Comment parler de ce moment-là ?

Dire que j'étais dans la rue, que je cherchais un cadeau, pourquoi pas. Que le téléphone a sonné, que mon ami a décroché, qu'il m'a passé le portable. Me souvenir qu'au téléphone la voix trop familière était pleine de larmes, c'est exact.

Dire que j'ai compris tout de suite, mais qu'il a fallu quand même que je demande, qu'on me répète. Que je pouvais prononcer les mots, mais pas les croire.

Je ne crois pas avoir pleuré, pas tout de suite. Et même si dans les jours et les semaines et les mois qui ont suivi les larmes ont coulé, celles-là, les premières, sont restées bloquées. Quelque chose en moi aussi s'était arrêté, signe de protestation infime en comparaison du scandale de mon corps fonctionnant comme avant, comme si mon ciel ne s'était pas déchiré, n'avait pas vomi la cendre et la boue.

A partir de ce moment, j'ai continué à vivre.

(Ce n'est pas du jeu, je sors du tableau, mais il est trop douloureux de finir ainsi. J'ai continué quatre ans, et puis le ciel s'est ouvert une nouvelle fois, et cette fois c'était de l'eau, mes larmes enfin dans lesquelles j'ai failli me noyer, et une main qui m'a lâchée pour que j'apprenne à chercher mon souffle. Et je vis.)