samedi 8 décembre 2007

7:1967 Oh purée !

Maman travaille. Les jeudis je vais au centre aéré, soit celui de la ville, soit près du travail de Maman parce que je suis trop petite pour rester toute seule toute la journée. Mais il y a des jeudis où Papa peut venir déjeuner avec moi et rester un moment avec moi l'après-midi. Ou alors quand je suis malade et que je reste en peignoir à la maison il vient des fois aussi. Avant Maman cherchait une dame pour me garder mais maintenant je me garde toute seule et un peu Papa.

Ces jours-là c'est moi qui fais le déjeuner. Papa il ne sait pas. Il ne sait pas faire les courses non plus alors il n'aime pas quand Maman lui demande de nous rapporter une baguette pour le dîner pour qu'elle n'aie pas besoin de ressortir. Ou peut-être qu'il ne veut pas faire des courses qu'il ne mange pas vu qu'il dîne toujours chez Boris. Quand c'est jeudi il m'emmène parfois au restaurant mais souvent (et aussi quand je suis malade) on mange à la maison. Moi je sais bien faire à manger. Surtout le riz. Bon, en fait je ne sais faire que le riz. Mais très très bien et Papa me complimente toujours parce qu'il ne mange nulle part ailleurs du si bon riz.

Pour cuire le riz il faut mettre de l'eau à bouillir dans une grande casserole avec un peu de sel. Papa s'assied sur le tabouret en face de la cuisinière, le dos appuyé au mur, et il surveille qu'il n'y a pas de souci avec le gaz et que je ne vais pas me brûler. Quand l'eau bout je jette le riz dedans et je compte vingt minutes (papa m'aide et on compte combien de temps si on avait un accélérateur qui ferait bouillir l'eau deux fois plus vite ou si le fond de la casserole était percé et qu'on devrait remettre de l'eau froide pendant que ça cuit). Au bout des vingt minutes, il faut tout verser dans la passoire. L'eau passe par les trous et il reste que le riz !! Hop un peu de jus de viande que Maman a gardé dans une boîte, ou du gruyère que je frotte contre la râpe et on déjeune.

Une fois je suis malade et Maman trouve que c'est pas une bonne idée de manger tous les jours du riz. Alors comme elle a fait une purée le soir elle me dit : « J'en ai fait plus, comme ça demain vous pouvez vous la faire réchauffer, ça changera du riz. » Ouch ! Alors là de la purée je sais pas si je saurais ! Mais elle me dit que c'est facile : je mets la purée dans la casserole, j'ajoute un peu d'eau parce que demain elle aura un peu durci et voilà.

Le lendemain c'est l'aventure. Papa est très content de cette nouvelle expérience. Pour le gaz, fastoche c'est comme d'habitude. Je verse la purée dans la casserole. Elle a l'air un peu perdue dans le récipient mais je ne sais pas si c'est embêtant. Ah et puis oui elle est dure. Versons de l'eau. « Un peu » elle a dit. Donc moins que pour le riz, mais combien ? En tout cas je sais que l'eau s'évapore, donc si je mets trop peu d'eau ça ne va servir à rien, tout va s'envoler et la purée être plus dure encore. Allez hop, deux, non trois verres.

Aïe, Papa et moi on voit bien que ça ne ressemble pas à une purée vraiment. Plutôt presque de la soupe. C'est pas grave. Au bout de vingt minutes, j'arrête le gaz et je verse la purée dans la passoire, hé hé quelle maline je suis moi !

Nooooooooon ! Toute la purée est passée au travers ! Ah mais ça alors ! Mais enfin c'est pas possible, la passoire doit filtrer l'eau et laisser les trucs dedans ! Papa qui comme d'habitude m'a regardée faire assis sur le tabouret me rassure : « Bah, moi je préfère le riz, surtout le tien qui est le meilleur ! »

Alors je fais du riz (très très bon) et le soir on explique à Maman que pas de purée.

