Je suis arrivée comme le cheveu sur la soupe. Non désirée, refusée, niée, détestée, j'ai grandi dans le ventre de ma mère malgré tout. Mon désir de vivre, dès ma conception fut le plus fort... j'ai résisté, me suis développée, accrochée en cette matrice qui avait déjà accueilli deux filles et deux garçons, voulus, aimés, chéris. Me battant avec mes modestes possibilités, ma mère eu une grossesse pénible. Souffrant de terribles nausées qui l'épuisait, elle menait sa petite famille comme elle pouvait, se déchargeant sur les grandes, pré-adolescentes, que cette nouvelle vie ne satisfaisaient pas non plus. Il n'y a que les deux petits qui souriaient à l'idée d'avoir bientôt un bébé à la maison, pauvres bouts de chou de six et huit ans. Mon père, lui, allait son train... travail la semaine, artisan du bois avec passion le week-end. De plus, il n'avait pas son mot à dire.

Au fur et à mesure que le ventre s'arrondissait, l'épuisement se faisait de plus en plus présent. Physiquement au bord de la rupture, mentalement contre cette chose en son sein, elle haïssait de plus en plus cette déformation de son corps. Elle qui s'était émerveillée les autres fois de cette transformation, ne le supportait plus. Arrivée à un âge où elle cherchait à plaire, à séduire, avant que le temps ne joue son oeuvre, elle ne supportait pas ses odieuse nausées qui lui faisaient le teint cireux, ses magnifiques cheveux auburn qui se ternissaient, ses traits tirés de fatigue, et surtout ce poids en avant qui lui faisait changer son port, son point de gravité ayant basculé. C'était aussi cette poitrine qui s'alourdissait, ces hanches qui s'épaississaient, ces jambes qui se gonflaient.

Et moi, je continuais à me développer, percevant cette haine imperceptible et luttant de toutes mes forces pour rester en cet endroit chaud et confortable, malgré les efforts évidents pour m'en déloger. Puis vint le jour où je m'engageais vers mon premier voyage... vers la lumière, l'air, le froid. Par un malencontreux hasard, ce jour là, ou plutôt cette nuit là, les sages-femmes étaient en grève. On donna à ma mère, dont le travail n'était pas très avancé, un médicament pour que cesse mon voyage quelques temps. Le matin arriva, et c'est à neuf heures que je poussais mon premier cri... le libérateur, qui défroissa mes poumons.