Deux ans et demi que toutes les semaines, deux fois par semaine au début, je vais la voir, que je m'installe dans le grand fauteuil.

Deux ans et demi que je refuse de payer et que mes parents font le chèque, 120 francs, sans sourciller sans rien demander. Comme ça les choses sont claires. Je fais le boulot qu'ils ont merdé, mais c'est eux qui payent, puisqu'ils refusent de venir.

Deux ans et demi, qu'invariablement elle ouvre la séance d'un "Alors?'

Deux ans qu'elle a éclaté de rire devant mon coming-out, un bon gros rire, ponctué d'un "Mais non" et d'un point final. Je repars honteuse, coupable, et blessée.

J'ai 17 ans, les hormones en folie, les filles sont si belles, et je commence à remarquer qu'elle n'est pas trés jolie. Je vois les couleurs ternes de ses habits, les mi-bas couleur chair qui plissent, son air fatigué... même qu'elle se trompe, un jour, oui, pouff, comme ça, elle me dit de venir à 12h30 jeudi, alors qu'on se voit toujours à midi... Je ne dis rien, et j'attend l'heure dite, à la terrasse d'un café. Je la vois partir excedée à midi 20. Je vérifie tout de même, à midi trente, je vais sonner. Bonne fille que je suis.

Je reviens la séance suivante à l'heure habituelle, sans même l'avoir appellée, et je lui offre mon plus angélique sourire. "Vous m'avez dit 12H30. Celà m'a surprise mais je vous ai écoutée".

Elle me dit qu'il est peut-être temps d'arreter. Je n'y ai absolument pas réflechi, mais je lui dis oui, et la quitte, sans un regret, sans un regard. Déchue, tombée du piedestal, faillible, elle n'a plus d'interêt, la psychanalyste. Sa pseudo-vérité non plus.

Deux mois plus tard, je sors du placard.