mercredi 28 février 2007

1965 la messe, le catéchisme et autres misères

Quand on est petit, bien souvent on a pas le choix, les adultes ont tout prévu. Pas vraiment tout, mais surtout ce qui agace. Les loisirs, les jeux font encore partie du domaine réservé de nos petites personnes. La télé n’est pas du tout répandue dans les foyers, nous filons jouer dans la forêt proche dés la sortie de l’école ou le Jeudi (en 1965 le Jeudi coupe la semaine scolaire). Nous avons les vélos de nos grands frères, ou de nos pères, pour les mieux nantis. Chaque bande de quartier sait faire une cabane dans la forêt, avec de la ficelle, des branches de noisetiers ou de jeunes hêtres. Dans cette société de consommation limitée, l’imaginaire a le pouvoir.

Pour la coupe de cheveux, c’est différent, l’imaginaire n’a pas sa place, deux modèles sont disponibles chez le coiffeur (le père PetitJean, près de la Moselle), sur le côté sans raie ou en brosse. Inutile de dire à l’homme de l’Art que vous souhaitez une coupe longue, tout est prévu. Le père a pris rendez vous et donné les consignes, ras devant, court derrière. On sait que certains chanteurs bizarres ont des cheveux longs (Mémère affirme qu’on dirait des filles, si, si ma pauv’ dame), les photos d’école de 1965, nous rassurent, pas de ça à Pompey. Bon, ça c’est une petite misère, mais y a pire !

Le Dimanche matin, il y a la messe, pas la peine de demander le programme, c’est comme les cheveux, tout est prévu. Avec la messe, il y a le catéchisme, indissociable, le Mercredi à 11 h 30 après l’école. C’est une sorte de package , messe + cathé. , on y échappe pas.




Attention ! Pour la messe, on met les habits du Dimanche ! généralement culotte courte, qui nous habille d’Avril à Novembre, chemise et petit pull suivant la saison.

Je dois dire que j’y crois pas trop à ce bazar. M’étonnerait qu’il habite dans le tabernacle, ce Jésus, c’est tout petit, on ne le voit jamais. En plus, c’est fliqué cette histoire, à la messe une bonne sœur prend les présences à la fin de l’office, et le curé vérifie le Mercredi au Catéchisme si on est allé au show dominical. On m’a pourtant affirmé que le petit Jésus savait tout, mon oeil ! C’est le petit personnel qui tient le listing.



En 1965, le curé de Pompey est secondé d’un abbé. L’époque est faste, il y a une clientèle assidue, deux messes à guichets fermés le dimanche, la boutique tourne plutôt rond, il faut des enfants de choeur pour assurer la séance, des bénévoles pour la quête, de l’encens, du vin de messe, des clochettes, un organiste et des choeurs. Là, je vous parle d’un dimanche normal, faut voir Pâques, l’ascension ou la Pentecôte. Il y a des gens debout jusqu’au fond. Le catholicisme a le sens du spectacle, on voit que c’est une religion qui a commencé au cirque.

Le curé est plutôt sévère, il n’arrivera pas à me faire croire que son fonds de commerce c’est l’amour du prochain. Pour lui c’est un rôle de composition et ça sonne faux. La maison mère devrait mieux choisir ses DRH, on comprend que plus tard il y ait eu crise dans la religion.

Bon, je vais pas reprocher son manque de ferveur au boss local, je dois bien avouer que moi, déjà tout petit, je faisais semblant d’y croire.

lundi 26 février 2007

1963 decouverte de la géopolitique

J'apprends qu'il y a d'autres pays, un cousin nous a emmenés en Allemagne, les chaussures, le chocolat y sont bon marché, en France c'est cher, il n'y a pas de choix.

J'ai un souvenir assez précis de ce qui s'est avéré un périple. Dans la voiture, une Dauphine, le cousin Jojo conduit, il est professeur à l'école des apprentis de l'Usine, il y a aussi Mémère Georgette, Maman, Papa et moi. On prend la nationale, direction Metz, puis Sarrebruck. Mémère est inquiète, elle a pas vu de « Boches » depuis qu'il se sont « taillés » de chez nous, elle ne les aime pas, ils sont déjà venus en 70, puis en 14, « les salauds !». Je demande à Papa si on va là où il était prisonnier. Non, on n’y va pas, pas là. On va ailleurs, sans commentaire.

