En novembre 1996 une personne que j’ai connu comme chef d’établissement à Paris me contacte depuis Hong-Kong et me propose de venir faire des prestations au lycée français de cette ville dont il est devenu proviseur. Inutile de dire que je n’hésite pas longtemps même si cela doit se substituer à mes vacances de printemps.

Il y a l’attrait du voyage bien sûr. Mais au-delà ce qui me fait plaisir c’est la reconnaissance professionnelle dont atteste cette proposition. Je me sens investi d’une certaine importance. Me voir confier une mission à l’étranger ! Se dire que quelqu'un, qui n’était nullement un ami a apprécié ma façon de travailler et considéré qu’il valait la peine de me payer voyage et séjour et de me rémunérer ! ça me fait plaisir et j’en ai même une certaine fierté. Ça peu paraître un peu enfantin cette réaction, signe d’immaturité, d’une image de soi professionnel insuffisamment affirmée, n’empêche c’est ce que j’ai ressenti. Pour moi fonctionnaire qui n’ai de feed-back que dans les mots ou par les appréciations de notes administratives langue de bois, il y a une signification symbolique à être payé pour moi-même, pour un acte professionnel précis que l’on a choisi de me confier à moi et non à un autre.

J’irai trois ans de suite à Honk-Kong associant travail à haute dose et découverte d’un monde qui m’était inconnu. La troisième année j’y suis allé avec Constance et nous avons prolongé par une semaine de voyage en Chine du Sud.

Des images me remontent et je choisis d’en épingler quelques unes parmi beaucoup d’autres :

Me voici le premier jour encore tout azimuté de décalage horaire je plonge mon regard des fenêtres élevées de mon hôtel sur la circulation intense du port et sur le « convention center » en construction où dans quelques mois doivent avoir lieu les cérémonies de la rétrocession à la Chine.



Je me vois un matin, très tôt, en allant rejoindre le bus qui me monte au lycée, je traverse un parc, au milieu de vieille personnes pratiquant, comme hors du temps, leur tai-chi matinal.

Me promenant dans les quartiers modernes je lève les yeux et m’enthousiasme pour les lignes et les formes que dessinent au-dessus de moi de superbes immeubles de verre et d’acier. Je glisse avec la foule le long des successions de passerelles piétonnes et d’escaliers mécaniques qui me mènent sur les pentes du piton rocheux qui domine l’île.

Me voici dans un vieux quartier très animé, m’asseyant un long moment au fond d’un petit temple planté dans une ruelle, observant les allées et venues de visiteurs de tous âges et de toutes conditions, respirant les odeurs lourdes des encens qu’ils viennent brûler.

Je fais la queue pour prendre les vieux star-ferry qui font la noria entre Hong-Kong et Kowloon, observant les flux pressés qui se croisent, m’étonnant du nombre de personnes que je vois accrochées à leur téléphones portables à une époque où ils commençaient à peine à apparaître en France.

Dans l’île de Lantau, après avoir visité le temple je m’engage seul sur le chemin de randonnée pédestre qui monte vers le pic, le ciel est chargé, des bancs de nuages s’accrochent au sommet, la végétation et la nature tropicale ont repris tous leurs droits, je me sens exalté mais vaguement inquiet tout de même et par peur de m’égarer je rebrousse chemin assez vite.

Le lendemain, dernier jour avant mon départ, me voici faisant le tour d’une petite île proche où se trouve un vaste cimetière sur fond de mer de Chine, il y a foule, c’est un jour de célébration des morts. Je me promène au milieu des familles venues partager leurs agapes avec leurs ancêtres et qui piquent-niquent joyeusement auprès des tombes et je trouve cela beau.

Honk-Kong c’est déjà la Chine quoiqu’on dise souvent. La part de culture anglo-saxonne et de mondialisation capitaliste est très voyante, c’est celle des élites, de ceux qui régissent le développement économique mais elle reste superficielle. Des spécialistes de feng-sui sont consultés par les architectes au moment de la construction des immeubles, les pharmacopées traditionnelles sont utilisés par tous, les seuils des maisons et le fond de chaque boutique, 90% de la population ne parle pas anglais, y compris parmi les chauffeurs de bus ou de taxi. Et dès que l’on sort de la ville, qu’on va sur les autres îles ou dans les nouveaux territoires c’est encore plus net. Je me sens vraiment loin de chez moi, éloigné de mes repères et pour autant je me sens très bien. Je me dis que décidément j’aime les voyages.

A la cantine du lycée j’ai l’occasion de parler longuement avec les personnels qui sont en poste ici, qui évoquent leur vie d’expatriés, ces rapports un peu étrange aux sociétés dans lesquels ils sont, à la fois dedans-dehors, l’ouverture sur le monde que cela leur offre, leurs rencontres, leurs voyages. Il me font rêver en me parlant de leur regroupement de formation continue qui chaque année se font aux frais de la princesse aux quatre coins de l’Asie (enfin qui se faisaient, j’imagine qu’avec le développement d’internet et le resserrement des crédits ce genre de stages doivent être moins fréquents !)

Ça me fait gamberger. Je m’y verrais bien. Et rétrospectivement je ricoche bien plus loin dans le passé. A la fin de ma formation, il m’a fallu déposer des vœux sur les postes vacants. J’avais le choix entre autres deux possibilités : la Réunion et un poste en proche banlieue parisienne. J’étais libre pourtant à l’époque sans attaches familiales, sans attaches sentimentales sérieuses. Il fallait rendre le document pour cinq heures. A cinq heures moins cinq, j’étais le dernier à ne pas avoir déposé mon dossier, incapable de me décider, ma main hésitait, passant d’une case à l’autre. Finalement j’avais coché juste à l’heure fatidique : la proche banlieue !

Je ne me suis pas éloigné de la maison des pères !