« Incroyable », elle dit. « Et tu l'as laissée faire ? Ajouter des litres d'eau et verser le tout dans une passoire ?
– Ah moi j'y connais rien à la cuisine », répond Papa. Il est presque énervé. Ah, agacé je crois qu'on dit.
« Mais enfin, tu voyais bien ce qui allait se passer quand même ?
– Ben euh... Non, ça me semblait pas mal ce qu'elle faisait.
– Et puis ce n'était pas des litres d'eau : seulement trois verres ! Un tout petit peu, j'en mets au moins vingt pour le riz » (Non parce que je ne peux pas la laisser dire n'importe quoi quand même). « Et puis Papa il préfère le riz, hein Papa ?
– Absolument ! Un riz exquis, inégalable !
– Voilà ! »

Maman abandonne. Elle en reparlera souvent dans les jours, mois et années qui suivent. Et selon l'humeur nous y verrons là le comble du machisme jusqu'à perdre la logique élémentaire dès qu'il s'agit de cuisine ou un soutien indéfectible aux initiatives de sa fille.

Ma foi, aujourd'hui encore, le jugement final n'a pas été rendu ! ;)

mercredi 28 novembre 2007

6:1966 Vive la politique !

Septembre (?). Maman et Cassandre m'emmènent à une grande fête, très très grande. Il y a des baraques à frites et des baraques à pommes d'amour, et puis aussi des grandes tables où on sert du vin et où on peut s'asseoir pour déballer les pique-niques. C'est un peu comme à la Foire du Trône mais sans les manèges ni les stands. Enfin si, il y a des stands, mais avec des affiches qui ne servent pas de cibles pour les fléchettes et des objets qui ne sont pas pour le chamboule-tout (j'ai demandé).

Il y a de la musique aussi, dans les stands, des tas de musiques différentes avec des gens qui parlent des tas de langues. Maman m'explique que ça s'appelle « la Fête de l'Huma ».

« C'est quoi luma ?
– C'est l'abréviation de l'Humanité.
– Ah oui ! Le journal des croissants !
– Voilà, c'est ça.
– Mais on fait quoi, là ?
– Eh bien on fait la fête tous ensemble, ceux qui aiment bien le même journal que moi. Et on se rencontre avec ceux qui habitent dans d'autres villes ou dans d'autres pays et qui pensent pareil. On discute. »

Eh ben ça alors ! Maman a des camarades dans plein de pays ! Qui voyagent rien que pour la rencontrer !! Je tourne sur moi-même, aussi loin que je vois, c'est une forêt de jambes. Ça ne m'étonne pas qu'elle aie beaucoup d'amis parce qu'elle est vraiment très belle et très gentille. Mais autant, alors là même moi j'aurais pas cru !

« Dis donc, tu as beaucoup d'amis ! Tu es une vedette !
– Non pas tout à fait des amis, des camarades politiques. Ça veut dire qu'on est d'accord sur beaucoup de choses mais pas forcément qu'on aurait envie de se raconter nos petits secrets ou passer des vacances ensemble. »

C'est quand même un peu compliqué les adultes. Si on est d'accord sur beaucoup de choses, c'est bizarre de pas être d'accord sur la maison où aller en vacances !

Enfin, c'est pas grave. Je suis bien contente d'être là parce qu'il pleut. Et comme il pleut j'ai pu mettre mon nouveau ciré en vichy noir et blanc en forme qui s'agrandit en bas avec le col rond en velours noir. Et j'ai un joli parapluie transparent. Cassandre fait une photo avec son nouvel appareil. Maman ne pensait pas qu'il pleuvrait. Elle n'a pas son ciré mais elle a le foulard en plastique qui se déplie. La plupart des dames sont moches avec ça, mais pas Maman, qui est toujours magnifique. Et qui a plein d'amis. Ou de camarades comme elle dit.

Ça fait floc floc quand on marche dans la boue, c'est drôlement amusant la fête de Maman ! J'ai un cornet en papier avec des frites et une saucisse, c'est pas pratique avec le parapluie mais je me débrouille. Mes cheveux sont tout mouillés parce que je n'arrive pas trop à maintenir le parapluie au-dessus de ma tête en mangeant. Mais ça ne me gêne pas, j'ai les cheveux tout courts, je sais que ça va vite sécher, et puis d'habitude quand il pleut on rentre tout de suite et on ne marche évidement jamais dans la boue pour pas salir nos chaussures, alors que là, comme Maman ne veut pas quitter ses amis camarades, je peux en profiter !

J'adore la fête de l'Huma ! J'adore la politique ! Quand je serai grande je ferai plein de politique et j'aurais autant d'amis (zut, crotte, non, de camarades) que Maman !

