Qu’elles sont longues, les heures d’attente, les heures d’angoisse, les journées vides, interminables.

J’essaie de me lever le matin à la même heure que quand je travaillais. Je me mets à mon bureau. Téléphone à portée de main, et aussi mon grand cahier de « contacts » où je note scrupuleusement à qui j’ai adressé mon CV, les relances téléphoniques, les espoirs de rendez-vous, l’accueil qu’on m’a fait, ceux qu’il convient de rappeler et quand, les fins de non recevoir… Ce cahier-là, je l’ai retrouvé quelques années après. Je l’ai déchiqueté consciencieusement. Souvenir d’heures sombres.

Il m’arrive de pleurer de découragement quand on m’a envoyé balader trop sévèrement, quand je n’ai plus la moindre idée de qui appeler, quand la liste des CV envoyés m’apparaît cent fois supérieure en nombre aux rendez-vous décrochés.

Je ne fais pas grand-chose d’autre. De toute façon, l’argent s’amenuise. Et toute autre activité me fait culpabiliser : que fais-tu là, dans cette salle de cinéma, dans ce parc, dans cette rue, alors que tu devrais chercher du travail ?! Vers 18 heures, les jours de semaine, la tension se relâche. J’ai le droit de revenir dans la vie, au même rythme que les autres, ceux qui sortent des bureaux.

Je vends ma voiture. Plus les moyens de l’entretenir. Et un petit pécule pour quelques temps, pour éviter de demander à mes parents de m’aider trop souvent.

J’essaie les agences d’intérim. On m’envoie promener. Je n’ai aucun diplôme « qualifiant ». J’ignore combien de mots je tape à la minute. Mon expérience de gestion d’équipes, d’organisation de lourdes émissions de télévision, ne sert à rien, n’existe pas. J’envisage de changer de ville, de vie, rien ne marche.

Dans le brouillard de cette année-là, une seule lueur : j’ai découvert Arnaud Desjardins. Il m’ouvrira des portes de conscience que je ne soupçonnais pas. Grâce à lui et d’autres qu’il me fera connaitre, je ne sombrerai pas tout à fait.

Les mois passent et je ne sais plus à quel saint ou à quel démon me vouer. Un jour, mon opticien qui est devenu un copain (je fais des allergies oculaires à répétition et j’ai changé plusieurs fois de lentilles au cours des dernières années) m’indique un de ses clients réguliers, un producteur. Il m’incite à l’appeler de sa part. Même si la recommandation est pour le moins étrange, je n’ai rien à perdre. J’envoie mon CV, appelle ; il est passablement désagréable au téléphone. Me rappelle 15 jours après : il vire son assistante. Me propose le poste. J’ai l’impression de sortir la tête de l’eau après avoir failli me noyer. Je ne sais pas encore que ce ne sera pas la solution de tous mes problèmes. Quinze jours avant de commencer ce nouveau boulot, en novembre, j’arrête de fumer mes deux paquets quotidiens.

Le 31 décembre de cette année-là, j’achète un pot de peinture rose, repeins ma salle de bains un peu n’importe comment, sans même y avoir pensé avant. Changer de décor. De vie ? Au réveillon, j’arriverai avec du rose dans les cheveux sinon dans le cœur.