1966, l'année de la naissance de Frank, mon petit cousin.

J'ai déjà écrit tout ça, mais je ne m'en lasse pas.

Voilà ce qui se passe. Les vieilles personnes de ma famille sont mortes, la Tatie Delphine, mère de mon papy et son frère l'Oncle de Paris. Nous sommes désormais trois dans la maison biscornue et noire : mon papy, ma maman et moi. J'ai cinq ans, et ma vie est belle. Je suis une petite princesse. Je marche, je vais à l'école, j'ai des copines, j'aime mes poupées, mon chat noir s'appelle Bamboula. J'aime fouiller dans les armoires, mettre les chaussures à talon bobine de maman et marcher dans la chambre en regardant mes pieds.

Parfois je me couche sur le dos dans les allées du jardin et je me perds dans la couleur rouge des tulipes.
Je passe beaucoup de temps à rêver en regardant les formes disloquées des nuages.

Tout va merveilleusement bien.

Sauf une chose.

Je voudrais une petite soeur ou un petit frère. Pour faire la grande, commander, jouer à la maîtresse, mais surtout, pour pousser le landau, le promener dans le jardin, peut-être même dans la rue.

Je veux une petite soeur. Ou un petit frère.
Je le veux.

Le adultes ricanent.

Ah ça, dit maman, n'y compte pas !

Un jour cependant, mon papy m'apprend la nouvelle : ma marraine de vingt ans va avoir un bébé !

Il naît le 19 décembre 1966, il s'appelle Frank, Pierre, Yves.
Ma mère est sa marraine, et moi, je suis sa cousine.

C'est le premier garçon que je vois tout nu, je suis étonnée par son entrejambe garnie. Il est bien plus petit et noiraud que je ne l'imaginais.
Mais ces petits détails sans importance ne sont rien par rapport au raz-de-marée qui me submerge : mon rêve s'est réalisé, un bébé est entré dans ma vie, je suis devenue l'aînée de quelqu'un, une grande, comme je le voulais.