Un jeudi de septembre 2003



Je sors du bureau de la DRH d’un grand centre de formation. Elle me raccompagne jusqu’à l’ascenseur : j’ai l’impression qu’elle veut me voir marcher. De la même manière qu’elle scrutait mes mains tout à l’heure. Alors je marche. J’avance déterminée dans le couloir. Je n’ai jamais été si déterminée. Mes jambes avancent souplement et sans hésitation. Je me souviens qu’il faut tourner à droite au bout du couloir. C’est bizarre, normalement je me perds tout le temps, même dans un couloir tout droit. La DRH me serre la main. Je plonge mon regard dans le sien et j’accuse réception. Ma paume parvient à cacher sa moiteur, je serre franchement. Elle me dit qu’elle ou sa secrétaire rappellera avant 18 heures. Il faut faire vite, la rentrée date déjà de 10 jours. La porte de l’ascenseur se referme. Il fait froid tout à coup. Je tremble de tous mes membres. Je me recroqueville. Comme un élastique qu’on lâche.

Il est 11h30. Je commence à avoir peur. Que l’attente soit longue. Je viens de vivre cinq mois de chômage et je sens que j'ai atteint ma limite. En éternelle étudiante, je fonctionne encore sur le rythme de l’année scolaire. Du coup, septembre doit rimer avec reprise. Mais je suis pleine d’appréhension, ma dernière embauche à l’université a été éprouvante. Je tourne en rond. Et si je ne trouvais pas de travail ? Je n’ai pas l’habitude de chercher, jusqu’ici je me suis toujours débrouillée pour que l’on vienne me trouver. Et si j’avais raté toutes les occasions ? Et si ça durait plus longtemps que prévu ? Mon compagnon tente de me rassurer : ce n’est pas grave, cela te fera du temps en plus pour ta préparation aux concours de l’éducation nationale. Je ne suis pas convaincue. Justement je veux enseigner quelques temps pour être sûre que je veux vraiment les passer ces concours. Et puis je n’ai jamais réussi à travailler que dans l’urgence, le stress. Tout ce temps, je ne parviendrai pas à l’utiliser pour bachoter un concours. Peur déguisée de l’échec ? Va savoir. Et puis me faire entretenir ? Je ne l’avoue pas mais ça m’effraie. Pourquoi ? C’est bête. Je suis une féministe pleine d’orgueil mal placé. Mon mari se posait moins de questions quand il était au chômage. Ou peut-être ne m’en faisait-il pas part ? Ah zut, c’est pas le moment.

Il est 12h. Seulement ? Je suis rentrée à la maison. Je ne sais pas quoi faire. Je n’arrive pas à me poser. Le portable dans la main, je tourne en rond. Je n’ai pas faim. Je finis par appeler une amie.

14 heures. Nous allons, mon amie et moi prendre un café au bord de l’eau. Il fait un temps radieux. Mon amie qui porte le nom d’un fleuve est superbe. J’ai l’impression d’être vieille et ratatinée. Ma paupière droite saute à la corde avec mes cils. T’as vu ? Mon amie regarde. Non rien. Elle rigole. Je ne t’ai jamais vu aussi calme, dit-elle. Bah mince.

Il est 15 heures. Le téléphone sonne. C’est ma mère. Evidemment, je ne lui dis rien.

15h30. Il va falloir que je me lève pour aller chercher ma fille.

15h45. Ca sonne ! Mon Dieu j’ai peur j’ai peur. Je manque à un millimètre de refuser l’appel en me trompant de bouton. - Allo ? - Blala, vous commencez lundi. Vous aurez cinq classes : 2 classes de BEP, 2 de Bac pro et une de BTS. - Je raccroche, je suis aux anges.

Deux minutes plus tard....

Lundi ? Mais c’est dans quatre jours lundi ! C’est quoi une classe de BEP ? Que vais-je faire ? Que suis-je supposée leur enseigner ? Mais je ne vais jamais y arriver ! Elle est complètement inconsciente cette DRH !