Nous quittons les barres en béton et emménageons dans un immense appartement aux vieilles boiseries dont le couloir était suffisamment long pour que je m'exerce sur mon tricycle le dimanche après-midi. Je me cache derrière les portes repliées de la salle à manger pour observer les ouvriers qui repeignent les murs. Maman rentre de la poste avec un paquet pour moi, ma marraine m'envoie une poupée en tricot, rayée orange et vert avec des cheveux noirs en laine. Elle s'appellera logiquement "Poupée-marraine". La couleur orange était très en vogue durant ces années 70, je revois encore le papier peint de ma chambre, aux motifs de lettres et chiffres entrelacés dans des tons orangés. Je parle volontiers, prête à partager tout ce qui m'intéresse et d'ailleurs, tout m'intéresse. Ma mère me tricote un pull avec l'inscription "Pouce, je parle ! ". Je découvre l'obligation du partage du temps de parole. C'est dur, nous sommes une famille nombreuse de sept personnes, et les Grands ont toujours des choses plus intéressantes à dire. "Ce n'est pas d'intérêt général" devient la règle à respecter. Quand on est en maternelle, la tâche est rude de rivaliser d'intérêt avec les versions latines et autres devoirs de philo des Aînés.