samedi 5 mai 2007

1992, 5 ans : patchworks

A cinq ans, c'est la 3ème maternelle, si je m'en souviens bien. Aussi étonnant que cela puisse paraître, j'en ai gardé quelques souvenirs.

Celui de regarder une pince à linge qui tenait un dessin, à l'école, en me disant qu'il y avait sans doute des poux dessus (on m'avait raconté une histoire qui s'appellait Rendez-moi mes poux!, et je crois qu'il y en a eu à l'école à cette période)
Celui de truquer les tabourets de la cuisine pour faire des farces à qui voudrait s'asseoir dessus.
Celui de continuer à aller manger du riz au ketchup chez Louis.
Celui de Nanette, ma grand-mère chérie, qui voulait bien qu'on aille finir nos nuits dans son lit même si je ne suis pas sure que les parents aient toujours été très d'accord.
Celui de jouer à l'élastique avec des "grandes" dans la cour parce que je m'ennuyais avec les enfants de mon âge.
Celui de faire de mon GrosNounours un dessin mémorable rose et bleu immonde mais que j'adore encore.
Celui de Nanette qui me demandait conseil pour ses patchworks et de papa qui me demandait conseil pour ses cravates ("Non celle-là elle va pas avec ta chemise, papa!")
Celui d'un parfum de maîtresse, que j'ai retrouvé sur une femme dans la rue il y a quelques années. Mais quelle maîtresse? Etait-ce cette année-là?
Celui d'un bisou à Nicolas, que j'aimais encore.
Celui de l'escalade des bambous du fond du jardin avec ma soeur aînée, pour épier ce qu'il se passait (en l'occurence, rien) dans le jardin des voisins.
Celui de mon papa écrivant à son bureau, me donnant l'impression qu'il ne faisait sur le papier que des traits sans formes. Je me disais que dans les livres, c'est quand même plus joli.
Celui du peintre, un ami des parents, qui est venu faire une fresque magnifique dans la cage d'escalier. Après avoir vendu la maison, la première chose qu'ont fait les nouveaux propriétaires a été de tout repeindre en blanc cassé. C'était un paysage de campagne avec un petit ruisseau que je passais des heures à regarder couler le long des marches.
Celui de ma maman qui avait un gros ventre, sur lequel on avait le droit de poser sa tête ou sa main pour sentir le bébé Capucine bouger. Elle était allongée sur son lit, à l'ombre, un peu fatiguée, et attendait qu'on vienne lui faire son bisou du soir...

mercredi 18 avril 2007

1991, 4 ans : et un bras, un!

( Pour AnneTanteSarah (cf billet précédent), j'ai eu une illumination idéesque venue du fin-fond de ma fatigue : mon père a perdu une de ses soeurs, qui s'est noyée à 16 ans alors que mon grand-père tentait de manoeuvrer le bateau pour rentrer dans le port d'Arcachon, un jour de grosse mer. Je ne l'ai pas connue, elle s'appellait Caroline. Comme me l'a fait remarquer ma mère il y a peu, dans la famille, personne n'a jamais parlé de la mort de Caroline, mais de l'accident de Caroline. La différence est énorme, en fait. La partie "tante" doit certainement venir de là. Je me souviens effectivement de l'omni-présence douloureuse de cette blondinette irréelle que ma grand-mère a revu en ma petite soeur Capucine, dès le jour de sa naissance... même si elle n'a jamais voulu l'avouer. )

La seule chose qui me revient de mes quatre ans est cette image : je suis dans la cour de récré des maternelles à l'école Ste Monique, un foulard jaunasse très moche autour du cou avec de la mousse dedans et qui me tient chaud dans la nuque, mais j'ai pas le droit de l'enlever. Je me suis cassé le bras droit. Le plâtre me tient très chaud aussi, mais je n'ai pas le choix, et puis comme Nicolas m'aime quand même, je m'en fiche. Cet après-midi là, il faisait chaud, et j'ai couru vers Nicolas pour lui faire un bisou.

(Je me suis cassée le bras en tombant du toboggan dans le parc. Une margelle en béton passait dessous, en faisant une limite entre le gazon et les graviers, et, en voulant monter le toboggan à l'envers, je suis tombée sur mon bras. Lui-même ayant atterri à cheval sur la margelle... CRAC.)

Cette année-là, j'ai appris à faire du vélo. Comme ma soeur Florence avait six ans, elle apprennait, et comme je voulais faire comme elle, j'apprennais aussi, mais avec deux ans d'avance.

On commence à faire des "échanges" avec les C (la famille de Louis, cité dans mon 3eme ricochet). Des "échanges", ça veut dire que chaque semaine, une famille va chercher tous les mômes à l'école le mardi, les fait manger et les ramène, et le jeudi, c'est l'autre famille qui s'y colle. En gros, toutes les semaines pendant un bon bout de temps, on s'est tapées à aller ches les C. Moi j'aimais bien Louis mais j'aimais pas ses frères. Ils m'appellaient Mario pour m'embêter parce que j'étais un garçon manqué et qu'ils savaient que j'avais HORREUR de ça. Et ils mettaient 3 tonnes de ketchup dans tout ce qu'ils mangeaient, nouilles comme purée et parfois même dans les yaourts. C'était dégueulasse.