Je découvre qu'il y a des autoroutes, que les villes sont modernes. Ainsi c’est ça l’Allemagne. Les discussions des adultes me donnaient à imaginer l’Allemand, tapi derrière sa frontière, habitant une caserne, rusé comme un sioux, affamé comme un loup, sanguinaire, fourbe et forcément méchant puisqu’il avait terrorisé ma famille et qu’il avait detruit le pays, nos maisons. On m’explique qu’il y a des Américains en Allemagne, je comprends qu’ils gardent l’Allemagne, pour que les habitants ne se sauvent pas. On m’explique que maintenant on ne craint plus rien. Bon, c’est compliqué cette guerre.

La gravité ou la bonhomie des adultes à certains moments me renseignent sur l’état du monde qui m'entoure. La radio commente ce qui se passe loin, en dehors de Pompey. On a un poste de TSF jaune, avec un oeil vert qui s’allume. Mon frère Bernard m’a fait croire que dedans il y a des petits hommes qu’on fait revenir de PARIS, ce sont eux qui parlent. Alors, ils ont de petits instruments de musique ? Donc, souvent je guette l’œil vert, plus que je n’écoute, on sait jamais si j’en voyais un de petit homme. Je ne comprends pas ce qui est dit à la Radio, c’est la mine des adultes qui fait interface. Un soir, une dame chante, Maman est triste elle m’explique que c’est Edith PIAF qui vient de mourir. Un autre soir, mes parents et mes grands parents sont très silencieux, je comprendrai plus tard, on m’expliquera que Kennedy a été assassiné.

Je commence à apprendre ce monde, dehors il y a des travaux, une route se construit, les gens qui travaillent sont « arabes », ils sont pauvres, en Allemagne les méchants sont gardés par des Américains qui sont riches et gentils, comme ceux de la base d’aviation à côté.

mardi 20 février 2007

1962

L’école maternelle du centre existe toujours. Elle comporte quatre classes. C’est un bâtiment bas, en longueur, surmonté d’un étage sur une extrémité. Au-dessus de la rue (des jardins fleuris) , devant une grande cour avec bacs à sable et balançoires. Un coteau accueille le quartier des écoles. Au-dessus de la maternelle, l’école des filles, à côté, face à la Mairie, l’école des garçons. Il faudra attendre 1971 pour que les écoles primaires soient mixtes

Mon premier souvenir scolaire est larmoyant, maman vient de me laisser pour la première fois de ma vie et je pleure. Je suis pourtant très content d’aller à l’école, puis d’autres enfants pleurent, ça doit me gagner aussi.

J’ai un autre souvenir de cette école de petits, c’est celui d’une institutrice. Une vraie peau d’hareng, Madame Risse, nous les mômes on dit la mère Risse. Elle applique souvent des fessées déculottées. Le tarif est variable, parler, rire, ..Je suis petit mais je trouve ça cher payé, on rase les murs parfois Tous les enseignants qui ont jalonnés ma vie scolaire me laissent une bonne impression, mais celle-là, c’est une brutasse . Le souvenir est vague, mais nous les mômes, on a un sentiment d’injustice, il n’y a pas une semaine sans que plusieurs d’entre nous défilent, au bureau, devant la classe et reçoivent des claques sur le cul de sa main leste. Voilà pour l’école maternelle, je n’ai rien d’autre en mémoire, sinon que ma sœur venait me chercher et m’emmenait.

