et la sensation astringente à la bouche de fruits offerts par des gamins sur le chemin. Ou cette âcre et vive odeur d’armoise exaltée par le lever du jour, lorsque nous grimpions en fin de nuit vers un sommet que nous voulions atteindre à l’aube. Ou bien encore lorsque nous marchions au fond d’un oued entre de hautes parois, le vacarme de l’eau bondissante réverbéré par les roches, la morsure de l’eau froide sur les mollets, la tête tournant de tout ce bruit et tout ce mouvement...

Si j’ai écrit sur ce registre, si j’ai approfondi et fait s’inscrire dans la durée ces beaux moments c’est aussi parce que dans le même année j’avais trouvé le sens et le goût d’écrire à travers mon expérience bien plus difficile, bien plus sombre de l’écriture de « Traces », c’est en quelque sorte « le côté lumineux de la force » et c’est justice de le dire pour marquer ce que m’a apporté de positif cette réexpérimentation de l’écriture.

Je n’ai pas besoin de relire disais-je. Mais j’ai relu aussi à l’occasion de ce ricochet. Et j’y ai repris plaisir. Et j’y ai réactivé encore plus le souvenir. Alors ces mots qui pourtant valent surtout pour moi, par l’association avec les sensations même ramenées à ma conscience, j’ai eu envie de les mettre en ligne, me disant que certains peut-être prendraient plaisir à les lire. Vous pouvez les trouver ici , sur mon autre site où je mets de temps à autres quelques écritures diverses, nouvelles ou fragments.

Une façon de les faire ricocher dans le présent.