Cet été-là, le soleil a rendez-vous avec la lune. Une éclipse totale de soleil visible depuis la France, on n'a pas vu ça depuis des décennies ! Inutile de dire que j'attends l'événement avec la plus grande impatience. En fait, pour tout dire, je l'attends depuis quinze ans.

J'ai toujours été passionné d'astronomie. Pendant la canicule de 1976, mon père et moi dormions dans le jardin - il faisait beaucoup trop chaud à l'intérieur. Je me rappelle encore le plaisir que j'avais à contempler la voûte étoilée avant de m'endormir, couché sur mon lit de camp à quelques pas de la maison. À l'adolescence, fréquentant assidûment le club d'astronomie local, je découvre les beautés du ciel au travers d'un télescope. Plus tard, je fais des études de physique, peu brillante dans l'ensemble, sauf en astrophysique où je récolte systématiquement les meilleures notes. Encore un peu plus tard, je travaille dans plusieurs observatoires professionnels. À l'époque de l'éclipse de 1999, je suis président d'une association d'éducation populaire, où je promeus l'idée que comprendre le fonctionnement de l'Univers tout en s'émerveillant des spectacles gratuits qu'offre le ciel sont de bons moyens de lutter contre les superstitions et l'obscurantisme.

J'assiste à l'événement tant attendu en compagnie de mon ami Bacchus, dans un coin perdu à la frontière franco-allemande. La belle Vesta dont je partage la vie depuis six mois est loin, elle occupe un job d'été en Auvergne ; comme le seul opérateur de téléphonie mobile que nous recevons est allemand et que mon abonnement ne couvre pas l'international, je ne peux même pas la joindre pour partager avec elle ce moment magique où la lune occultant exactement le disque solaire, les spectaculaires jets de matières de la couronne apparaissent. Heureusement, nous avons tout prévu ! À l'instant fatidique, elle porte une de mes chemises tandis que je porte l'un de ses t-shirt ; et sitôt l'éclipse terminée, nous échangeons quelques mots par courrier électronique...

Car 1999 est également la dernière année où je suis rentré dans le placard. J'assume plutôt bien mon homosexualité à cette époque, j'ai même accepté l'idée que vivre une relation stable avec un homme était possible ; mais le hasard veut que Vesta croise ma route lors d'une quelconque réunion professionnelle. Nous nous revoyons plusieurs fois, chacun surpris de se trouver si bien avec l'autre, moi qui lorgnait plutôt vers les garçons et elle qui s'était jurée de rester célibataire suite à des violences conjugales. Un mois après, nous formons un couple inséparable.

Évidemment, l'idylle ne dure pas. Qu'elle soit innée ou acquise, on n'échappe pas à sa nature profonde. Vesta est magnifique, nous nous entendons parfaitement sur tous les plans, mais il lui manque désespérément un petit gros quelque chose au niveau du bas-ventre pour me la rendre totalement désirable ; et de son côté, ses vieux démons la reprennent qui la font se méfier de tous les hommes, à commencer par moi. Nous devons nous séparer à regret en novembre.

Est-ce l'échec de cette dernière tentative hétérosexuelle ? Est-ce parce qu'Uranus (mon ex-colocataire dont je suis secrètement amoureux depuis dix ans) se marie et devient papa, anéantissant tout espoir pour moi de revivre un jour avec lui ? Je ne sais pas. Toujours est-il que les crises d'angoisse me reprennent. Mais cette fois-ci, je ne me laisse pas faire ! Fin décembre, je prends rendez-vous chez un grand psychiatre parisien.

Tourner définitivement la page de l'hétérosexualité (avec tout ce que cela implique socialement) et débuter une psychothérapie : voilà des tempêtes qui me terrifient bien plus que celle qui dévaste la France deux jours plus tard.