A un moment, je comprends qu'il y a une dispute entre des étrangers dans un stand et des Français. Evidemment, Maman va voir (peut-être pour leur dire de ne pas gâcher sa fête ?). Il y en a un, un étranger, qui dit : « Vous n'étiez pas tous là. Certains d'entre vous ont laissé faire Vichy pendant que les camarades se battaient chez nous, ne refaites pas l'histoire ! » Alors là, ça crie vraiment. Et moi ça m'inquiète :

« C'est pas bien le Vichy ?
– Non. »

Maman a l'air un peu moins gaie que tout à l'heure.

« Ah. Et, c'est très très grave, le Vichy ?
– Oui. »

Et elle dit à Cassandre : « Le pire, c'est que c'est vrai. »

Et alors là, moi je panique carrément :

« Dis Maman, alors ton camarade il veut que je rende mon ciré au magasin ? »

dimanche 25 novembre 2007

5:1965 Lectrice

Ai-je appris à lire seule ou avec mon père ? Ma foi, je ne m'en souviens fichtre pas. Mais je sais en revanche qu'à l'appetit curieux du plaisir qu'on semblait prendre autour de moi à telle activité s'ajoutait l'ardent désir d'atteindre la noblesse du statut de Lectrice. Aux lecteurs (lectrices en l'occurrence) on accordait le privilège d'interdiction de déranger, l'heure du repas pouvait être légèrement différée pour cause de chapitre à finir, les restrictions de budget s'arrêtaient au seuil des librairies, ou plutôt les achats s'alignaient dans la colonne du nécessaire, priorité numéro trois après manger et payer-le-loyer.

Mes premiers pas seule dans la ville furent pour aller au bibliobus puis à la bibliothèque municipale, choisir l'un de ces livres, presque toujours dotés d'une reliure épaisse tissée gris ou rouge. Le tampon de la bibliothèque figurait sur leur première page intérieure, parfois bien aligné, parfois tout de travers ; un bout de carton collé en diagonale dans le coin inférieur droit de la troisième de couverture accueillait une fiche remplie de noms avec la date de sortie et la date de retour. La bibliothécaire inscrivait le mien à leur suite et conservait la fiche dans une enveloppe à mon nom rangée dans une boîte à fiches en bois. Je prenais toujours le temps de lire tous les noms, examiner les dates, calculer combien de temps mes co-lecteurs s'en étaient repus, retrouver un nom croisé à d'autres emprunts. Plus encore qu'inaugurer la fiche d'une nouvelle acquisision, voir mon nom s'ajouter à une longue liste me remplissait de fierté : moi aussi je suis de ce monde-là, je suis dans le clan des lecteurs.

Lire, soit. La technique est aisée, mais elle ne suffit pas à faire de vous une Noble Lectrice. La Noble Lectrice, il ne fut pas besoin de me le dire pour que je le comprenne, lit des vrais livres. La lecture de magazines, de bibliothèque rose ou verte, de romans photos, de bandes dessinées peut se révéler distrayante – quoique le plus souvent abrutissante, bêtifiante, fadaises-ante – mais n'accorde aucun statut privilégié (ne pas déranger, heure du repas, attribution de fonds discrétionnaires).

La pose de la première étagère à vrais livres dans ma chambre me remplit de fierté, comme le furent chacune des suivantes : « je n'ai plus assez de place pour ranger tous mes livres », voilà qui vous donnait du lustre et du galon. Le souvenir précis de cette artabane fierté me fait aujourd'hui encore sourire quand j'entends l'accablement de tel ou telle au sujet des livres qu'on ne sait plus où mettre, d'étagères qui croulent, de planchers envahis, de couloirs où l'on se faufile entre les bibliothèques. Allons allons, accablement, vraiment ? Que ne les jetez-donnez-vendez-vous ? Ai-je tort de reconnaître en eux la petite fille qui se vante de la seule richesse honorable du peuple de gauche ?

vendredi 16 novembre 2007

4:1964 - Parfois les parents mentent, heureusement pas les miens

Il me faut revenir à Gribouille. C'est la perte de Gribouille qui m'a fait la première fois prendre conscience que la parole des adultes n'est pas d'or. J'ai eu la chance que cette découverte ne concerne pas mes parents (eux ils ne mentaient jamais, je n'en doutais pas) et finalement ça m'a peut-être fait une préparation à la découverte ultérieure que même eux ?

