Les responsabilités arrivent. J’ai trois ans, c’est l’âge pour l’école maternelle. À Pompey, il y a tout, même un jardin d’enfants parce que l’usine prévoit tout pour l’épanouissement de ses six milles ouvriers et leur famille. C’est l’époque du paternalisme, la cité est gérée pour répondre aux besoins de la production, on passe du berceau, à l’école puis à l’usine, plus tard le cimetière. Les maîtres ont tout prévu. Les cités logements, les coopératives pour l’approvisionnement, le centre d’apprentissage, tout. Le logement est retenu sur la paye, à la coopérative, « la ruche de Pompey » on fait crédit, il reste un peu d’argent pour le bistrot, les clopes. Le virement des payes sur compte bancaire ne sera obligatoire qu’en 1975, les ouvriers sont payés à la quinzaine ou la semaine. Au fil du temps, les syndicats ont signé des accords avec l’usine, qui verse aussi un complément familial collé au salaire. En liquide, bien sûr. C’est l’époque du liquide et des combines En 1946, Pompey compte 44 bistrots, il en reste 5 aujourd’hui Les hommes touchent la paye en espèces Les femmes attendent qu’ils rentrent Certaines femmes ne sauront qu’en 1975 qu’il y avait un complément familial Comme quoi l’économie en milieu fermé n’est pas une vue de l’esprit

Ville de métiers durs, de métiers de chiens. Je saurai plus tard que mon grand père sortait les lingots de fonte à la main, pas des petits, des gros de deux à trois tonnes, qu’on tire avec des pinces énormes , sur des cylindres. Mon grand père avait de beaux avant-bras, de vraies sculptures Les conditions sont atroces, l’atelier est ouvert à tout vent, en hiver le froid vous tenaille le dos, la chaleur du four ouvert écrase le torse. Tous les ouvriers de ce secteur finissent malades des poumons. À l’époque la retraite est à 65 ans, le sidérurgiste a une espérance de vie de 63 ans. Quand il fait trop chaud, les hommes harassés se trempent habillés dans des fûts remplis d’eau

Les payes circulent, les dizaines de bistrots tournent rond, les hommes avec, abrutis de travail, de fatigue. Le vin et le tabac sont des baumes en vente libres, qui permettent sans doute d’échapper à la réalité qui casse le dos et blesse les rêves.

Mais pour l’instant je ne sais rien de tout ça, j’ai école, le jardin d’enfant est à l’autre bout de la ville, j’irai donc à la maternelle. Celle du centre près du village, en face de la Mairie.