Reprendre le fil de la réalité : un défi quotidien, challenge anodin de chaque vie qui se rêve au détour d'une rencontre, d'un regard, d'une lettre. Echaffauder mille dénouements, écrire quelques suites, une continuité... : au final, ne rien vivre. Apprendre ses rêves, sublimer les désirs et les transformer en carburant - quand ce n'est plus que l'intangible qui pousse hors de soi...

2004 : J'ai l'impression de prendre du recul sur tout, y compris (surtout) sur moi. J'achève des incommencés, je tourne des pages, la vie continue...

Je range (définitivement ?) dans ma boîte à souvenirs mon étrange ami-aimé fantôme, devenu (enfin) père à l'orée du printemps, ultime défi pour cet écorché qui s'est toujours demandé ce qu'il avait à faire sur Terre. Je reste persuadée que c'est ce qui pouvait lui arriver de mieux pour donner un sens à sa vie... Il m'aura accompagnée quelques années, favorisé mon (r)éveil. Je ne pourrais sans doute jamais le remercier d'avoir été là quand j'ai eu besoin de me remettre en moi... mais il n'y a pas de hasard. Nous nous serons vus tout au plus une dizaine d'heures dans toute notre vie et passé des heures à "discuter" sur Internet. Il est retourné dans son intangibilité cette année-là, avec cette épaisseur fantasmagorique qu'il avait tout au début, mais les ecchymoses resteront encore quelques années de plus. Pas des plaies, non. Juste des bleus. Curieuse relation, pleine de démons à exorciser.

Je déménage dans le fin fond de la campagne dans un bourg de 300 habitants, premier achat immobilier (plus important symboliquement parlant pour mon chéri que pour moi - je ne dois pas avoir l'instinct grégaire...). Mes écritures prennent leur envol (signe de ma nouvelle "maturité" ?). Mon premier roman perd une bonne moitié de son épaisseur grâce à un travail sur le style mené avec un écrivain-linguiste que je n'aurais sans doute jamais rencontré sans Internet. Depuis un peu plus d'un an je suis modératrice d'un salon de discussion à thématique "littéraire" sur le Net et, nonobstant les aléas et les inconvénients des conversations virtuelles, ce mode de communication sera sans aucun doute une grande goulée d'air dans ma solitude intellectuelle (difficile en effet de "causer littérature" dans mon village de 300 âmes...).

Ce sont souvent des prémices de camaraderie, des oreilles plus ou moins attentives aux coups de blues impromptus, de grandes discussions existentielles sur le pourquoi du comment, le sens de la vie et autres questionnements métaphysiques dont nous sommes friands. Et beaucoup de délires et de fou-rires, aussi. Des amitiés se construisent quelquefois, parfois solides, souvent concrétisées par une ou plusieurs rencontres "en vrai". Je suis plutôt sélective dans mes rencontres de "tchatteurs". Pas n'importe qui, pas n'importe comment, pas tout de suite. Prudence est mère de sûreté.

Inévitables jeux de séduction, aussi, favorisés par le côté "inoffensif" du virtuel. Même si je suis toujours très claire sur ma situation maritale et familiale (ce qui suffit en général à calmer les ardeurs des séducteurs impénitents) et sur ce que je ne veux pas (ce qui pose tout de suite les limites), certaines relations tiennent du badinage élégant, voire carrément épistolaire. Au jeu de l'amour sans hasard, j'y brûlerais tout de même un peu mes plumes, avec un jeune jouvenceau qui avait extrapolé le marivaudage en promesse de liaisons plus dangereuses. J'ai congédié l'inopportun et ses fantasmes déplacés sans aucun état d'âme... ce fut ma seule désillusion avec les gens rencontrés via le salon Livres. Il en fallait bien une...

Dans le même temps (ou presque !), j'incommence une belle histoire de façon totalement inattendue au cours d'un déjeuner réputé amical qui tourne au coup de foudre unilatéral. Gentleman, l'amoureux éconduit (... malgré mes envies...) n'insiste pas et l'histoire qui n'a pas commencé se termine là, sur un trottoir de Saint-Germain des Près. Elle aurait sans doute été belle, simple, passagère surtout, sans lendemain. Une parenthèse. J'en ai eu envie, un moment, et puis... la raison reprend le dessus.

Je ne sais pas si un jour je saurais faire passer mes envies avant mes principes ("cette intégrité qui te donne une certaine luminance", m'écrira joliment plus tard une amie) mais l'aventure (ou plutôt la non-aventure, en l'occurrence !) m'apprendra que je ne sais toujours pas assumer le désir ou même les sentiments que je peux susciter chez l'autre (et particulièrement chez les hommes). Ne sachant pas l'assumer, je me retrouve toujours dans des situations au mieux frustrantes, au pire génératrices de souffrances. Et pourtant, je ne peux pas m'en empêcher, c'est quand je sais que je "plais" (au sens large) que je m'épanouis. J'ai besoin de me voir dans l'oeil de l'autre pour exister à moi-même...

2004 : Recul sur moi, changement de maison, je commence à chercher un autre boulot. Et j'entame une seconde grossesse. La vie continue...