Que des adultes mentent, c'était déjà énorme. Qu'ils mentent à un enfant me révolta plus encore : c'est qu'on compte sur eux pour nous transmettre la Vérité nous !

En cette période qui commence à puer fleurer Noël et son gros bonhomme rouge, je me demande souvent, moi qui n'ai jamais cru au Père Noël, quel effet ça fait quand on découvre que nos parents, toute notre famille, tout le monde en fait, nous ont baladés avec cette histoire à dormir debout, qu'on a été victime d'un complot d'ampleur quasi planétaire.

Je sais que pour ma sœur ça a été un drame dont à près de soixante ans elle parle encore avec une pointe de, oui je crois, une pointe de rage. Sans aller jusqu'à la rage, ma fille s'indigne que j'ai osé lui faire croire qu'elle pouvait me révéler quel cadeau elle m'avait préparé pour mon anniversaire. Elle bouillait tellement de m'en faire part tout en souhaitant que la surprise reste entière que je lui avais dit qu'il lui suffirait de souffler et passer la main sur mon front pour que le souvenir s'en efface.

mardi 24 avril 2007

3:1963 déménager

A trois ans ou dans quelques semaines, j'aime toujours aussi peu déménager. Je l'ai pourtant fait de nombreuses fois, enfant, adolescente, dans ma vie d'adulte. Ça n'est donc pas un « manque d'entraînement ».

A trois ans (quatre ? enfin quelque part par là), ce qui m'angoisse c'est le mariage avec ma fiancée de la maternelle qui risque de tomber à l'eau, ma chambre qui ne sera pas pareille que celle-ci, donc forcément moins bien, mes jouets – ma poupée Gribouille – que je ne retrouverai plus à sa place.

Le déménagement suivant s'annonçait sous de bien meilleurs auspices : j'allais me rapprocher de mon lycée et pourrais désormais échanger trois quarts d'heure de bus+métro par dix minutes à pieds, et surtout me rapprocher de Claire et des autres copains. Mais j'ai détesté la période cartons faire et défaire, trier, ranger. Pas seulement l'aspect « boulot », quoique précocément feignasse, mais le chambardement. Paradoxalement j'aime autant le changement que je déteste être dérangée. Evidemment c'est difficilement compatible.

Je suis je crois extrêmement casanière. Les destinations lointaines ne m'attirent pas le moins du monde : je suis entre deux eaux pendant un jour ou deux à chaque fois que je pars en vacances, je cherche mes marques, je tourne et je vire ou je me réfugie dans une activité bien familière, le temps d'avoir plus ou moins apprivoisé mon nouvel espace.

Mais comme rien n'est simple, je suis aussi fort curieuse, surtout des gens, et jusqu'à présent aucun inconnu n'a spontanément sonné à ma porte pour faire ma connaissance, sauf par erreur ou pour me vendre des calendriers. Et moi j'aime bien les nouveaux gens, chaque batée dans la rivière du monde est l'espoir d'une nouvelle pépite, et je me fiche bien de savoir qu'il va me falloir rejeter la plupart de mes trouvailles au fil de l'eau du moment qu'une fois de temps en temps l'or brille dans mon tamis. Ça m'est arrivé souvent. Je ne crois pas être particulièrement chanceuse pourtant ; faut juste retrousser le bas de son pantalon, mettre un chapeau pour se protéger des coups de soleil et aller à la rivière en n'escomptant pas faire fortune du jour au lendemain.

Les blogs ne sont pas mon seul filon, j'étais déjà bien riche avant, mais c'est un sacré putain de gisement, au croisement d'une multitude de rivières aux flots calmes ou tumultueux. Et tout ça sans bouger de ma chaise pour les premiers sondages. (Après faut aller y voir parce qu'on ne peut pas tout décider uniquement avec les sondages, n'est-ce pas...)

Houla, je ne sais plus du tout ce que je voulais raconter au début de ce billet. J'étais partie sur les déménagements. Le prochain que j'appréhende mais dont je suis contente. Les deux grandes terrasses. Tang. La ponction du porte-monaie plus légère. Une chambre pour chacun. Les petits traiteurs chinois pour épauler M. Picard.

