lieux : Chambourcy (78) près de Paris.

logements : immeubles longs et parallélépipédiques de 5 à 7 étages, des HLM améliorées sur une colline encore boisée.




Nous sortons peu, mon père travaille dur, ma mère aussi qui tient sa maison comme elle croit qu'il faut faire, et se repose fort peu et qui veille sur moi et surveille sans doute trop. Est-ce de ces temps anciens que me vient un goût de la solitude (physique - bon sang mais foutez-moi la paix - let me be alone) et un désarroi absolu face à la solitude (loneliness - on m'aurait trop peu laissée me construire à ma guise et je ne saurais plus ou mal me passer d'avoir en permanence quelqu'un qui se soucie -) ? J'ai des souvenirs de courses qu'on fait (la poste en particulier), de promenades de type "tour du pâté de maisons" et aussi un peu dans les vergers qui à l'époque couvrent encore ces collines d'Ile de France, que c'est très escarpé (ça l'est, en fait, mais pas tant). D'autres de la belle lumière de fin d'après-midi et qui entre chez nous par le côté salon, celui qui justement donne vers la colline. De très vagues impressions d'échanges avec d'autres enfants de balcons à balcons - aller les uns chez les autres semble exclu, nous sommes sans doute trop petits -. Deux souvenirs culinaires : le riz au lait (caramélisé) et une crème aux oeufs dont ma mère plus tard ne se souviendra pas qu'elle en confectionnait et qu'elle était si bonne. Des souvenirs des livres qu'on me lit, que je réclame souvent les mêmes, que je les sais par coeur et tourne les pages au bon moment, et que mon père au soir me raconte, mais sans lire, comme un vrai bon conteur qu'il aurait pu être, une version toute personnelle des aventures de Pinocchio. Les personnages ont chacun leur façon de parler, et certains mots incantatoires m'en sont restés (dont un mystérieux Coucoumioucoucoumioucasselescailloux) qui devaient être des équivalents dans l'histoire de "Sésame ouvre-toi" chez Ali Baba.

Et des souvenirs précis de la télévision.



C'est un poste en noir et blanc (à l'époque, forcément), où les chaînes se syntonisent en tournant un bouton comme certaines radios encore le nécessitent. Ça pose peu de problème, il n'existe qu'une seule chaîne (1). Parfois l'émission se brouille et il faut tourner un peu la petite antenne intérieure dont mon père a équipé notre équipement. Il m'interdit d'y toucher. Plus tard, et malgré ça, c'est moi qui deviendrai l'as du réglage, tant et si bien qu'on m'en délèguera l'autorité mais pour l'instant je suis bien trop petite. Et une petite ça obéit.



Il y a donc le jeudi à 16 heures des émissions, pendant deux heures (?) pour les enfants. Elles sont présentées par la marionnette Claire. Ces programmes sont complétés par Bonne Nuit les Petits avec Pimprenelle et Nicolas et qui est quotidienne et dont les parents se servent pour dire après "Au lit" alors que je trouve moi qu'il est rudement tôt. Il y a aussi le petit train de l'interlude.

Et des émissions de sport, le sport ce n'est pas violent, alors j'ai le droit. Parce que pour ce qui est du reste, ma mère exerce une censure épouvantable : le bon vieux Zorro de Walt Disney ("Un cavalier, qui surgit hors de la nuit, court vers l'aventure au galop...") est jugé trop plein de combats, je dois me battre pour le voir, ainsi qu'un "L'homme à la carabine" qui ne devait pourtant pas aller chercher plus loin que Rintintin. Ma mère n'aime pas Rintintin parce qu'il y a un chien et qu'elle n'aime pas les chiens. Elle me le fait savoir devant chaque épisode. Et je me fais peur quand je reproduis cette même attitude (mais pour d'autres motifs, en râlant que c'est niais, qu'on les prend pour des cons) face aux émissions que regardent mes enfants.

