jeudi 7 février 2008

1989:3

Premier janvier. Le réveillon. Papa n’est pas là. Aucun souvenir de ma part. Ma mère se sent un peu mal. Elle n’a jamais tenu l’alcool. Mais, problème : elle est enceinte de sept mois - son réveillon, c’est au jus de pomme qu’elle le fête. Champs sur Marne, un premier de l’an, c’est désert, surtout lorsqu’on accouche sans son mari avec deux mois d’avance. Sans doute les huîtres qui n’étaient pas fraîches.

Mon petit frère est né à Brou-sur-Chantereine, Seine-et-Marne, le 2 janvier 1989. Il était si rapide que ma mère ne le sentit presque pas passer : d’après elle, la sage-femme l’a attrapé au vol. C’est quand même fort, de commencer sa vie sur Terre en boulet de canon, non ?

Les premiers temps sont difficiles et en couveuse, et il restera de santé fragile pendant quelques temps, puis finalement, deviendra comme moi : en bonne santé, et vivace. Il nous faudra des années pour voir apparaître nos différences génétiques. On se ressemble. Les frères Grimm, c’est prédestiné.

Je ne sais pas si mes parents ont un jour pensé à un troisième. Une fille ?

dimanche 25 novembre 2007

Marginalia

(Etats des lieux de ma participation au projet, et par extension de toute mon activité bloguesque passée.)

J'ai commencé à bloguer, je ne sais plus exactement, vers 2003. J'étais un jeune post-adolescent qui s'acceptait à peine, enfin, comme homosexuel. Je sortais du lycée. En bref, je commençais de façon plutôt tonitruante une vie d'adulte (je me refuse à écrire jeune adulte. Il s'agit pour moi d'un état binaire : enfant/adulte. Point.) Jusqu'alors renfermé, plutôt solitaire, insolent avec les professeurs, mais voué au silence devant les autres enfants, je renverse immédiatement la vapeur, créant de toute pièce une carapace scénique qui n'a jamais disparu : le tatou, nom de mon premier blog. Ce fut drôle, un temps. Mais plus du tout lorsque la carapace, comme une maladie auto-immune, a tenté de détruire ce qu'elle protégeait, voulant prendre sa place.

Cette histoire, c'est celle que je ne raconte pas. C'est celle qu'on voit. Un jour blanc, un jour noir. Mon corps, au sens large, est un immense champ de bataille où s'affronte le tatou et Johann. Je crois bien que jamais personne n'a réussi à comprendre pourquoi j'ai soudain refusé que l'on m'appelle par ce pseudonyme que j'avais adopté pendant des années.

Ce que je prenais au début pour une réalité, une personnalité émergente, celle de mon moi adulte qui remontait enfin à la surface après avoir dormi plus ou moins les vingt premières années de ma vie, s'est en fait avérée une maladie mentale, au sens littéral et non pas littéraire du terme.

Au lieu de m'enfermer dedans, j'ai combattu.

Au moment du pic d'intensité de la guerre, j'avais vingt ans. J'étais entouré de nombre de gens que j'avais rencontré par l'intermédiaire des blogs, et qui avait fini par constituer la base majoritaire de ma vie : amis, amants, colocataires même.

Silence - ou est-ce un soupir ?

Cessez-le-feu. J'ai vingt-et-un ans. Peu de personnes me reconnaissent. Alors, pour dire que je suis encore le même, pour rejoindre les deux bouts, assurer une continuité dans les yeux des autres, je participe au projet de Kozlika. C'est horriblement dur. Je n'ai pour l'instant fait que trois billets, les trois premières années de ma vie. Je traîne involontairement. Je lambine, parce que bientôt, il faudra parler. Parler de ces vingts ans. Parler de l'horreur qui tourne en boucle dans ma tête. Parler de ce pourquoi j'ai vu, sans comprendre, tant de gens pleurer autour de moi. Parler de ce dont personne n'ose plus me parler. Vingt ans. 2006. Encore 17 billets.

17 billets avant de comprendre. J'ai peur.

dimanche 18 novembre 2007

1988:2

Je parle beaucoup. Ca ne changera plus. Dieu m'a donné une langue très fortement pendue. Maman essaie de dériver cette tare bien peu socialement acceptable et me donne des livres. Je regarde les images et demande ce que sont les petits caractères en-dessous. Elle m'explique, me donne mes premiers cours de lecture.

Je sais lire six mois plus tard. Une malédiction dans cette éducation toute entière dévouée à la méthode globale. Il n'est pas acceptable qu'un enfant sache lire avant sa classe de CP. Plus tard, en moyenne maternelle, on m'appelera "la machine à dire les mots".

Mes parents s'arrachent les cheveux lorsqu'en voiture, je lis tous les panneaux à haute voix.

Mais tout ça a finalement bien peu d'importance, lorsque me voilà qui me demande pourquoi Maman grossit comme ça ?

1987:1

Je fais mes premiers pas en Bourgogne, dans cette Nièvre si étrangère aujourd’hui.

Je joue avec le gravier, devant la maison. C’est bon ? Aventureux, je goûte. Non, c’est pas bon. Mon grand-père tue les lézards verts à grands coups de fouet. Schlak. Tous mes souvenirs de petit enfant sont un immense patchwork d’un été sans fin.

Nous abandonnons le petit appartement dans le douzième pour un plus grand, à trois chambres, à Champs sur Marne, 77. Marne-la-Vallée est en plein développement. Moi aussi.

vendredi 16 novembre 2007

1986:0

Je suis né Johann Julien Grimm le 24 avril de l'an de grâce 1986, à 11h50, à la Clinique Michel Bizot, à Paris, douzième arrondissement. Ma maman, la fée Viviane, a gardé un fort bon souvenir de l'évènement, expédié en deux heures. Une lettre à la poste. J'étais gros, parfaitement formé, plein de cheveux sur le crâne, et légèrement en retard. J'étais bien, dedans.

Mon père, géomètre, n'eut qu'un mot simple quand il me prit dans ses bras ; il regarda ma génitrice et lui dit : "merci".

Deux jours plus tard, le réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl explose et répand un énorme nuage de particules radioactives sur l'Europe. Je m'en fous, je téte.

Mes grands-parents maternels montent de Bourgogne me voir - ma grand-mère paternelle prend la ligne 6 et vient me voir (elle habite le quinzième). Je suis le premier mâle de la génération. Enfin, pas tout à fait, j'ai déjà deux cousins maternels, mais ils ont quinze ans de plus, ça ne compte pas. Je suis le dernier Grimm mâle. Tous les espoirs reposent sur moi.

Ma mère me promène le long du Lac Daumesnil en poussette. Nous habitons Square Louis Gentil, entre la porte de Charenton et la porte Dorée. J'absorbe odeurs, sons et couleurs. Je téte encore. Il fait chaud, puis froid. L'été passe, puis l'automne et l'hiver.