En fin d'année, Louis et moi on divorce. Enfin je divorce. Il fait encore pipi au lit et c'est sale, en plus il sent pas très bon et il suce encore son pouce et... voilà. Je lui ai dit "écoute mon biquet, too much c'est too much, mmmh? Vu? Allez débarrasse le plancher, va traire tes vaches, file de là cochon, etc etc". Non en fait j'ai écrit ça parce que je ne me souviens plus très bien, et que ça fait un peu peur de pas se souvenir.

mercredi 28 mars 2007

1990, 3 ans : les amours

Je suis ravie d'aller à l'école. Du moins au début.

Je fais la connaissance de mon grand pote Nicolas B. Je m'entends très bien avec lui, en plus il est beau et bronzé, alors c'est super. Je fais aussi la connaissance de Louis, avec qui je m'amuse beaucoup. C'est mon amoureux, et nos multiples après-midi de jeux ont tôt fait de m'apprendre la physionomie masculine. Bah oui, on jouait au docteur quoi. Mais je l'ai vite plaqué, parce que je n'aimais pas son odeur quand il avait son pouce dans sa bouche, il avait aussi l'index dans sa narine droite et le majeur dans la gauche. J'ai jamais compris comment il arrivait à respirer. En plus il faisait encore pipi au lit alors c'était sale. (rien à voir avec son odeur, je précise...)

Mon parrain Thomas demande à mes parents ce qu'il pourrait m'offrir pour mon anniversaire. Ils se fixent sur une peluche, parce que je n'en ai pas beaucoup, et que j'en ai très envie. Il arrive donc, une semaine plus tard, avec un énoooooooorme ours en peluche bleu et rose, sur les pattes duquel je peux m'asseoir parce qu'elles sont pile poil à la bonne hauteur pour mes fesses. Je lui fais plein de câlins, mais dès que la nuit tombe, son ombre dessine une forme effrayante sur le mur qui m'empêche de sombrer tout de suite dans le sommeil malgré la fatigue. Je l'ai gardé très longtemps, et mes parents ont pardonné mon parrain après une semaine. Je garde de "mon gros nounous" (devenu Mongronounours assez vite) un souvenir ému et doux.

Je me suis inventée une amie, que j'ai appelé Anne tante Sarah, allez savoir pourquoi. Pour Anne, j'aimais le prénom, Sarah aussi, sans doute, et pour le "tante" du milieu, j'avoue n'avoir aucune piste plausible. C'était comme une poupée que j'emmenais partout avec moi, qui parlait mais qui ne me contredisait jamais (!). Elle pouvait parler aux autres, mais ils ne l'entendaient pas, j'étais obligée de traduire. Mais le plus souvent, c'est à moi qu'elle parlait. Quand on montait dans la voiture, il fallait attendre que AnnetanteSarah ait fini de grimper (elle était petite et avait parfois du mal) avant de refermer la portière, sinon gare aux oreilles. Ce n'était pas, du moins tel que je m'en souviens, un prétexte à caprices, juste une amie imaginaire qui m'a suivit pendant un ou deux ans. Je ne m'en souviens plus trop. Quelques flashs...

mercredi 21 mars 2007

1989, 2 ans. En noir et blanc

'A y'est ! Je marche, et même plutôt bien.

Je continue de passer pour un garçon dans la rue... et mes cordes vocales me viennent bel et bien du côté paternel. Leur force et leur résistance épate du monde. Je chante pour m'endormir, je me marre pour beaucoup de choses, je dors un peu, et le reste du temps... je crie !

Les parents nous baladent, Florence et moi, d'une fête à une autre, le lit dans une chambre à l'étage ou calé dans le coffre de la voiture quand vraiment c'est pas possible. La sono ne nous empêche pas de dormir, les parents sont ravis. Quand ils le peuvent, ils nous laissent à la maison avec une baby-sitter. Ils le font de plus en plus, même. Maman n'est pas beaucoup là, ses études de médecine l'envoient souvent loin et longtemps. Florence m'en a souvent parlé, mais je n'en ai gardé aucun souvenir. D'aucune baby-sitter, d'aucune soirée, de rien. Il me semble avoir changé de chambre cette année-là : j'ai eu la mienne propre. Ca fichait la trouille et j'en pleurais souvent, mais j'ai fini par m'y faire. Enfin, je suppose.

Je me rapelle d'une photo en noir et blanc, affichée dans la chambre de mes parents. Je la vois très nettement. Mon papa, allongé sur l'herbe, un bob foncé vissé sur le crâne, me porte à bout de bras, comme pour me faire faire l'avion. Mon petit corps dépasse à peine de ses grandes mains qui me tiennent par la taille au dessus de sa tête. Tous les deux, on rit aux éclats. Les visages ont les mêmes traits, le même sourire, le même menton, les mêmes yeux et on entend presque les deux rires se nouer... mon papa...

mercredi 14 mars 2007

1988, 1 an. Souvenirs sourds.