Partir vendredi en week-end à Delft avec Claire. Revenir. Paris-Carnet. Faire les cartons. Deuxième tour. Déménager. Fête terrasse.

En 1963, ma mère obtient un HLM. 2007, c'est mon tour et mes copines de maternelle ont toutes des adresses email.

lundi 19 février 2007

2:1962

En 1962, ma grand-mère maternelle meurt d'un cancer du sein. Avant de disparaître elle voudra mettre en ordre quelques affaires et téléphonera à la femme de mon père pour lui apprendre mon existence et ouvrir involontairement ainsi une plaie qui ne se refermera jamais.

C'était mon seul grand-parent vivant. Ma mère n'ayant ni frères ni sœurs et mon père effectuant une séparation étanche entre sa vie légitime et nous, ma famille tout entière se résume aux trois habitantes de notre petit studio.

Un cancer du sein.

C'est la semaine « 1962 » des Petits cailloux et ricochets que la gynécologue me prescrit une mammographie et échographie accompagnée du dessin aux trois tétons. Angoisse, vertige. La peur de mourir avec laquelle je bataille depuis tant d'années n'a jamais été exempte d'irrationnalité, c'est le moins qu'on puisse dire, mais pour la première fois elle se nourrit également de superstition. Je vois des signes partout. Et si mes « petits cailloux » amassés en novembre et décembre l'avaient été par préscience d'une mort prochaine ? Un bilan qu'on tire avant de partir ? Et si l'année 62 des ricochets était un signal ? Et si le souhait d'arrêter de fumer était un combat d'arrière-garde contre l'inéluctable ? Et ce désir soudain de « reprendre en main » ma santé qui m'avait conduite depuis quelques semaines à fréquenter de nouveau les cabinets médicaux, n'était-ce pas encore et toujours cette préscience ? N'est-ce pas logique que je meurre d'un cancer du sein pour ainsi boucler la boucle du sursis ?

Quarante-six ans de cartésianisme et d'anti-obscurantisme se frottent à la superstition née de la peur. Je comprends de l'intérieur les mécanismes qui font plonger des gens vers les poudres de perlimpinpin, incantations, cartomanciennes et autres fantasmes du surnaturel. Puisque j'attends, puisque je ne peux rien maîtriser de l'issue de cette attente, rien entreprendre avant elle, je ne peux y associer que des éléments tout aussi peu maîtrisables.

Le retour au rationnel s'effectue à 11h10 le mercredi. L'abattement qui me saisit en apprenant que le rendez-vous est le lendemain fait place quelques dizaines de minutes plus tard à une « inquiétude raisonnable », non négligeable mais exempte d'angoisse. Le taux d'adrénaline monté à son acmé pour ce jour et cette heure pédale dans le vide et la superstition reprend sa place dans la gamme des ridicules.

D'ailleurs, le lendemain matin il faisait grand soleil. C'est pas un signe, ça ? ;)

lundi 5 février 2007

Continuez sans moi

Courez devant, je vous rattraperai, petits poucets. Ma plume est sèche et je préfère vous lire pour le moment.

mardi 30 janvier 2007

1:1961 gimmicks

Je n'ai évidemment aucun souvenir de mes un an, si ce n'est les histoires mille fois entendues du berceau au pied du lit faisant tobogan vers le lit que partageaient ma mère et ma sœur et de mon extrême sagesse. Gimmicks.

J'y cherche un sens. J'y cherche du sens. Forcément je plaque quelques prêt-à-psychologiser sauvagement, je m'interroge. Sur ces allers vers le lit familial et le retour de ma sœur dans le mien jusqu'à son mariage. J'ai eu beaucoup de mal à arriver à dormir seule ensuite. Mes angoisses nocturnes sont-elles nées là, dans cette solitude soudaine de ma chambre ?

Lorsque mes enfants étaient petits je me souviens m'être posée des tas de questions à ce sujet : devais-je les laisser venir dans notre lit lorsqu'ils faisaient un cauchemar ? Ou leur « apprendre » à gérer les angoisses sans le support d'un autre corps contre le leur ? Mais aussi : mes questionnements sur mon enfance, l'influence de cette permanence nocturne devait-elle jouer un rôle dans les décisions que je prenais pour eux ?

Et au bout du compte : mais vas-tu arrêter de couper les cheveux en quatre à la fin ?