Longtemps je crois que "L'homme à la carabine" est l'histoire d'un type qui s'appelle Lomma et que La Carabine est son surnom parce qu'il est fine gachette. J'élaborerai toutes sortes d'historiettes dérivées, parfois avec mon père rebaptisé Lomma, comme complice consentant.

"Thierry la Fronde", ça sera plus tard.

Ce que j'aime entre tout, ce sont les Poly. Et comme Cécile Aubry en écrira à mesure que son fils, le petit Mehdi, grandit, puis que le casting s'élargira à d'autres, le petit cheval me tiendra compagnie jusqu'à l'adolescence. (et ma mère de râler parce qu'elle n'aime pas les chevaux, mais moins pas que les chiens alors elle rouspète moins que pour Rintintin ou "Belle et Sébastien"). Je me souviens en particulier d'un "Au secours Poly" (2) qui m'a durablement marquée et dont je me rappelle bien fort un élément de l'intrigue : un petit garçon (3), maladie ou accident, était paralysé et à force de patience et de proximité le poney l'aide à remarcher. De là jusqu'à 43 ans, je croirais dur comme fer aux miracles de l'amitié. Et qu'on peut être amis en étant aussi différent qu'un cheval et un humain, franchement c'est pas le problème.

Et puis ce souvenir mystérieux car chronologiquement impossible : se réveiller très tôt un matin pour suivre une cérémonie d'ouverture de J.O. au Japon. Les drapeaux, les athlètes qui défilent, mon père qui répète que c'est au bout du monde et qu'on le voit en vrai. Or des J.O. aux Japon il y en eu en 1964 (Tokyo) et 1972 (Saporo), donc ça ne colle pas. Confondrais-je dans mon souvenir le Japon et le Mexique (1968) ? Et pourquoi m'est-il resté comme de toute solidité que c'était en 1966 ?

J'oubliais : de temps en temps à la télé, et des fois sauvagement au jour et heures des enfants à la place de leur Poly préféré, passe un vieux monsieur grand et gris, qui a toujours l'air fâché et de gronder des élèves pas sages, et qui me fait peur ou comme un vieux grand-père bougon à ses petits enfants. Mes parents refusent de m'expliquer vraiment qui il est, on ne parle pas politique devant un enfant, il pourrait cafter. Quelqu'un (une cousine ?, passent parfois à la maison des cousins, cousines, oncles et tantes et même d'Italie et même qui font des photos EN COULEUR parce qu'ils sont très riches et qu'ils nous envoient après parce qu'ils sont très gentils - je n'aime pas toujours quand ils sont là même si c'est la fête et plein de cadeaux pour moi, parce que mes parents veulent encore plus que je sois très sage et puis ma mère est si nerveuse à chaque fois (avec mes yeux d'adulte je sais que c'est parce qu'elle tient trop à ce que tout soit parfait)- ) des grands me concèdera qu'à un moment il a sauvé la France ( - Ce monsieur là ? - Oui mais maintenant, il est vieux).

Et je n'aime pas non plus quand apparaît la mire en lieu et place de la marionnette Claire, j'apprends le mot "grève" que je ne comprends pas. Et têtue comme une mule je regarde la mire en me concentrant très fort afin qu'elle disparaisse et que Poly revienne, ou même déjà juste la marionnette Claire, même sans Poly. Claire, reviens, ça serait si bien.

(1) C'est faux, je sais, puisque la 2ème a émis pour la première fois en 1963. Est-ce qu'on ne la captait pas ? Est-ce qu'on m'avait raconté qu'il n'y en avait qu'une pour que je ne touche pas moi-même au bouton de réglage ?

(2) Je n'en ai hélas nulle pas retrouvé la trace regardable de celui là alors que les tous premiers Poly, les "Belle et Sébastien", ont été réédités.

(3) Je crois me souvenir qu'il se prénommait Pascal, ce qui est peut-être faux. Marrante mémoire je viens de chercher et effectivement un Pascal est présent ... parmi les acteurs et c'est le prénom du jeune héros des premiers Poly. En revanche pour l'année de diffusion, j'avais tout bon.