lieu(x) d’habitation : Taverny (95) logements : petits pavillons en série

Cette année de 3ème est pour moi une année d’être en forme, de faire beaucoup de sport, comme j’aime et d’avoir le bonheur d’un voyage scolaire à Langenhagen près de Hanovre. Je suis encore dans un corps plutôt enfantin et ça me convient bien ; je ne parviens pas à comprendre la hâte de mes camarades filles à se souhaiter femmes, je pense très exactement Mais vous êtes donc pressées d’avoir des ennuis ? À l’époque les serviettes hygiéniques et tampons sont beaucoup plus rudimentaires que maintenant, et moins efficaces pour les seconds, alors c’est compliqué d’être discrètes. Certaines s’en sortent en jouant les drama queens et j’admire leur sens de la stratégie (puisqu’on n’a pas réussies à être discrètes, sur-jouons de ne l’être pas). C’est l’année où de petite pour mon âge, je passe à “taille normale” car ce corps d’enfant continue sa croissance, bravement. Et c’est l’année du grand bonheur d’avoir enfin trouvé une équipe de foot de filles. Mon amie Valérie T. a eu le tuyau par quelqu’un et s’inscrit aussi. C’est au FC Saint Leu, je dois faire 6 km à vélo pour aller aux entraînements. Je suis immédiatement acceptée comme arrière-gauche et sans être parmi les bonnes de l’équipe (le jeu en club est plus rude sur certains points que le jeu en vagues terrains, même si ce dernier peut finir en bagarres, ce qui n’est pas rien), je tiens mon (petit) rang. Je manque de capacités physiques et à l’époque personne ne sait m’expliquer que ça n’est pas qu’une question native mais quelque chose qui peut se développer. Par exemple faire un footing est pour moi un épuisement (alors que je peux cavaler des heures sur le terrain après le ballon), et tout ce qu’on me dit c’est que c’est peut-être à cause de mes pieds plats. . Si j’avais su à l’époque ce que je sais maintenant, je me serais organisée et les choses en serait peut-être allées différemment. Je n’ai pas pour autant abandonné le tennis, où l’élargissement de mes capacités physiques du fait des entraînement de foot encadrés et d’une part de PPG (à l’époque on n’appelle pas ça comme ça, c’est simplement une partie de l’entraînement qui vise à travailler le physique, c’est comme faire un peu de footing, ça va de soi), me fait faire des progrès fulgurants. Bien que ces séances aient lieu en extérieurs par tous les temps - souvenir entre autre d’un entraînement sous la neige avec une part de course à pied dans les champs derrière les terrains, là où la A15 ne passe pas encore ou pas tout à fait (grosse désapprobation parentale, mais je ne tombe pas malade, pas cette fois) -, je m’enrhume plutôt moins que les autres années. Mais hélas ne fait pas le rapprochement. Je me dis juste, C’est bien, je deviens moins fragile en grandissant. Nous avons un lot de ballons d’entraînements orange assez brutaux, pas moelleux du tout, que j’apprends à apprivoiser peu à peu. Un jour une camarade qui a tiré un boulet sans voir que j’étais sur la trajectoire, et le temps que je vois le ballon arriver il est déjà en plein dans mon estomac, me fait vivre une expérience de croire mourir, car si je n’ai pas de douleurs (par réflexe j’ai contracté les abdos) j’ai le souffle coupé durant de longues minutes. Cette impression d’imminence de mort (impossible de respirer) me laisse calme, une sorte de résignation un peu triste, quelque chose comme Ah bon, c’est ainsi. Bon, au moins ça ne fait pas trop mal. Et puis : On meurt jeunes, dans la famille (je pense à mon cousin Pierino mort accidentellement quand j’allais sur mes 6 ans). À un moment, le souffle revient ou plutôt redevient possible, et je m’aperçois que le monde autour avait l’air très inquiet. Et je ne comprends pas bien pourquoi.

Lors d’un match nous emportons une coupe. C’est la première fois que je connais une bonne grosse joie collective, j’adore ça. Comme nous ne sommes “que” des filles, notre trophée est une vieille coupe un peu déglinguée, qui de passer de mains en mains dans le vestiaire, se scinde en deux morceaux, le socle et le pied détaché du reste. On rigole mais on l’a un peu mauvaise quand même. Je suis agréablement surprise de constater que mes coéquipières sont encore plus revendicatrices que moi, qui dans mon environnement quotidien fait figure de presque extrémiste. C’est reposant de n’être plus celle qui est à la tête de la contestation. L’autre truc qu’on n’a pas comme les garçons, ce sont les déplacements en cars. Il nous faut trouver des parents de bonne volonté avec des voitures assez grandes pour s’y entasser. Et comme mes parents n’approuvent pas mon inscription au football (je n’ai obtenu en luttant qu’un Bon d’accord, mais tu te débrouilles, voilà les sous pour l’inscription, les sous pour la tenue et le reste c’est à toi de voir), impossible de compter sur eux. C’est tellement de la débrouille à tous les étages pour que vive la section filles, que les entraîneurs qui sont assez âgés prendront en fin de saison leur retraite et malgré nos bons résultats, personne ne daignera prendre la relève. Je suis profondément attristée, je venais enfin d’accéder à mon rêve et l’accès disparaît. Le plus proche club est à Domont, 10 km au moins et une colline à franchir. À vélo, avec des horaires limités (je continue la musique, le tennis) ça ne peut pas fonctionner. Il est hors de question que j’ai une mobylette. Et puis Domont, c’est le club fort de la région, s’y inscrire signifiera sans doute rester longtemps sur le banc de touche. Alors à la fin de la saison 77/78, faute de club, je devrais à nouveau renoncer.

