Juillet.
En route vers la ville de N.
Jules conduit, Coloc à côté de lui. Je suis derrière et je rêve, je suis la seule à savoir que je vais rejoindre D. Officiellement, nous allons à l'anniversaire de Fricotin.
Je suis dans ma bulle de silence et de jubilation.
Le fait que ce soit Jules qui m'amène là où je vais m'amuse beaucoup. Jules a été mon compagnon puis il m'a quittée parce qu'il ne m'aimait plus, il y a neuf ans. J'ai cru en mourir de chagrin mais finalement, je ne regrette rien et nous sommes mêmes redevenus bons copains. Il y a entre nous cette complicité un peu ambiguë des gens qui se connaissent de l'intérieur, buffet de Tante Agathe et repas de famille compris.

A une halte sur une aire d'autoroute, Jules annonce le déroulement de notre séjour : lundi, nous sommes invités chez Stéphane et Nathalie, puis le lendemain chez Pierre et Marie, et le mercredi...
"Mercredi, dis-je, l'air de rien, je ne serai pas là."
Les deux têtes se tournent vers moi en même temps.
"Ben quoi ? Tu seras où ?"
"A M."
"A M. ? Mais qu'est-ce que tu vas faire à M. ? C'est la ville la plus triste du monde."
"Peut-être mais c'est là que je vais passer trois jours, je reviendrai pour l'anniversaire de Fricotin, vendredi."

Jules s'impatiente.
"C'est quoi c't'affaire?"
Coloc subodore :
"T'as un rendez-vous?"

Je ris, je suis heureuse, tout mon corps est ouvert comme une fenêtre au ciel d'été.

"Je vais rejoindre D."
Coloc me sourit et lève les yeux au ciel.
Jules est stupéfait.

Le mercredi, je marchais dans les rues de M. avec mes jolies salomés beiges, on aurait dit des chaussures de mariée, j'allais vers ma lune de miel, mon amour clandestin.

M. reste la ville de ce bonheur-là, inentamé, inoublié, une pépite précieuse.

"Si tout est moyen
Si la vie est un film de rien
Ce passage-là était vraiment bien
Ce passage-là était bien."

Alain Souchon.