Marion, surtout Camion, ou bien Ion-ion (prononcer yon-yon)... Sans contrefaçon, Marion serait-elle un garçon ?... Dans la rue, les gens s'extasient sur la bouille de ce "charmant petit garçon". Maman répond gentiment, dans un mélange de fierté et de reproche "c'est une fille".

Ça m'est resté dans la tête et dans le corps, un peu.

Florence, ma soeur aînée, est sage. Les parents lui mènent la vie dure, il faut qu'elle soit très bien élevée. A mon arrivée, les règles s'assouplissent un peu, et, bien sur, j'en profite un maximum.

Et vas-y que la soupe est pas assez froide, et vas-y que tu m'as mal portée jusqu'au bain, et vas-y que je crie parce que je veux pas dormir, et machin, et truc... à tel point que les parents installent de plus en plus fréquemment mon lit à barreaux à la cave pour ne plus avoir à m'entendre.

Mais, si les parents en ont marre de me voir jouer à la Castafiore, ma soeur arrive à m'apaiser, et j'avoue que ce rôle de petite maman qui lui va très bien n'est pas pour me déplaire.

Je continue à bien grandir, bien manger et bien respirer, mes examens cardiaques ne sont pas très précis mais ma croissance étant parfaitement normale et stable, le danger semble écarté. Je me souviens des ventouses gluantes posées sur mon petit torse et de l'écriture frénétique de la tige noire sur le papier quadrillé.

Il me semble que j'esquisse mes premiers pas vers la fin de l'été, je ne sais plus très bien. En tous cas, cela se passe chez mes grands-parents paternels, sur la petite terrasse qui longe la maison et dont les carreaux rouges-orangés chauffent au soleil. Ma grand-mère porte déjà ce bob ridicule qu'elle continuera de porter à chaque fois qu'elle ira au soleil.

mercredi 7 mars 2007

Une arrivée fracassante

Le 9 juin, début de soirée : Françoise et Benoît sont chez des amis. Florence, à la maison avec la baby-sitter, avale sa soupe gentiment. Elle a un an et demi, elle est très mignonne et se porte bien.

Françoise, assise sur le canapé, a quelques contractions de plus en plus rapprochées. Elle souffle, se détend. Mais voilà qu'elle perd les eaux sans crier gare. Je suis pressée d'arriver, et dois un canapé à la famille P. avant même d'avoir sorti la tête du ventre de ma môman. Blagueuse, la Marionette.

Direction : la clinique Bel Air, à toute berzingue. Papa roule sur une zone pour bus. Il se fait arrêter et dit au flic le plus vite possible "ma femme va accoucher, je vous en supplie, pas maintenant". Ni une ni deux, le flic monte dans sa bagnole, met le gyrophare et lance à mon père avant de mettre la sirène "Bel Air? Ok. Suivez-nous !" : Marionette est servie ! Que dis-je, servie, escortée ! Pendant ce temps, Florence passe au dessert, elle a finit tout son petit pot. C'est bien.

En arrivant, on s'occupe de môman. On lui dit que je vais pas tarder, mais que l'accoucheur est en train de faire sortir son enfant du ventre de sa femme dans une autre salle, alors "va falloir patienter un peu". L'heure avance. Elle est très inquiète, parce qu'elle sait déjà que mon coeur bat anormalement, on le voyait sur les échographies. Personne ne sait comment se passera ma première inspiration. Marionette, le mystère.

Nous sommes le 10 juin. L. J., l'accoucheur entre dans la salle ruisselant de sueur et heureux comme un pape : sa fille C. va bien et dort déjà, en couveuse. Après celle de C., il prend ma tête entre ses mains, puis mes épaules, et je crie. Le cordon est coupé, je respire, ma môman pleure de joie et me serre - pas trop fort - dans ses bras. Mon papa est là aussi, il n'en mène pas large. Marionette a réussi son entrée.

Florence dort à poings fermés. La baby-sitter regarde un film, ou lit son bouquin.

Deux semaines plus tard, je suis à la maison. On sonne à la porte, c'est pour une visite médicale. Papa va ouvrir, maman me prend dans ses bras. Le médecin écoute mon coeur, régulier mais étrange poum poum pff... poum poum pff... poum poum pff... Marionette a le sens du rythme... Il pose son stéto sur sa valisette, sort dans le jardin pour passer un coup de fil, revient une minute plus tard et dit à mes parents : "Vous êtes à combien de temps de la clinique ? Bon ben c'est parfait, le cardio vous attend. Oh, vous pouvez y aller tout de suite hein. Oui oui, aujourd'hui maintenant oui. Le cardio. Monsieur C." Mes parents, effrayés, me ramènent à la case départ. Déjà...

Marionette, petite fille bancale...