Cela faisait un moment que ça cheminait en moi l’envie d’écrire à nouveau, surtout de reprendre une écriture du quotidien, l’envie de tenir journal. Depuis l’année précédente j’avais déjà quelques notes discontinues, notes de voyage, notes de lecture, moments captés, qui s’accumulaient sans ordre dans mon ordinateur.

Auparavant j’avais écrit mon journal comme beaucoup, en sortant de l’enfance. C’était un journal de découverte, plutôt optimiste, un journal de mes enthousiasmes, mais teinté aussi forcément des questionnements et des inquiétudes propre à l’adolescence. Je l’avais repris jeune adulte dans un contexte plus difficile, lorsque s’étaient accumulées les déconvenues sentimentales, lorsque mes engagements avaient cessé d’aller de soi et que j’avais commencé à m’interroger sur ce que masquait de mal-être en profondeur un certain surinvestissement militant. A certains moments il avait pris même un tour auto thérapeutique explicite puisque je l’avais sous-titré « journal de guérison ».

Après une nouvelle longue interruption j’avais rédigé, en 1994-1995 une centaine de pages de fragments autobiographique et de temps à autre je m’étais essayé à quelques petites nouvelles dans des registres très différents.

Mais ces moments d’écriture qui pourtant m’apportaient du plaisir étaient aussi chargés d’ambivalence. A quoi ça rime d’écrire, me disais-je, je ne pense pas avoir le talent permettant d’envisager de publier, je n’ai pas le rêve de devenir « écrivain » susceptible de vivre au moins en partie de sa plume. Alors taquiner la muse juste comme ça ? Ce n’est pas sérieux voyons maintenant que ma vie est installée dans des rails plus classiques : mariage, enfants, vie professionnelle stabilisée et fonctionnarisée. Ecrire comme ça, juste pour soi, ce n’est pas une pratique d’homme responsable qui doit s’investir à plein dans sa vie concrète et quotidienne, dans l’activité professionnelle dans laquelle il est censé développer une « carrière ». Et un journal intime c’est encore plus suspect. Si ce n’est pas celui d’un « grand écrivain » ou d’un mémorialiste ayant vécu des choses exceptionnelles, tenir journal ce ne peut être qu’une affaire d’adolescent, pour ne pas dire d’adolescente ou à la rigueur de femme au foyer plus ou moins désoeuvrée (bonjour les clichés !).

Là encore ma rencontre avec l’Association pour l’Autobiographie a joué son rôle. J’avais eu vent de son existence par des articles, la toute première fois, je crois, par un article du Monde des Livres sur le Journal de Lucile Desmoulins publié et commenté par Philippe Lejeune en 1996, article que j’ai gardé ce qui est significatif. J’avais trouvé d’emblée intéressante l’idée de cette association d’accueillir journaux et mémoires de personnes ordinaires. Je disposais d’ailleurs, venu de la famille de ma femme, de la copie d’un récit de vie un peu lacunaire mais très intéressant datant des années 1860 que j’ai effectivement déposé à l’association cette année, y adhérant dans la foulée. Mais du même coup ce sont mes propres écritures qui ont trouvé légitimation et donc sens. L’idée que nous étions nombreux à avoir ces pratiques d’écriture, l’idée que même non édité ce qu’on écrivait pouvait être lu par un micro lectorat, pouvait ensuite s’inscrire dans une continuité, être une petite part du patrimoine humain dans sa diversité, faire témoignage auprès de générations futures, tout cela rendait en quelque sorte plus licite l’activité d’écriture du non professionnel que j’étais.

J’avais aussi découvert début 1999 sur internet (déjà !) un site québécois « L’ intimiste » qui n’était pas un journal en ligne mais plutôt une réflexion autour de l’écriture intime et qui m’avait fait prendre conscience de l’importance et de la valorisation dont elle bénéficiait de l’autre côté de l’Atlantique, bien plus qu’en France. Ce site naturellement évoquait les nouvelles possibilités qu’offrait internet ce qui tout de suite m’avait interpellé et intéressé.

Ma première entrée date du 14 avril. J’y faisais le point sur mon rapport à l’écriture depuis mon enfance et sur le projet que je pouvais avoir désormais en recommençant l’écriture d’un journal personnel. J’y évoquais l’idée d’un journal avec une part intime mais qui soit aussi journal extime, fait de chroniques, de compte rendus subjectifs de lectures ou de spectacles, qui soit aussi « cahier d’admiration » pour rendre compte et conserver mes enthousiasme devant une œuvre, un paysage, une personne. C’est bien ce programme que j’ai suivi. D’emblée j’avais trouvé ma formule, un certain équilibre entre intime et extime et qui a prévalu depuis tout au long de ma pratique, sans changement majeur finalement que ce soit pendant les années où mes notes sont restées au fond de mon ordinateur ou ensuite lorsque je les ai mises en ligne, d’abord sur un site classique puis sur un blog. Dès que j’ai repris l’écriture c’était bien avec l’idée que ces pages avaient potentiellement des destinataires, qu’elles s’inscrivaient dans une forme de communication, fut-elle encore abstraite et renvoyée à un futur indéterminé.

Je suis frappé finalement par la constance du ton de mon journal avant et après sa mise en ligne. Il y a des nuances bien sûr, la communication y est désormais plus présente puisque immédiate, inscrite dans le présent même de l’édition en ligne mais à coup sûr l’idée d’un lecteur a été présente à partir du moment où j’ai repris, d’emblée j’ai su que j’écrivais pour moi mais que j’écrivais aussi dans le même temps et indissociablement pour autrui, que c’est cela qui créait la motivation, qui donnait sens.