Qu’elle a été douce cette année-là, insouciante et gaie avant le grand saut de 1993.

En février, je vole, je vole dans les airs, moi ! Parapente en face de l’aiguille du Midi. Sentiment d’euphorie, de liberté, d’émerveillement total. Et pourtant pas très fière quand le moniteur avec qui je volais en tandem pour la première fois m’a installé tout l’attirail sous les yeux d’une foule de curieux, et m’a crié de courir vers le vide. Et je m’envole, je m’envole et je ris de bonheur.

Je rentre à Paris me promettant d’effectuer un stage d’été pour apprendre à voler seule. Les évènements en décideront autrement.

31 mars. Un carrefour. Un choc. Tête-à-queue multiples. Bruit de tôle et cri de peur. Hôpital Saint Antoine, un genou à réparer, clouter, immobiliser.

Julio ne peut s’occuper de moi, la moitié du temps à l’étranger. Je ne peux rester seule, ni continuer à travailler, plâtrée jusqu’en haut de la cuisse, interdite de marche pour trois mois. Direction Bretagne, la maison de mon enfance, chez papa-maman.

Passé les premiers jours un peu déprimés, ces trois mois seront des vacances paisibles, douces, gaies. Il fait beau dans le jardin, sous mon grand chapeau de paille (je fuis le soleil, à cause des anti-coagulants), je lis, j’écris un peu, et surtout je brode. Quand on ne peut bouger, jouer avec les couleurs et s’occuper les mains est idéal. Je dessine une nappe parsemée de papillons, les orne de fils multicolores. De cette année-là, les papillons resteront mon emblème, ils le sont encore.

J’apprends à maîtriser l’art de la douche assise sur une chaise de jardin en plastique, le plâtre enveloppé dans un sac poubelle grand format. J’arbore les salopettes de grossesse de ma sœur, assez vastes pour contenir ma jambe encombrante et dotées de poches sur le devant où j’enfouis tout le barda que je ne peux porter, les bras tout occupés de mes béquilles.

On me chouchoute, on me rend visite, on me promène, on m’emmène dans des restaurants où j’occupe deux chaises. Le printemps est beau, l’été s’annonce de même. Je n’ai pas du tout envie de reprendre le boulot début juillet… Et pourtant, un jour de juin, je suis sortie de Saint Antoine sur mes deux pieds, claudiquante, les larmes aux yeux. C’est si beau de marcher.

A la fin de juin, résignée, je décroche mon téléphone pour discuter des modalités de ma reprise de boulot la semaine d’après. On me répond mystérieusement gêné. La direction se décide à me rappeler : j’apprends sur la terrasse, cheveux mouillés bouclant dans le soleil du matin, que je suis licenciée, ainsi que les personnes qui constituent le service marketing dont je fais partie, et dont la boîte se sépare. Plus précisément, je serai licenciée dès que je remettrai mes pieds valides dans la maison. Autant ne pas me presser. Cela tombe bien, je ne me sens pas encore tout à fait d’aplomb sur mes quilles : un mois ou deux de vacances supplémentaires à les faire nager dans l’eau de ma Bretagne leur seront fort agréable et bénéfique. Je suis soulagée. Je n’aimais pas ce job. J’aviserai à la rentrée…

A la rentrée, je retourne dans la chaine de télévision qui m’avait fait travailler par intermittence depuis quelques années. J’y travaille sur un projet d’émission imbécile mais rigolo. Tellement imbécile qu’elle ne sera pas diffusée (et vu le nombre d’imbécilités que diffuse la chaîne en question, c’est une performance). Le chômage me menace. On me propose une autre émission, pas du tout rigolote celle-là : on y parle de meurtres, de cadavres, de boyaux à l’air racoleurs. J’ai failli vomir en voyant le pilote. Mais c’est ça ou l’ANPE. Je choisis l’émission-cauchemar. Merde. Pas jolie façon de clore une jolie année.