Mon plus jeune frère se fiancie. Comme ils vivent dans le Sud, il y a une grande fête chez mes parents pour présenter sa future femme et ses deux enfants déjà ados à toute la famille. Estac après s'être fait prier pour participer prend un goût évident à la réjouissance, l'abondance gastronomique sépharade n'y étant pas pour rien. En fin de soirée, est-il saoûl ou exalté, toujours est-il qu'il annonce à mes cousines puis à tout le monde que nous aussi, nous allons nous marier.

Je n'étais pas au courant. J'apprends donc la nouvelle par mes vieilles tantes qui me félicitent chaleureusement, tout le monde a l'air tellement ravi, j'aurais certes préféré une demande en mariage plus traditionnelle, ou à défaut une décision légèrement plus concertée, après tout cela fait trois ans et demi que nous vivons à peu près ensemble et qu'aux yeux de tout le monde nous sommes le couple parfait.

Sur le chemin du retour, je suis fondante, réjouie de ce cadeau attendu depuis longtemps. Il me douche un peu en gromellant que oui bon d'accord on se marie, mais qu'il ne veut pas entendre parler d'avoir à organiser un mariage et que j'ai qu'à me débrouiller pour m'en occuper. C'est vrai qu'il a une tournée au Japon, donc pas question de compter sur lui pour quoi que ce soit.

Même à distance et en m'ayant "délégué" les opérations, il me dicte ses conditions drastiques sur la non-liste d'invités. Pas question que des gens qu'il ne connaît pas puissent assister à cet engagement. Au final, vingt-cinq personnes sont élues, et c'est moi qui dois gérer les incidents diplomatiques. Surtout, ceux que j'aime ne seront pas nécessairement là et au fond de moi, je ressens la répétition des débuts de notre liaison quand j'étais interdite d'exultation d'être amoureuse publiquement.

Au mariage de mon frère, il n'est pas là. Mais tout le monde me parle de notre futur mariage dont la date est arrêtée déjà comme s'ils allaient y participer aussi. Je suis mortifiée et je commence à déprimer. Jusqu'à la dernière minute je ne saurai pas ce que je me mettrai. Je vais m'acheter un petit tailleur blanc toute seule, et c'est la journée la plus triste de toute ma vie depuis très longtemps. D'ailleurs sur le revers de la veste blanche, il y a une énorme fleur... noire, à la longue tige, lugubre. La jupe est bien trop courte pour mes jambes pas belles, la vendeuse m'aurait vendu encore plus moche, je crois qu'elle aurait pu.

Notre mariage a lieu à la petite mairie du village que j'aime tant, ce sont ma tante et ma mère qui ont absolument tout préparé pour le banquet sous la tente. Il fait un temps superbe, tout se passe bien. Seul l'éloignement des hôtels où nous logerons sa famille posera un problème, et de taille : il faut raccompagner son papy qui ne saura jamais trouver tout seul, et accompagner ses parents qui n'ont pas de voiture, mais sa mère refuse de partir en même temps que le papy, il faudra faire deux voyages. Estac ne s'en mêle surtout pas, et ne les raccompagne pas, il s'amuse trop avec ses amis. C'est moi qui m'y colle, et mon père qui se dévoue pour le second voyage quand il s'apercevra du pataquès. Personne n'ose rien dire à Estac comme si tout cela était normal, je suis en larmes.

Je tente une vague conversation quand on se retrouve tous les deux dans la jolie suite nuptiale que mes parents nous ont offert dans une auberge non loin pour notre nuit de noces. Il est trop fatigué d'avoir bien bu et rigolé avec ses amis. Ce n'est pas encore cette nuit-là qu'on risquera de faire un bébé.