Entre temps il y aura eu l’histoire de la photo dans le journal. Le jour où nous avions emporté la coupe, nous avions eu droit à une photo avant le match, ce qui me paraissait parfaitement normal car je l’avais toujours vu faire (mais pour les gars, et selon ma bonne habitude je ne m’étais jamais posée la question que ça puisse être pour nous différent). Je pensais que c’était pour accrocher dans la salle du club, là où l’on met les trophées, il y a presque dans chaque club une sorte de galerie. Et puis voilà qu’à mon retour d’Italie au retour des vacances d’été, les copains du quartier se précipitent, Hé tu es dans le journal. Notre équipe s’était trouvée dûment mise en valeur pour sa victoire, la photo était une photo officielle. Je m’en foutrais si ça n’avait à ce point un goût de juste retour des choses, car la peine ressentie en 6ème lorsque tous les garçons avaient pu s’inscrire au club local et moi pas ne s’est jamais éteinte, malgré le fait d’être un peu plus tard parvenue à mes fins. Ça me fait chaud au cœur, je ne m’y attendais pas (du tout), que les potes semblent si fiers de moi. Ce ne sera que très longtemps plus tard que je mesurerais qu’ils s’étaient plutôt bien impliqués à défendre ma présence sur le terrain à leur côté lorsque nous jouions en équipes de quartiers informelles sur notre terrain de la “zone verte”, et que cette photo leur donnait raison face aux petits mecs de la cité voisine, lesquels en étaient restés à Oui mais une fille ça joue pas au foot. Les copains pouvaient désormais dire : Oui mais si, même qu’il y a sa photo dans le journal.

Victoire un peu triste puisque je sais qu’à la saison suivante je serai à nouveau sans club. Les copains, de leur côté, abandonnent peu à peu le leur où beaucoup n’ont pas de place de titulaires dans l’équipe première de leur âge. On reviendra jouer sur notre terrain.

Au printemps, voyage d’échange scolaire à Hanovre. Je suis accueillie dans la famille d’une correspondante que je ne connaissais pas encore (car l’année d’avant nous avions reçu un gars, lequel ne participe pas à cet échange l’année d’après (peut-être a-t-il quitté ce collègue ?)), très sympa et sa famille aussi. Et le gag est que son frère aîné se révèle n’être autre que le grand charmeur de l’année passée, celui qui avait fait des ravages dans les cœurs de mes camarades, au moins plusieurs d’entre elles. Je n’ai pas compris (ni à l’époque ni a posteriori) à quoi ça tenait, il n’avait pas un physique exceptionnel, c’était un gars normal bien. Peut-être plus gentil, attentionné, que les autres du même âge ? Plus disponible ? Pour moi d’entrée de jeu il est une sorte de grand frère qui parlerait français avec un accent. Ça ne sera pas la première fois que je serais d’une imperméabilité totale de ce côté-là au charme d’un grand charmeur. Même si comme “grand frère”, il est extra.

Je n’ai aucun souci à me faire pour mon passage en seconde, j’irai au lycée public du coin, et je survole selon ma technique qui consiste à bucher dur et sans relâche et que forcément ça paie (puisque je sais beaucoup plus large que ce qui est requis). Il n’y a qu’en sport scolaire où je suis nulle comme quelqu’un qui n’aimerait pas le sport et n’en pratiquerai pas alors que j’adore ça. Quand nous pratiquons l’athlétisme, je finis au bord du malaise malgré des performances très basses. Nous sommes allées ma mère m’accompagnant, voir notre médecin de famille, mais ça ne va jamais plus loin que de dire que je suis anémiée, que ça n’est pas grave et l’on me file du fer (ce qui est une erreur dans mon cas) ou des ampoules. Des décennies plus tard, lorsque je viderai la maison de mes parents je trouverai leurs dossiers médicaux. Pour la thalassémie, mon père s’en savait atteint depuis que j’avais 10 ans. C’était avant les internets personne n’avait dû lui dire que ça pouvait toucher ses filles aussi, ni ce que ça pouvait faire en vrai. Alors je reste la fille douée, dynamique mais molle, perpétuellement épuisée et qui se bat sans arrêt pour faire comme tout le monde (en croyant quand même un peu que tout le monde, aussi, est fatigué, mais que les autres savent mieux “faire avec”).