Personnellement, j'ai vécu cette journée comme j'ai pu en témoigner, un peu abasourdie par les faits mais dans l'action. Il fallait s'organiser, essayer de réparer, se donner des coups de main chez les uns, chez les autres.
C'est 2-3 jours plus tard que j'ai commencé à pleurer et peu à peu à m'éfondrer. Mes collocs faisaient le décompte des personnes qui prenaient de leurs nouvelles; je décriais leurs comptabilités mais je réalisais que peu s'étaient inquiétés de mon sort. Pourquoi? Parce que, comme j'ai pu le réaliser à cette occasion, j'étais plutôt celle-qui-aidait, celle-qui-était-forte-et-rassurait-les-autres. J'étais amère mais je devais me rendre à l'évidence: j'y étais pour beaucoup dans cette réputation. Je me suis donc osée à exprimer davantage mon désarroi et ma douleur durant cette période. Je me suis heurtée à des réactions très vives et rejettantes de la part de certains. De toutes façons, j'étais très fuyante, complètement destabilisée. Et si ça recommençait? Et si...? Et le fond sonore d'hélicoptères et de sirènes quasi ininterrompu le jour comme la nuit les jours suivants. Ma vie se déroulait alors dans la zone la plus touchée par l'explosion.
J'ai pris la décision un jour d'aller consulter un des psychologues bénévoles qui tenaient des permanences un peu partout. Jamais avant je n'aurais pu le faire, je pensais pouvoir m'en sortir seule mais une faille s'était creusée depuis.
J'ai rencontré une femme à qui j'ai expliqué un peu ma douleur que je centrais sur l'évènement. Mais à ma grande surprise, c'est de toute autre chose dont j'ai parlé. De souffrances enfouies sous une apparente maîtrise. De mes difficultés à montrer mes doutes et à me faire aider. Bref, suite à ses conseils, il m'est devenu évident qu'autre chose avait bougé dans ma vie. Un évènement catastrophique venait de me faire réaliser combien je mettais sous silence mes sentiments pour ne pas blesser ou peut-être par peur de ne pas être aidée au fond.
J'avais conscience que j'avais eu de la chance dans les conséquences de la catastrophe, beaucoup ont perdu bien plus.
Moi, le vernis dont je m'étais enduit se craquelait et me laissait face à une inconnue. Il me revenait car je le souhaitais de lui faire une place et de l'accepter. Car mon apparente force m'enfermait dans un rôle intenable.
J'ai pris pas mal de décisions en cette fin d'année comme pour me ré-orienter. J'ai beaucoup vacillé depuis mais je suis relevée et j'ai tenu bon.
2001, pour moi, c'est l'année où beaucoup de choses ont bougé et où après être tombée, je me suis relevée et j'ai fait un pas de côté.