1961

Les souvenirs sont vagues, peu construits, je sais simplement des petites choses. Mon environnement est souvent féminin, mais je crois que je m’en rendrai compte plus tard et de plus en plus en prenant de l’âge. Maman s’occupe de moi, ma sœur m’emmène à l’école, pour les sorties, je suis sous la vigilance de ma grande mère. Les sorties sont limitées à la ville voisine, Frouard, où habite une sœur de ma grand mère, la Tante Jeanne, et l’oncle Emile, on dit le « nonon », et dans ce cas précis le « nononmile ». Là aussi les conversations sont tenues par les femmes, nouvelles des voisins, de la famille, progression du p’tit dernier…. Je suis surpris de l’absence des hommes dans mon souvenir, je sais qu’ils vont à l’usine, tous, mais on ne sait rien d’eux. Ma grand-mère, (chez nous on dit Mémère, Mamie ça sera après 1970) Mémère Georgette est née avec le siècle, en 1900, son mari le Pépère Georges également. Elle a subi une éducation sévère, où la religion était la clé de voûte de toutes les explications. Avec ses parents, elle s’exprimait en patois, ou le vouvoiement est de rigueur pour parler aux plus anciens. Mémère Georgette va beaucoup compter dans ma vie, pas par un choix affectif de ma part, mais parce qu’elle est là. Elle est présente, elle aide sa fille unique, souvent. Les lessives se font encore à la main, il y a un lavoir dans la maison. Il faut faire bouillir le linge, le jardin doit être entretenu, il supplée à l’alimentation, il y a les lapins et les poules pour le dimanche, et donc beaucoup à faire.

En fait le mouvement, l’animation, les mots, l’aide, les conseils, tout cela vient des femmes. Il y a des hommes, mais ils vont toujours quelque part, ou ils y sont, ou en reviennent. Là, à l’endroit présent , j’ai l’impression qu’ils sont de passage.

C’est curieux, je me rends compte que les femmes et les hommes dans mes souvenirs ont des tâches différentes, ils ne font rien ensemble ou si peu. Façon de voir les choses ou réalité ?

1960

Les responsabilités arrivent. J’ai trois ans, c’est l’âge pour l’école maternelle. À Pompey, il y a tout, même un jardin d’enfants parce que l’usine prévoit tout pour l’épanouissement de ses six milles ouvriers et leur famille. C’est l’époque du paternalisme, la cité est gérée pour répondre aux besoins de la production, on passe du berceau, à l’école puis à l’usine, plus tard le cimetière. Les maîtres ont tout prévu. Les cités logements, les coopératives pour l’approvisionnement, le centre d’apprentissage, tout. Le logement est retenu sur la paye, à la coopérative, « la ruche de Pompey » on fait crédit, il reste un peu d’argent pour le bistrot, les clopes. Le virement des payes sur compte bancaire ne sera obligatoire qu’en 1975, les ouvriers sont payés à la quinzaine ou la semaine. Au fil du temps, les syndicats ont signé des accords avec l’usine, qui verse aussi un complément familial collé au salaire. En liquide, bien sûr. C’est l’époque du liquide et des combines En 1946, Pompey compte 44 bistrots, il en reste 5 aujourd’hui Les hommes touchent la paye en espèces Les femmes attendent qu’ils rentrent Certaines femmes ne sauront qu’en 1975 qu’il y avait un complément familial Comme quoi l’économie en milieu fermé n’est pas une vue de l’esprit

Ville de métiers durs, de métiers de chiens. Je saurai plus tard que mon grand père sortait les lingots de fonte à la main, pas des petits, des gros de deux à trois tonnes, qu’on tire avec des pinces énormes , sur des cylindres. Mon grand père avait de beaux avant-bras, de vraies sculptures Les conditions sont atroces, l’atelier est ouvert à tout vent, en hiver le froid vous tenaille le dos, la chaleur du four ouvert écrase le torse. Tous les ouvriers de ce secteur finissent malades des poumons. À l’époque la retraite est à 65 ans, le sidérurgiste a une espérance de vie de 63 ans. Quand il fait trop chaud, les hommes harassés se trempent habillés dans des fûts remplis d’eau

Les payes circulent, les dizaines de bistrots tournent rond, les hommes avec, abrutis de travail, de fatigue. Le vin et le tabac sont des baumes en vente libres, qui permettent sans doute d’échapper à la réalité qui casse le dos et blesse les rêves.

Mais pour l’instant je ne sais rien de tout ça, j’ai école, le jardin d’enfant est à l’autre bout de la ville, j’irai donc à la maternelle. Celle du centre près du village, en face de la Mairie.

