Comment parler de ce moment-là ?
Dire que j'étais dans la rue, que je cherchais un cadeau, pourquoi pas. Que le téléphone a sonné, que mon ami a décroché, qu'il m'a passé le portable. Me souvenir qu'au téléphone la voix trop familière était pleine de larmes, c'est exact.
Dire que j'ai compris tout de suite, mais qu'il a fallu quand même que je demande, qu'on me répète. Que je pouvais prononcer les mots, mais pas les croire.
Je ne crois pas avoir pleuré, pas tout de suite. Et même si dans les jours et les semaines et les mois qui ont suivi les larmes ont coulé, celles-là, les premières, sont restées bloquées. Quelque chose en moi aussi s'était arrêté, signe de protestation infime en comparaison du scandale de mon corps fonctionnant comme avant, comme si mon ciel ne s'était pas déchiré, n'avait pas vomi la cendre et la boue.
A partir de ce moment, j'ai continué à vivre.
(Ce n'est pas du jeu, je sors du tableau, mais il est trop douloureux de finir ainsi. J'ai continué quatre ans, et puis le ciel s'est ouvert une nouvelle fois, et cette fois c'était de l'eau, mes larmes enfin dans lesquelles j'ai failli me noyer, et une main qui m'a lâchée pour que j'apprenne à chercher mon souffle. Et je vis.)
5 réactions
1 De samantdi - 19/03/2007, 10:58
"Dire que j'ai compris tout de suite, mais qu'il a fallu quand même que je demande, qu'on me répète. Que je pouvais prononcer les mots, mais pas les croire."
Cela ricoche en moi, ces quelques instants. Il me semble je n'ai pas compris tout de suite, je m'accrochais à la part confuse de l'expression "avoir un accident" et "quelque chose de grave".
Cela ricoche d'autant plus en moi, Pistil, que ces jours-ci je pense souvent à ce moment-là, peut-être justement à cause des "ricochets", il me semble que ce moment a aspiré toute l'année 1990 et puis les années 1991, 1992, que je ne pourrai re-écrire des billets avec "une histoire" qu'à partir de 1993...
2 De meerkat - 19/03/2007, 12:16
A Pistil et Samantdi.
Chez moi aussi ce billet résonne très douloureusement. Et je retrouve cet instant où l'on ne peut tout simplement pas y croire, où l'on se transforme en automate, cette sensation horrible de flottement dans l'irréel. Moi, c'est un peu différent, c'est arrivé complètement brutalement à la maison. Et le jour même, je m'attendais vraiment à ce qu'il se lève et s'encadre dans la porte en disant : ah je t'ai fait une bonne blague n'est-ce pas ?
Et tous ces moments où l'on voudrait se blesser physiquement dans l'espoir que la tête et le coeur soient moins douloureux. Et tant de temps avant de se sentir un tant soit peu vivre. Moi aussi Pistil, il m'a fallu beaucoup d'années, et j'exècre la norme du "faire son deuil".
Pour reprendre ce que tu dis Samantdi, j'éprouve un peu comme toi. Cela a tellement tout obscurci que les années qui ont suivi m'ont semblé de plomb, si lourdes et si grises. Et je bloque complètement pour les raconter. Et je me demande si je ne vais pas, contrairement à ce que j'avais pensé, repartir de zéro plutôt que de maintenant.
Je vous embrasse.
3 De anita - 19/03/2007, 18:29
Chères vous trois, chères frangines avec histoires à trous et tunique de Nessus, l'envie là, virtuellement, de vous prendre les mains-je sais, j'en ai que deux et vous êtes trois et bien plus certainement-mais on s'en fout, c'est l'avantage du virtuel, je peux avoir trois mains-parce qu'il va falloir, moi aussi, que je m'approche du cratère un jour.
De ce ce j'ai compris de l'hospitalité de Dame Kozlika, c'est qu'il n'y a pas de règles, pas d'obligation. Qu'on est pas obligé de nourrir toutes les années, et que celles qui sont impossibles à mettre en mots, on peut dire "rien" ou "merde", ou tout autre juron efficace pour conjurer la peine.
Je m'avance peut-être, mais l'hôtesse rectifiera.
Juste pour dire que , peut-être, Perle, tu n'es pas tenue de "sortir du jeu" parce que tu joues à saute-précipice.
Ah et puis, des bises, et encore des bises.
4 De anita - 20/03/2007, 00:42
mon clavier a fourché de perle à pistil...
5 De Pistil - 21/03/2007, 13:22
Merci ...