En 69, j'ai six ans, et un homme, pour la première fois, marche sur la lune

Reprendre un petit caillou. Le relancer dans l'eau, écouter son écho si particulier. savoir que celui de 1969, n'a pas pour rien immobilisé le jeu bondissant qui a précédé.

En l'occurrence, la forme même du caillou a moins d'importance que l'eau dans laquelle je suis censée le lancer.

En 69, j'apprends à lire, très vite, un mot qui devient page en quelques semaines, un livre, puis dix. Ce ruisseau là, devenu Orénoque, ne me pose guère de problème, guère plus qu'une vague culpabilité envers les bénévoles déménageurs qui se farcirent si souvent ma bibliothèque.

En 69, j'apprends à écrire. Mes premiers poèmes sont strictement contemporains de mes premiers déchiffrages. Mais ce souvenir est d'une eau troublante, une eau qui n'est paisible qu'en apparence. Je peux marquer de l'ongle sur l'itinéraire, les jaillissements intermittents de l'écriture, je peux lisérer ses stagnations, accuser ses arrêts brusques, ses heurts sur d'infranchissables parois. Pour autant, l'écriture possède son propre réseau souterrain, ses nappes captives, ses résurgences paradoxales.

Il y eu des années littéralement sans, des années où même écrire une lettre d'une commerciale banalité me fut impossible. Et cela a, de toute évidence pour moi, à voir avec la mort, avec la trace des morts, avec la trace des mots. Ne me demandez pas comment je le sais, je vous dirais que je n'en sais rien, ou plutôt que les traces préalables de cette évidence ne sont lisibles que par moi.

Je n'ai vraiment recommencé à écrire que dans cet espace intermédiaire du blog, à mi chemin entre l'éphémère et le pérenne, à partir d'un nom qui n'est pas le mien, sans pour autant être une identité d'emprunt, quelque chose qui n'est ni prose, ni poésie, et dont je réfute qu'il puisse être un journal intime. Ricochets, remous, houle sinueuse et communicable, ressac fragmenté en éclaboussures, eaux vives.

Là haut, sur la lune, les traces de pas sont immuables, sèches et mortes.

''Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache

Noire et froide où vers le crépuscule embaumé

Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche

Un bateau frêle comme un papillon de mai
''. Rimbaud,