1959

Ça se précise, deux ans d’ancienneté ! Mes parents me diront plus tard que je suis un véritable cadeau. Je ne dors pas beaucoup. Pas la nuit en tout cas, que dalle, rien. J’aurai pourri pratiquement toutes les nuits de mes parents pendant trois ans. La seule alternative, me prendre dans les bras, et là, miracle j’arrête de brailler. Que du bonheur Il est donc clairement établi que ma mère est patiente Papa, sous ses aspects bourrus, est une bonne pâte

Mon père va au chagrin certains matins avec les yeux lézardés, moi je m’en fous je dois siester la journée. Histoire d’être en forme la nuit….. C’est ce qu’on m’a dit, toujours pas de souvenir. Je regarde passer la vie, sans qu’elle s’imprime. On me raconte Pourtant il doit s’en passer des choses, ma sœur, mes deux frères, papa, maman autour de moi.

Bon, aujourd’hui ça va mieux, je fais mes nuits Je ne dors pas beaucoup plus Mais je ne pleure plus

Il paraît que je ronfle et que ça pourrit la nuit des autres Bref, une sorte de rechute Mais là également pas de souvenir

1958

C’est l’année de la V éme république J’ai un an, toujours pas de souvenir. On me trimbale, j’acquiers le grade de « petit dernier » le voisinage parle volontiers du « petit dernier de la Marthe » (On est en Lorraine, chaque prénom est précédé d’un article). J’ai été trimbalé dans de nombreux endroits, des bribes de tableaux me reviennent, des impressions. Impression de douceur, Maman chante souvent, elle a une belle voix, on me passe des disques. Mon grand frère est pensionnaire au séminaire, je me souviens des visites vaguement, sans doute pas cette année. On va le voir en voiture, c’est un ami de la famille qui nous emmène, il est boulanger, il a une PANHARD break bleue ciel. Ma famille proche est réduite, Papa et Maman n’ont plus ni frère et sœur, l’espace familial sera toujours pour moi une source de confusion, les cousins sont lointains géographiquement et dans la filiation. Je dois me fabriquer une mémoire, je me fixe plus sur les attitudes que sur les personnes, mon père lit et bricole, mes frères passent, maman est partout. Aussi loin que je me souvienne, je n’ai pas conscience d’exister, je me rappelle être spectateur de cette vie qui passe Je ne suis pas sûr que cet état s’estompe avec le temps Mon père a une mobylette, il est ouvrier à l’usine de Pompey. C’est une image qui demeure en moi, encore aujourd’hui, mon père, par tous les temps, arrivant et repartant. Faut dire que l’époque est au social. 60 heures par semaine, ça en fait des allers-retours. C’est le miracle des trente glorieuses. Il y a du boulot, beaucoup de boulot. À Pompey, il y a un petit garage Renault. Mais il y a deux marchands de vélos et mobylettes, il faut ça pour approvisionner en moyen de transport 6000 ouvriers. De très rares voitures passent, celles des ingénieurs de l’usine et celle des soldats américains stationnés à Rosière, à la base aérienne. Pour les autres, c’est vélo ou mobylette. L’année 1958 ne doit pas être différente des autres qui jalonnent le début de ma vie, ce sont les années sans conscience

1957

Je suis né en 1957, le 10 Mai à Pompey, dans un bassin sidérurgique au nord de Nancy. Je suis le dernier d’une famille de quatre enfants, sept ans me séparent de ma sœur, dix de mon plus grand frère. Je viens au monde grâce à la méthode Ogino & Knaus, infaillible moyen de contraception qui a rempli les salles de classes. La planification n’était pas au top niveau, Maman attendait avec bonheur une petite Christine. Une photo de petite fille blonde à cheveux bouclés a orné la tête de son lit durant toute sa grossesse. C’est un p’tit brun qui déboule. Tout va bien, le franc est dévalué de 20% pour faire place à un nouveau franc. Il paraît que c’est l’année du traité de Rome. Spoutnick décolle La vie tient à peu de chose, un papa qui a réussi à rentrer de captivité d’Allemagne, qui rencontre la femme de sa vie, dans une ville qui a connu son lot de bombardements, une contraception inefficace et tournez manège ! J’arrive.