Je tourne à droite au carrefour et j'entame le premier des ronds points. Chemin de traverse entre les barres et les tours de cette cité. A ma gauche, le stade de foot, à cette heure vide.
Un trafic blanc dont je ne parviens à voir le conducteur roule lentement devant moi.
Lorsqu'un bruit de tonnerre très très fort me surprend.
Se superposent deux images : celle d'une femme en vêtement traditionnel maghrébin qui tombe à genoux en criant sur le trottoir; la dame près d'elle la console. Et celle d'un vieux volet de bois qui tombe d'un étage élevé d'une des tours d'immeuble.
Quand on ne veut rien voir, on ne voit rien.
Le 11 septembre est passé de 10 jours et en scrutant le ciel alors impassible, je reste sur l'hypothèse d'un bruit de tonnerre, annonçant prochainement une averse.
Le trafic blanc s'est arrêté en plein milieu de la route*. Je le double et continue ma route vers mon chez nous qui n'est pas loin.
Là, je comprends qu'il vient de se passer quelque chose de plus grave que je ne le pensais. Je suis accueillie par une de mes amies et collocataire qui m'explique que la moitié des vitres de la maison sont brisées. Elle-même a failli être blessée par les éclats.
Les voisins sortent de chez eux, les gens sont abasourdis par le bruit et le fracas des vitres. Nous ignorons d'où ça vient, ce qui s'est passé. Dans notre rue, une personne nous signale qu'une vieille dame au second étage d'une barre d'immeuble est blessée et coincée chez elle. Nous improvisons les secours. Je fais le tour avec mon amie tandis que la voisine lui parle de la rue et que deux jeunes escaladent le balcon de sa proche voisine pour rentrer chez elle et nous ouvrir. Nous la rassurons et j'appelle le samu. La ligne est sâturée, j'insiste. J'arrive à joindre quelqu'un. Il nous faut nous débrouiller car ce cas-là n'est pas prioritaire, l'usine d'AZF vient d'exploser, il y a de nombreux blessées partout en ville. Il me dit de transmettre l'info au maximum de personnes, tout le monde doit se calfeutrer chez lui, il est interdit de sortir, on ne sait pas les conséquences, il y a peut être un danger à respirer des gaz échappés. Après information, nous partons donc à droite à gauche informer les gens de la cité qui sont descendus en bas des immeubles. Des jeunes hommes, armés de rouleaux de sopalin en distribuent pour se faire une protection de fortune.
Une demi-heure peut-être est passée, le ciel est jaunâtre et dans le jardin, il pleut de la terre. Nous branchons la radio et nous calfeutrons tant bien que mal : le cadre de certaines fenêtres est sorti du mur, nous sommes à 1,5km environs de l'usine. La radio et la TV ne parlent encore de rien
Je téléphone à mes parents, mes soeurs. A 30 km, chez l'une d'elle, le bruit a été entendu. Je transmets des infos à ma mère qui travaille pas loin, sur l'origine et le calfeutrage recommandé. Tout s'organise à la va-vite, il faudra quelques temps pour que les infos officielles circulent. Nous avons de la chance d'avoir réussi à joindre nos proches, car bientôt le réseau sera sâturé.C'est dans l'après-midi que nous joindrons notre autre colloc.
La suite de la journée? nous la passons à regarder les infos sur la télé locale, la radio en double fond sonore. Plusieurs attentats? Un seul? Un accident? un avion?Nous parlons de fin du monde, de morts prochaines et massives si les gaz échappés sont réellement dangeureux.
L'alerte est levée vers 16h. Nous irons essayer de donner notre sang, assisterons à deux accidents de voiture, resterons un peu assommées par le calme en centre ville et par tout le reste.
*Je n'ai pas ressenti la secousse que décrivent d'autres témoins, probablement car j'étais en voiture. Je pense aussi avec le recul que c'est une barre d'immeuble et le trafic blanc qui auront empêcher mon pare-brise de se briser.