11 Ans. C'est la rentrée en 6 ème, au collège, à deux pas de là où je demeure. Je suis petite, trop petite. On me prendrait facilement pour une enfant de 8 ans, ce qui me vaut les places d'honneur, au premier rang face au tableau noir, devant l'estrade où les profs défilent. Toujours aussi timide, toujours aussi introvertie, je suis mal à l'aise face à ces adultes. Ce n'est plus l'institutrice presque maternelle mais plusieurs professeurs que, soit j'indiffère, soit j'énerve par mon côté trop renfermée. 11 ans, c'est aussi une belle rencontre avec celle qui deviendra mon amie durant les années qui suivront. Et lorsque 5 ans plus tard, elle se choisira une autre amie et me tournera le dos, je le vivrais comme une rupture amoureuse, comme une trahison, comme un abandon. En attendant, je découvre le plaisir d'échanger, des petits et des grands secrets. Elle vit avec ses parents et ses frères et soeurs dans une jolie maison, dans un lotissement derrière la piscine. Ses parents sont accueillants. je trouve son père sympa et sa mère tellement jolie. Elle aussi je la trouve jolie, je n'ose l'inviter chez moi. J'imagine que chez moi c'est pas assez bien pour elle. Chez moi, c'est un appartement dans un vieil immeuble en centre ville. 4 pièces dont deux chambres sans chauffage et pas de salle de bain. Je découvre les classes sociales. La mienne c'est celle des smicards, des petites gens J'observe dans la cour du collège les groupes qui se forment par affinités sociales. Mon père me rafraîchit régulièrement la mémoire en m'expliquant qu'on ne se mélange pas avec les "riches", riche étant pour lui toute personne de la catégorie "plus aisée que lui, et plus intelligent. Oui, car pour lui, être intelligent c'est avoir des diplômes. Et avoir des diplômes, c'est réservé aux gosses de riches. La famille de mon amie n'est pas riche. Ils sont juste propriétaires de la maison qu'ils viennent de faire construire. Je ne savais pas avant qu'on pouvait avoir une maison à soi. J'envie mon amie d'avoir une salle de bain, un grand jardin et une chambre avec un chauffage électrique. Je ne comprends pas encore qua ma mère, sous ses kilos en trop et son tablier fleuri, est une pierre précieuse. je mettrais des années à le comprendre. L'adolescence nous rend idiot et aveugle. Nous sommes en 1971. Moi, j'ai 11 ans et je suis aveuglée par un ailleurs où l'apparence peut faire croire au bonheur.