Idem pour la sagesse. Ah cette enfant idéalement calme et souriante qu'on me décrivait ne cessait de m'inquiéter pour les miens. Etais-je à ce point heureuse ou avais-je déjà peur de déranger ? Et les miens, pourquoi l'un au sommeil si agité et l'autre au sommeil si paisible ? Qu'as-tu encore collé à tes mômes ?

Et au bout du compte : mais vas-tu arrêter de couper les cheveux en quatre à la fin ?

Comment élever nos enfants : devons-nous nous référer à ce que nous avons connu pour éviter de reproduire ce qui nous a fait souffrir ou rejouer les mêmes formidables moments que nous vécûmes nous mêmes ? Mais n'est-ce pas encore là un dangereux risque de projection ? Ce qui nous a ravi peut leur déplaire, ce qui a laissé des traces indélébiles chez nous peut leur sembler tout à fait anodin.

Hey Anna Fedorovna, vas-tu arrêter de coupe les cheveux en quatre à la fin ?

mercredi 24 janvier 2007

00:1960 garçon

Mon père voulait un garçon. Ainsi ronchonna-t-il à ma naissance auprès de ma mère, qui lui rappela aimablement que ses études scientifiques jeune homme n'avaient pu le laisser dans l'ignorance 1/ de la loi des statistiques, 2/ et surtout de qui de l'homme ou la femme apportait la dose de x et de y qui décident de ce point de détail.

Il a dû rapidement se faire une raison car je n'ai jamais eu l'impression que je n'étais pas « du bon côté » du chromosome. En revanche, si je n'ai pas été élevée à devenir commando parachutiste, rien non plus n'a été fait ni de sa part ni de celle de ma mère pour me pousser dans les fifilleries. La mode et les mœurs n'étant pas encore à l'éducation égalitaire, j'ai été très vite classée dans la tribu des garçons manqués, comptant plus de pantalons déchirés aux genoux que de traces du rouge à lèvres de maman sur mes chemisiers. Ma mère refusait le statut minorant qu'on faisait aux femmes et mon père détestait les minauderies (enfin pas toutes semble-t-il, mais du moins pour sa fille...) J'ai donc fait du judo, été priée de faire le maximum dans mes études, interdite de dentelles et de vêtements roses (j'en connais une que ça aurait drôlement frustrée !), entendu railler les journaux féminins de tous temps, tancée sévèrement à la moindre tentation de jouer de la larme pour obtenir quelque faveur.

L'éducation différente du gros du lot, si elle comporte d'indéniables atouts, a toujours le revers de sa médaille : constatant autour de moi les trousses de maquillage complètes, froufrous aux jupons, barrettes à qui mieux-mieux et exclamations d'admiration sur leur joliesse par les parents de mes copines, ne pouvant devenir sourde aux perpétuelles remarques admiratives sur la beauté de ma mère et de ma sœur, qui de surcroît se ressemblaient énormément tandis que je suis le portrait craché de mon père, valoches comprises, j'en tirai la conclusion qui s'imposait. Faute d'être jolie ou de présenter quelque compétence féminine on me poussait à développer d'autres talents.

J'en ai parlé il y a quelque temps à ma mère, effarée de l'apprendre, la pauvre. Je ne doute pas que loin d'eux fut cette intention. Le hic c'est que les mauvais lierres de ce genre qui grandissent avec vous sont durs au désherbage.

samedi 13 janvier 2007

Dégrippage

Rien écrit depuis le 1er janvier, depuis ma ressuscitation. Enfin rien de personnel. Au début c'était délibéré, je voulais prendre de la distance, me détacher de cette série 2006-1960 qui avait un peu échappé à mon contrôle, sortir du vortex.

Je veux dire : je fus doublement surprise, par moi-même qui ne comptais que raconter des anecdotes et ai parfois quelque peu dérogé à cette règle de mon petto, par vous que je n'attendais pas à me lire si régulièrement, si complètement.

C'est marrant, je me suis sentie entourée. Il y avait quelque chose de spécial à vous savoir guetter le billet du jour, tout en n'ayant jamais le sentiment qu'il serait « jugé » (plus besoin de vous dire comme ces impressions-là me viennent pourtant facilement...), me sentant totalement libre de l'écrire ou non, et si l'écrire : comme je le voulais. Je vous assure que c'était très spécial, mais je ne sais pas trop bien comment l'expliquer.

