J'avais un chien. Un boxer baveur aux oreilles et à la queue coupés comme les cannons de l'époque le préconisaient.
Nous nous entendions comme larrons en foire. Une petite fille et un chien, du même âge mental, dans un grand jardin, sont faits pour s'entendre. J'avoue que je ne me le rappelle pas. Sans doute avons-nous échangé intensément, mais ce fut sur un temps tellement court, les bribes de souvenirs qui me restent m'ont été racontées.
Au fond du jardin, il y avait un grand et superbe noyer, qui produisait, comme vous pouvez vous y attendre, des noix. Je les adorais, j'aurais fait n'importe quoi pour en croquer une. Avec mon ami chien, nous avions passé un marché; il cassait la coque et j'allais récupérer au fond de sa gueule les cerneaux délicieux. Autant vous dire qu'ils étaient couverts de salive, et la salive de boxer est par nature compacte et odorante. Je suppose que ma mère se rendit vite compte de la statégie et qu'elle y mit fin de façon musclée.
J'avais aussi une autre sale habitude. Losrque que ce pauvre animal mangeait, je m'amusais à lui ôter la gamelle, puis à la lui rendre. Le cinéma dura, dura jusqu'a ce qu'il en ait plus qu'assez et saisisse ma main. J'ai hurlé bien sûr. Mes parents, aussitôt accourus, ont sans doute pris la mesure des dégats. Ma mère m'a avoué, longtemps après, que je ne saignais pas, mais qu'ils avaient profité de la situation pour se défaire de l'animal qu'ils trouvaient trop difficile à élever.

Aurai-je réagi de la même manière? C'est vrai qu'on n'a pas à prendre de risque et que la sécurité d'un enfant passe avant toute chose.
C'est drôle les souvenirs. Je me rends compte que ma vie de petite fille n'est qu'une suite d'instantanés photographiques vus et revus. Toutes ces questions que l'on pose à sa famille, à ses parents pour savoir, comprendre, enregistrer, comme s'il fallait, pour se l'accaparer, apprendre sa vie par coeur.