La vie de petite fille est toujours autant rythmée par les amitiés, on a nos jours où l'on déjeune les unes chez les autres, chez Françoise ou Véronique, ou chez moi, parce qu'on ne déjeune pas à la cantine, nous les chanceuses. Et puis il y a les jours chez ma grand-mère, et les nuits aussi, c'est le samedi soir, et plus tard, une deuxième fois par semaine, le mercredi soir aussi, et ça me fera moins loin pour marcher jusqu'à ma leçon de piano du jeudi.

J'adore dormir chez ma grand-mère, d'abord, il y a la télé, j'ai le droit de regarder Thierry-la-Fronde, qui suscitera mes premiers émois amoureux, et puis je dors dans un grand lit, même si la rue est bien bruyante comparée au calme de la chambre chez moi. Il y a mille et un souvenirs, bien trop nombreux pour faire un petit billet, de cet appartement sage et ordonné, où pourtant je ne me m'ennuie absolument jamais.

C'est l'époque des aller-retour avec ma mère dans un autre quartier, rue Marguerite, où heureusement il y a le petit monsieur, l'assistant du dentiste, pour me tenir la main et me rassurer. Il y a bien trop de ces rendez-vous, mais je suis vaillante, et j'apprendrai bien vite à supporter toutes sortes de douleurs et d'appréhension, un apprentissage qui va s'avérer des plus utiles pour les années qui m'attendent au tournant.

Cette année-là, j'aurai ma seule opération hospitalisée, des germectomies sous anesthésie totale et mon oncle aura la mauvaise idée de m'offrir Astérix et les Bretons : essayez d'éclater de rire quand vous avez la bouche toute recousue et encore les fils qui maintiennent les gencives en place ! J'en garderai pendant des années l'habitude d'être discrète et retenue. Peut-être, sûrement, trop.