Nous avions retrouvé le groupe en gare de Tarbes sous une pluie battante. Le minibus a embarqué toute la troupe, nous avons franchi les Pyrénées dans la foulée, roulé encore deux bonnes heures sous un ciel espagnol déjà plus clément avant d’arriver à notre base, une ancienne bergerie à la sortie du village de Rodellar dans la sierra de Guara d’où nous allons pendant une semaine pratiquer un stage d’initiation au canyoning.

Dans ce groupe il y a moi, il y a mon fils de 12 ans qui est, mais d’assez peu, le plus jeune des participants et puis il y a mon père qui est lui et de loin le doyen du groupe.

J’avais eu envie de cette activité pour changer de nos traditionnelles randonnées estivales. Ce projet avait séduit mon fils bien plus qu’une simple marche mais il ne disait rien par contre à Constance. Mon père, lui, toujours avide de découvertes et d’occasions de pratiquer des activités un peu physiques qu’il n’avait aucune chance d’effectuer avec ma mère pas sportive pour un sou, avait proposé de se joindre à nous.

Et c’est ainsi que nous nous étions inscrits, attelage un peu atypique pour ce genre d’activités, trois hommes, un fils, un père et un grand père.

Le premier après-midi c’est l’apprentissage technique, nous faisons de premières trempettes dans des eaux tranquilles pour apprendre à évoluer engoncé dans les combinaisons serrées puis on nous montre quelques techniques simples d’évolution sur des falaises. Ainsi mon fils, mais mon père aussi, font une descente en rappel pour la première fois de leur vie. Il faut le voir, le grand-père, un peu tendu au moment de se laisser partir en arrière depuis la falaise puis une fois en bas, rayonnant, joyeux comme un gosse, avide de recommencer !

On se sent gamins les uns autant que les autres.

Quel bonheur d’être gamins ensemble.

On profite à plein du caractère ludique du canyoning : Le plaisir de se laisser glisser au fil de l’eau ou de nager dans de vastes piscines naturelles puis de se faire secouer dans des passages plus mouvementés. celui des douches sous les cascades et celui des sauts de plus ou moins hauts dans des piscines profondes entre les rochers, le délicieux pincement d’anxiété au moment de s’enfoncer dans un goulet étroit pour passer un siphon, le contraste entre la fraîcheur des « oscuros », les fonds de canyon où le soleil n’atteint jamais et la chaleur lorsqu’on sort des zones étroites, la douceur des haltes sur les berges dans des zones plus ouvertes pour des piques-niques bucoliques loin de tout…

Un soir nous fêtons les soixante-dix ans de mon père dans une ferme où était organisé pour ceux qui le souhaitaient un repas local traditionnel. Je lui offre un cadeau modeste, une paire de jolis couverts à salade en buis acheté dans le village. Il les a encore et me dit que chaque fois qu’il les utilise lui revient souvenir de cette belle semaine.

L’avant dernier jour mon père dont la souplesse de jambe tout de même n’est plus à toute épreuve s’est fait mal en glissant sur un rocher humide. Il ne participe pas à la dernière randonnée mais il vient avec nous cependant jusqu’à notre point de départ, légèrement claudiquant et s’installe sur un rocher à l’ombre un peu au-dessus du rio. On aperçoit des aigles qui tournoient dans le ciel. Nous nous éloignons, il est convenu qu’on le retrouve ici en fin d’après-midi. Il passe la journée là, à lire et rêver, il me dira ensuite avoir gardé de cette journée solitaire et malgré sa blessure un souvenir particulièrement merveilleux.

C’est peu de dire qu’il aura été heureux de partager cette semaine avec son fils et son petit fils. Mon garçon aussi est tout fier d’avoir ainsi participé pour la première fois à une activité de « grands », et spécialement de l’avoir fait avec son grand père qu’il admire beaucoup. Quant à moi, comment ne serais-je pas ravi d’être ce point d’union, ce maillon entre générations, de me sentir au cours de ces journées, du matin au soir et du soir au matin, à ma place dans le grand flux de la vie.