J'apprends qu'il y a d'autres pays, un cousin nous a emmenés en Allemagne, les chaussures, le chocolat y sont bon marché, en France c'est cher, il n'y a pas de choix.

J'ai un souvenir assez précis de ce qui s'est avéré un périple. Dans la voiture, une Dauphine, le cousin Jojo conduit, il est professeur à l'école des apprentis de l'Usine, il y a aussi Mémère Georgette, Maman, Papa et moi. On prend la nationale, direction Metz, puis Sarrebruck. Mémère est inquiète, elle a pas vu de « Boches » depuis qu'il se sont « taillés » de chez nous, elle ne les aime pas, ils sont déjà venus en 70, puis en 14, « les salauds !». Je demande à Papa si on va là où il était prisonnier. Non, on n’y va pas, pas là. On va ailleurs, sans commentaire.

Je découvre qu'il y a des autoroutes, que les villes sont modernes. Ainsi c’est ça l’Allemagne. Les discussions des adultes me donnaient à imaginer l’Allemand, tapi derrière sa frontière, habitant une caserne, rusé comme un sioux, affamé comme un loup, sanguinaire, fourbe et forcément méchant puisqu’il avait terrorisé ma famille et qu’il avait detruit le pays, nos maisons. On m’explique qu’il y a des Américains en Allemagne, je comprends qu’ils gardent l’Allemagne, pour que les habitants ne se sauvent pas. On m’explique que maintenant on ne craint plus rien. Bon, c’est compliqué cette guerre.

La gravité ou la bonhomie des adultes à certains moments me renseignent sur l’état du monde qui m'entoure. La radio commente ce qui se passe loin, en dehors de Pompey. On a un poste de TSF jaune, avec un oeil vert qui s’allume. Mon frère Bernard m’a fait croire que dedans il y a des petits hommes qu’on fait revenir de PARIS, ce sont eux qui parlent. Alors, ils ont de petits instruments de musique ? Donc, souvent je guette l’œil vert, plus que je n’écoute, on sait jamais si j’en voyais un de petit homme. Je ne comprends pas ce qui est dit à la Radio, c’est la mine des adultes qui fait interface. Un soir, une dame chante, Maman est triste elle m’explique que c’est Edith PIAF qui vient de mourir. Un autre soir, mes parents et mes grands parents sont très silencieux, je comprendrai plus tard, on m’expliquera que Kennedy a été assassiné.

Je commence à apprendre ce monde, dehors il y a des travaux, une route se construit, les gens qui travaillent sont « arabes », ils sont pauvres, en Allemagne les méchants sont gardés par des Américains qui sont riches et gentils, comme ceux de la base d’aviation à côté.