Je vis parmi des gens, y compris certains au sein de l'équipe de Dotclear, pour lesquels l'écriture d'un blog « personnel » est une démarche asociale, monstreusement égocentrique voire mégalomane. J'ai commencé cette série avec cette idée en tête, la conviction que j'allais donner du grain à moudre à cette théorie et la décision de m'en foutre, bien décidée à ramasser les cailloux du petit poucet pour voir jusqu'où le chemin du retour me mènerait.

Ceux-là ne m'ont pas lue, soit qu'ils ne l'aient jamais fait ni même jamais lu aucun blog, soit qu'ils ne me lisent plus depuis longtemps, bien avant 2006-1960. Pour les uns ça m'arrange (ma famille par exemple), pour d'autres je m'en fiche. Mais pour certains ça me blesse, et ça n'a pas de sens ça, c'est le truc qui me turlupine, ne pas arriver à dépasser ça, ne pas comprendre pourquoi ce truc-là a soudain de l'importance puisque ça n'est pas nouveau et que jusque-là je n'y prêtais pas garde.

Ou alors je suis en effet monstreusement égocentrique, voire mégalomane. Ça craint.

lundi 25 décembre 2006

1960:00 Jésus et moi

(Ce billet est dédié à Luciole, François et leur petite Louise, née ce matin, à 2h50.)

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dimanche 24 décembre 2006

1962-1961:2-1 passages

Elles disent.

Au début, avant Massy-Palaiseau, où nous ne sommes restées que quelques mois, on a habité toutes les trois dans un tout petit studio dans le 13e. Ton berceau était au bout du lit où nous dormions toutes les deux. Le matin quand tu te réveillais et que tu as été assez grande pour le faire, tu passais de ton lit au nôtre. Tu étais très sage, tu as fait tes nuits en rentrant de la maternité, ne pleurant quasiment jamais. Par contre tu nous inquiétais, tu n'as commencé à parler qu'après deux ans bien tassés. Pas le moindre mot d'enfant auparavant, pas même « papa » ou « maman ». (Cassandre dit : si si, souviens-toi elle a dit un mot un seul jusqu'à deux ans « ca-handre », mon prénom.) La directrice de la crèche se faisait du souci aussi à ce sujet. Un jour elle nous a donné le numéro de téléphone d'un spécialiste. Tu as commencé à parler le lendemain ou le surlendemain. Incroyable.

Je me souviens.

De la crèche. Faux souvenir. Mon deuxième lycée en était tout proche et nous sommes revenues habiter quelque temps dans le treizième arrondissement quand j'avais entre 14 et 18 ans. J'y suis revenue depuis 2002. J'habite pratiquement en face. A l'époque du lycée, j'y suis allée, la directrice était la même, elle se souvenait de moi à cause de cette inquiétude qu'elle avait partagée. Il m'a semblé que je reconnaissais les lieux mais j'avais tellement envie de les reconnaître que je ne sais pas si c'est vrai.

Je me souviens que le passage d'un lit à l'autre s'est fait dans l'autre sens pendant des années avec ma sœur jusqu'à son mariage. Dès que notre mère était couchée elle venait me rejoindre dans mon lit-bateau et tâchait de se réveiller avant Maman pour retourner dans sa chambre. Quand elle est partie, j'ai eu beaucoup de mal à m'habituer à dormir seule.

1988, Maman m'aide à envoyer les faire-part de naissance de mon aîné. Elle dit : En 1962, ta grand-mère Louise était à l'hôpital, elle savait qu'elle allait mourir, un cancer. De l'hôpital elle a téléphoné à la femme de ton père. C'est elle qui lui a appris ton existence. Alors Aïda a voulu te rencontrer. J'ai dit : « Pas sans moi. » Alors ça ne s'est pas fait. Vers 1974-1975, avec Claire,[1] on nous avait demandé de faire des interview dans la rue pour un exposé. Alors on a eu l'idée de choisir comme thème la fidélité et d'aller interwiever « par hasard » la femme de mon père qui tenait une boutique d'accessoires de mode, je savais où. Je n'ai jamais osé ni même jamais osé non plus me poster à un coin de rue pour la voir sortir et connaître son visage. Je ne sais pas à quoi elle ressemblait.

Notes

[1] Claire, c'était bien avec toi ?

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