Un virage à 180° pour moi cette année là. Je choisis de tout quitter, alors que justement j'ai besoin de repère, de stabilité, de sécurité. Finalement je vais passer ma vie à tout chambouler, moi qui recherche sans cesse des repères pour éloigner mes phobies. Paradoxe de ma personnalité. Fuir et faire face. Me cacher et affronter.

Après quelques mois d'échanges purement professionnels, et quelques sorties, toujours en groupe, nous sommes plus que jamais attirés l'un par l'autre. Nos regards se croisent de plus en plus souvent, nos mains se frôlent par moment. Je suis effondrée. Je réalise qu'il se passe quelque chose que je n'avais pas prévu. Je suis amoureuse d'un autre que celui qui partage ma vie depuis plusieurs années.

Un premier rendez-vous en tête à tête, et nous tombons dans les bras l'un de l'autre. Catastrophe pour moi. Je vais devoir faire un choix. Mais il est déjà fait. Je fais mes bagages, sous le regard abattu de mon ami. Je suis mal de faire du mal. Mais je sais ma vie ailleurs.

Je m'installe chez le nouvel homme de ma vie. Nous passons notre temps à cacher à notre direction que nous sommes ensemble. Je risque le licenciement et lui la mutation.

Et puis, et puis, il y a cette première attaque de panique. Celle qui va lentement me plonger dans la phobie sociale, qui sera diagnostiquée bien des années plus tard Chaque seconde de cet événement est gravé dans ma mémoire. Le seul fait d'y repenser est angoissant. Et elle est la 1ere d'une longue série qui finira par empoisonner ma vie. Cela se passe dans une caserne, au mess des officiers très exactement. Un repas en l'honneur de mon ami qui est venu me présenter à son ami officier. Il y a là une bonne partie des officiers de la caserne, et moi, seule femme parmi tous ces uniforme. Bon dieu, mais qu'est-ce que je foutais là? Je suis antimilitariste depuis presque ma naissance. Je n'ai qu'une vague idée de l'autorité masculine, mais j'ai cette peur en moi, qui m'habite depuis très longtemps. Depuis quand déjà? Et pourquoi? Le regard d'un homme, si il n'est pas aimant, me liquéfie sur place. Peut être parce que j'y vois le regard de ces garçons qui, l'année de mes 16 ans, m'ont traînée dans ce coin ombragé du parc. Et cet instinct qui me dit « danger » là où il n'y en a pas.

Tous ces regard tournés vers moi, toutes ces questions. Je me sens jugée, jaugée, passée en revue. Je m'éloigne sous un faux prétexte et vais m'enfermer dans les toilettes. Je m'effondre, vomis, pleure, tremble. Je suis assommée par cette attaque de panique, et paralysée par la peur. Je m'assoie par terre, enfermée dans les toilettes. Je suis incapable de me relever, de tourner cette poignée et de sortir de cet endroit exigu. Je vais crever là sans savoir, sans comprendre pourquoi. A ce moment là, je suis comme cet enfant qui espérait disparaître sous les couvertures, quand mon père frappati et frappait encore, ignorant les cris de douleur de ma soeur. Je veux disparaître, m'évaporer, m'envoler, quitter cet enveloppe qui m'étouffe.

Les minutes passent. Je me sens comme une bête traquée. Je crois devenir folle. Et puis j'entends sa voix. Il est venu me chercher, s'inquiétant après 15mn d'absence. Que lui dire? Comment lui dire? Quoi lui expliquer moi qui ne comprends rien à ce qui m'arrive? J'invente un malaise quelconque. Sans mal, je suis défigurée par la douleur. Je ne sais comment j'ai réussi à ouvrir cette porte. Il y a eu comme un déclic, une dépersonnalisation qui a fait que j'ai été m'installer à cette table, j'ai rien avalé, je n'ai pas parlé, mon corps était là, moi j'étais partie ailleurs.

D'ailleurs je n'ai aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant ce repas, ni après. Je ne me souviens que de plus tard, bien plus tard, quand la honte, la culpabilité ont fait place a la panique. Et cette fatigue intense, et cette angoisse qui resurgissait: Je ne suis pas guérie.

Cet homme que j'ai choisi et dont je connais si peu de chose, et qui ne connaît rien de moi, vient d'être le témoin sans le savoir de ce qui va empoisonner ma vie, notre vie. J'ai la vague sensation que cette relation va aggraver mes symptômes, par le simple fait qu'avec lui, je renonce à tous mes repères, à justement tout ce que j'ai crée à Toulouse en quelques années: des barrières de sécurité contre mes phobies. Nous allons chacun de nous protéger l'autre en pensant lui rendre service. Lui va me surprotéger, au point que je vais devenir dépendante affective. Moi je vais continuer dans la ligne de conduite qui m'accompagne depuis toujours: le silence. Ne pas dire, ne rien dire, ne pas me dévoiler, jamais.